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Amala Dianor mixe les générations de la danse Hip Hop à Pôle Sud

Amala Dianor est une pointure de la danse Hip Hop en France. Il est aussi le nouvel artiste associé de Pôle Sud, pour les trois prochaines années, avec un focus particulier sur le quartier de la Meinau à Strasbourg. Sa nouvelle création, De(s)génération, est l’occasion pour lui de poser un regard sur l’évolution de la danse Hip Hop à travers trois générations de danseurs, en retrouvant les fondamentaux : « peace, love, unity and having fun. »

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De(s)generation de Amala Dianor (Photo DR)

Le nouveau statut de Pôle Sud, labellisé Centre de Développement Chorégraphique (CDC) de Strasbourg en 2015, amène avec lui la possibilité d’accueillir des artistes à demeure de façon plus régulière. Joëlle Smadja, directrice de du centre, a donc décidé d’inviter Amala Dianor, danseur Hip Hop mais pas seulement, comme artiste associé pour les trois années à venir.

« Pour moi il fallait donc que cet artiste ait une personnalité très généreuse, dont le travail pouvait s’adapter à de nombreux publics et à des nombreux types de pratiques. Amala Dianor a toutes ces qualités. »

Focus sur le quartier de la Meinau

L’idée est aussi de se concentrer sur le quartier de la Meinau, en mettant en valeur ses qualités propres et sa diversité, notamment par le biais des danses traditionnelles. Loin des clichés, le parcours d’Amala Dianor et son désir d’agir vont dans le sens d’une ouverture en grand des espaces des uns et des autres. Joëlle Smadja explique :

« D’origine sénégalaise, il est arrivé à un très haut niveau de danse Hip Hop. Il a fait le CNDC (Centre national de danse contemporaine) d’Angers en Danse contemporaine, et il est arrivé à un très haut niveau de ce côté-là aussi. Il a toutes ces compétences, qu’il a réussi à mixer à sa manière. C’est vraiment sa danse. Combiné à sa personnalité rayonnante et généreuse, cela fonctionne vraiment dans cette position d’artiste associé. Il est en mesure de rencontrer des gens très différents. On est sur un quartier périphérique : on a ici des pratiques de danses de tous les pays. Cela ouvre beaucoup de fenêtres. »

Le dialogue d’Amala Dianor avec Strasbourg commence par la présentation de sa nouvelle création, De(s)génération, les mardi 11 et mercredi 12 octobre. L’occasion pour Amala Dianor de se présenter en faisant un bilan sur trois générations de danse Hip Hop, entre hommages et questionnements constructifs. Rencontre avec un danseur solaire et libre, qui n’hésite pas à sortir des cadres et des codes.

Rencontre avec Amala Dianor (Photo MB / Rue89 Strasbourg)
Rencontre avec Amala Dianor (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

Rue89 Strasbourg : Il y a 3 générations de danseurs Hip Hop dans De(s)génération. Qu’est-ce qui a changé depuis les débuts de la Danse Hip Hop ?

Amala Dianor (AD) : Je fais partie de la deuxième génération des danseurs. Les danseurs d’aujourd’hui ont une totale liberté d’aller vers les danses qu’ils veulent. Moi lorsque mes aînés me proposaient de me montrer un mouvement, il devait se faire d’une certaine manière. On se faisait remonter les bretelles ! Il y a avait une grande vigilance par rapport au respect des mouvements. Ils avaient peur que ce soit une mode et que cette mode passe. Il fallait donc aller dans le sens de la transmission pour faire en sorte que le mouvement perdure.

Aujourd’hui, les disciplines se mélangent plus et les mouvements s’inspirent de ces croisements. Dans le spectacle De(s)génération, la dernière génération des danseurs fait aussi de la danse classique, en même temps que de la Street Dance à haut niveau, de la musique, de la couture… A mon époque cela nous était interdit. Cela fait partie des choses qui m’ont beaucoup interrogé sur la danse. J’avais besoin de m’exprimer autrement.

J’ai trouvé ma réponse dans la danse contemporaine, où on a une grande liberté. J’ai découvert au CNDC à Angers que les danseurs pouvaient parfois marcher sur scène. Rien que ça, ça a été une révolution! [rires]

Voilà où réside la principale différence entre les danseurs des différentes générations. On peut dire que les choses se sont démocratisées au fur et à mesure.

Rue89 Strasbourg : C’est vrai que pendant longtemps il y a eut une vraie méfiance des danseurs Hip Hop envers la danse contemporaine…

AD : Oui, mais ça c’est un peu fini. Je suis le premier danseur Hip Hop à avoir intégré l’école de danse contemporaine à Angers. À l’époque ça a été vu comme une trahison énorme. Les danseurs Hip Hop me disait que j’étais fou, que les danseurs contemporains ne dansaient pas sur la musique, que parfois même ils dansaient sans musique du tout ! Ils trouvaient que c’était ringard. C’était juste de l’ignorance, en fait.

La culture Hip Hop, j’en suis issu, profondément imprégné. Cela n’empêche pas qu’on puisse questionner certaines réflexions, certains propos. En ce sens les deux années que j’ai passé au CNDC ont été les plus belles de ma vie. J’ai enfin pu être moi-même, apprendre de nouvelles techniques, rencontrer des gens passionnants…

Pour revenir à la question, je crois qu’aujourd’hui il n’y a plus ces frontières, cette méfiance. Avec internet, et les vidéos en particulier, tout se mélange. On se rend compte qu’un art nourrit l’autre. Certains danseurs de De(s)génération font de la danse classique ET des battles.

Au sujet des battles : c’est un monde particulier, celui de la compétition. Il faut se concentrer totalement sur ce qu’on fait. Cela ne laisse pas beaucoup de temps pour s’ouvrir à d’autres choses. Le monde des battles, des performances physiques, ça va un temps. Avec l’âge et les blessures, on met un peu d’eau dans son vin, ce qui permet aussi de s’ouvrir à d’autres choses.

Amala Dianor (Photo MB / Rue89 Strasbourg)
Amala Dianor (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

Rue89 Strasbourg : Est-ce qu’il y a encore aujourd’hui un esprit propre au Hip Hop, en lien avec la question de la rue ?

AD : C’est une bonne question ! [rires] C’est exactement pour ça que je voulais faire De(s)génération. Mon parcours chorégraphique est issu du monde Hip Hop, mais je m’en suis écarté pour aller vers la danse contemporaine. Ensuite j’ai voulu revenir vers le Hip Hop pour retrouver mes compères, mes aînés et rencontrer la nouvelle génération. Mon idée était aussi de questionner la Street Dance : savoir où elle en était en 2016.

On dit parfois que les gens qui font de la danse Hip Hop sur scène ne font pas vraiment du Hip Hop. Le monde des battles a aussi été pas mal récupéré par des grandes marques, ce qui donne une compétition qui mets en valeur les individualités. Moi ce que je retiens des valeurs de la culture Hip Hop c’est « peace, unity, love and having fun ». Une envie de se retrouver ensemble, de partager du plaisir. Passer par le défi pour se rendre meilleurs.

Pour De(s)génération, j’ai donc invité des danseurs de renom. Gabin Nuissier par exemple fait partie de la première génération des danseurs de Hip Hop en France, ceux qui sont issus des battles. Brahim Bouchelaghem, lui, fait essentiellement de la création. Avec De(s)génération je voulais revenir à la source même de ce qu’est, à mon sens, la culture Hip Hop : se retrouver au-delà du style de danse qu’on pratique ou des environnements dans lesquels on les présente. On peut avoir 50 ans, venir de la première génération, et se retrouver en duo avec un danseur de 20 ans qui est issu de la danse classique.

La danse Hip Hop, coeur du propos de De(s)génération (Photo DR)
La danse Hip Hop, coeur du propos de De(s)génération (Photo DR)

De(s)génération n’est pas un projet dans la virtuosité. Il ne s’agit pas de représenter telle ou telle école. Il s’agit de venir comme une famille : montrer la richesse et la diversité des corps et des styles dans la culture Hip Hop.

Rue89 Strasbourg : Quelle place y-a-t-il pour les filles dans la danse Hip Hop aujourd’hui ?

AD : Comme je l’ai dis auparavant, les choses se sont vraiment démocratisées. Il y a plusieurs disciplines dans la danse Hip Hop – on devrait plutôt dire Street Dance d’ailleurs. Il y a la danse debout et la danse au sol. La danse au sol est très physique. Pendant longtemps peu de filles qui s’y attelaient. Mais il y en a de plus en plus. Et les filles arrivent vraiment au niveau des garçons!

En danse debout on retrouve beaucoup plus de filles. Il y a le Pop, le Lock, le Ragga… Les filles y ont vraiment leur place.

Dans De(s)génération, il y a une fille: Sandrine Lescourant. C’est une danseuse que je trouve incroyable. Elle a à la fois la douceur et la délicatesse, la force et l’énergie, presque destructrice. [rires] Elle peut faire face à des personnalités telles que Mathias Rassin.

Dans la Street Dance, tu existes à partir du moment où tu fais tes preuves. Tenir le rythme, avoir un vocabulaire qui te soit propre. Les filles se sont affirmées. Elles ont aujourd’hui toute leur place.

Sandrine Lescourant dans De(s)génération (Photo DR)
Sandrine Lescourant dans De(s)génération (Photo DR)

Rue89 Strasbourg : Est-ce que vous connaissez la scène Hip Hop strasbourgeoise ?

AD : Pas encore. J’ai rencontré il y a peu Mistral Est, qui fait un travail remarquable pour l’accompagnement des jeunes générations, la professionnalisation. J’ai aussi échangé avec Majid plusieurs fois à l’occasion de spectacles.

Je me donne l’opportunité de découvrir la scène d’ici lors des trois prochaines années que je vais passer ici avec Pôle Sud.

Rue89 Strasbourg : Qu’est-ce que ça représente pour vous d’être artiste associé à Pôle Sud ?

C’est une chance énorme. Je sors de deux ans de résidence à Tremblay-en-France. C’était ma première résidence en tant que chorégraphe. ça m’a permis de moins courir : après les programmateurs, après l’argent… J’ai pu me poser et réfléchir à mon propos chorégraphique.

Le fait d’être associé au CDC à Strasbourg est une étape supérieure. J’espère composer un spectacle ici que je pourrais au moins qualifier de « chef d’oeuvre » ! [rires]

Et puis j’avais commencé un travail à Tremblay-en-France sur le rapport aux habitants. C’est dans le 93, une zone difficile. Le théâtre se trouve dans une cité. Bien souvent les habitants ne se rendent pas compte de l’outil extraordinaire qui se trouve à côté de chez eux. Avec Pôle Sud, l’idée c’est de faire une immersion dans le quartier de la Meinau pour aller à la rencontre des habitants. Les amener à se rencontrer entre eux aussi, à travers les danses traditionnelles.

Le CDC est une structure magnifique : c’est l’un des lieux qui propose le plus de spectacles dansés en France. Je ne sais pas si les habitants de la Meinau se rendent compte de cette chance. Je veux tenter de servir de passerelle entre le CDC et les habitants. J’ai grandit dans un quartier, c’est une population qui m’est familière. Mon envie vient aussi de là.

Rue89 Strasbourg : Vous allez venir habiter ici, à Strasbourg ?

Pas tout à fait ! Mais je vais y passer beaucoup de temps à partir de l’année prochaine.


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