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En 1975 au nord de Strasbourg, des citoyens s’opposaient déjà au tout-voiture

Archives vivantes – Dans les années 70, un vent de contestation citoyenne souffle contre le projet de rocade nord, une nouvelle voie autoroutière que la communauté urbaine de Strasbourg souhaite construire au niveau de la place de Haguenau. Défenseurs de la ceinture verte et habitants de Schiltigheim s’y opposent fermement. Retour sur une des premières luttes contre le « tout voiture » en ville.

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Mettre fin aux bouchons. En quarante ans, l’argument principal pour vendre un projet autoroutier n’a pas beaucoup changé. Au milieu des années 70, la communauté urbaine de Strasbourg souhaite désengorger le trafic sur la place de Haguenau à Strasbourg. Mais le projet de Rocade Nord suscite de vives protestations. Les habitants de Schiltigheim, dont certains craignent que l’autoroute ne passe sous leurs fenêtres, s’opposent au projet. Une Association de défense de l’environnement et des sites naturels de l’agglomération strasbourgeoise (ADEAS, voir la vidéo de l’INA ci-dessus) est créée est 1975. Au coeur de son combat : la protection de la ceinture verte qui sépare les deux villes.

Denis Matter, président de l’association Zona Ceinture Verte, se souvient du projet :

« Ce qu’on nommait Rocade Nord dans les années 70, c’est ce qu’on qu’on appelle aujourd’hui l’A350. L’idée, à l’époque, c’était de faire une rocade qui aurait fait tout le tour de la ville. Ils ont donc construit la rocade ouest, la rocade sud et ils ont voulu faire faire la même chose au nord mais ils n’ont construit qu’un morceau : l’A350 qui va jusqu’à l’entrée de Schiltigheim. Le reste, ils ne l’ont pas construit tel que le projet initial l’envisageait. Ce qui ne veut pas dire que la ceinture verte a été préservée, bien sûr. »

La Ceinture verte, réalité ou fiction ?

Stephan Jonas, ancien professeur de sociologie urbaine, décrit les origines de la ceinture verte dans une étude publiée en 1975 :

« La Ceinture Verte de Strasbourg est-elle un fantôme ou une réalité ? Sa naissance n’a peut-être jamais été déclarée solennellement. Mais elle est née réellement au début du XXe siècle, à la suite du démantèlement des fortifications militaires entourant la ville historique et de la mise à la disposition progressive par l’État aux habitants de l’agglomération strasbourgeoise de toute la zone de défense militaire qui englobait, en plein milieu urbain, les fortifications. »

C’est cette ceinture verte que l’ADEAS souhaitait protéger de la construction d’une énième route, comme l’explique Denis Matter :

« L’ADEAS s’était opposée à la construction de cette rocade nord parce qu’elle passait entièrement dans la Ceinture verte. La Ville possédait le foncier nécessaire grâce à une loi de 1922. Cette dernière cédait les terrains de la Ceinture verte à la Ville pour que les espaces verts soient préservés. Au lieu de le faire, les élus en ont profité pour faire des autoroutes. Les infrastructures de communication constituaient malheureusement une des exceptions autorisées par cette fameuse loi. Sous la mandature du maire de Strasbourg de l’époque, Pierre Pfimlin, l’exception est devenue la règle. »

L’ADEAS, présidée par Ernest Habersetzer, mène la contestation en organisant des réunions publiques d’information. Elle travaille avec des architectes et un étudiant pour proposer une alternative au projet de Rocade Nord. En témoigne ce schéma, publié dans l’étude du professeur Stephan Jonas :

Proposition alternative au projet de Rocade Nord émise par l’ADEAS (extrait de l’étude de Stephen Jonas : « Politique urbaine locale et espaces verts : les vicissitudes de la ceinture verte et de la rocade Nord de Strasbourg »)

L’ADEAS lance aussi l’alerte dans les médias. Au micro de France Régions 3, pour un reportage intitulé « N’abîmons plus l’Alsace : la Rocade Nord », le président de l’association commence par critiquer les prévisions budgétaires de la communauté urbaine de Strasbourg :

« Ce projet est estimé à 20 millions (de Francs, ndlr) le kilomètre. En réalité, on peut dire que ce montant sera certainement doublé et le projet va se situer de 35 à 40 millions le kilomètre. »

« Des alternatives existent… »

Deux ans plus tard, Ernest Habersetzer se trouve face à la caméra du même journaliste. L’association maintient son propos : des alternatives moins coûteuses et plus efficaces existent. Cet opposant à la rocade nord va même jusqu’à préconiser l’augmentation de transports en commun plutôt qu’une autoroute. Il est accompagné d’un autre représentant de l’ADEAS, M. Dennfeld. Ce dernier défend aussi l’importance de la ceinture verte pour les riverains :

« Vu le déficit d’espaces verts à Strasbourg, qui est de quatre mètres carrés par habitant, alors que les circulaires prévoient qu’il en faudrait au moins dix, il nous parait urgent de préserver ces espaces verts tout près du centre. »

Mais il est déjà trop tard pour la ceinture verte, comme l’explique le journaliste Pierre-Yves Caillot après l’interview du représentant de l’ADEAS :

« Quoiqu’il en soit l’équipement [responsable de la construction de la rocade nord, ndlr] possède déjà 98% des terrains achetés à la Ville de Strasbourg pour une somme avoisinant les 2,5 millions de francs. Quant au reste, appartenant à la ville de Schiltigheim, qui s’oppose à la vente, l’équipement vient de demander l’expropriation. »

Le 19 janvier 1977, une mauvaise nouvelle était déjà parvenue à Ernest Habersetzer. Elle émanait du Conseil d’Etat, suite à une requête pour annuler la déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. Le juge administratif suprême rejettait la demande du président de l’association ADEAS.

« À l’époque, je combattais déjà le tout-bagnole »

René Peugeot a aussi participé à la contestation. Il était membre d’un Groupe d’Action Municipale (GAM) à Schiltigheim. Dans les années 70, de nombreux GAM se sont constitués en France sur fond de critiques des partis et de leur gestion des affaires locales. En plus de son esprit critique de la société de consommation, ce militant était directement touché par le projet de rocade nord :

« J’habitais un immeuble qui allait se retrouver en face d’une autoroute. Alors bien sûr j’étais opposé à ce projet. Mais peu importe mon appartement. A l’époque je combattais déjà le tout-bagnole. Je savais que ce n’était pas une solution pour le transport. Moi je fais du vélo, et j’en faisais déjà à l’époque. »

René Peugeot n’était pas le seul dans cette situation. L’étude du professeur Stephen Jonas mentionne le cas des habitants de la résidence « Le jardin des Roses », située au 10 rue Contades :

« L’étonnement des copropriétaires de la résidence fut grand lorsqu’en novembre 1972, les bulldozers de la Communauté Urbaine de Strasbourg procédèrent à l’abattage de huit grands frênes implantés sur le terrain même de leur propriété. […] C’est ainsi que ces Schilikois de fraîche date purent découvrir que ces travaux de voirie dissimulaient en réalité les préliminaires de travaux bien plus importants, à savoir ceux de la rocade nord. »

Aujourd’hui, après plusieurs décennies de réaménagement, une route à deux fois deux voies passe bien devant cette résidence. Ironie du sort : le bâtiment répond toujours au doux nom de « Jardin des roses ». La ceinture verte qui l’entourait auparavant a pourtant été recouverte par le béton. Le 5 juillet 2017, le président de l’association Zona Ceinture Verte publiait une tribune adressée aux élus de la Ville de Strasbourg : « La ceinture verte est définitivement liquidée, pouvez-vous en être fiers ? » Belle question rhétorique.


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