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Au TJP : « Archivolte », comment pensent les architectes ?

Le TJP ouvre l’année 2017, du 12 au 14 janvier, par un spectacle étonnant sur l’espace mental de l’architecte. Archivolte est le deuxième opus du comédien, metteur en scène et scénographe David Séchaud. Avec sa compagnie strasbourgeoise Placement Libre, il interroge avec humour et suspicion la façon de penser de ceux qui construisent les espaces dans lesquels nous habitons.

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David Séchaud dans "Archivolte" (DR / Compagnie Placement libre)

L’architecture a tout du domaine de l’expert et du spécialiste : sa complexité, son vocabulaire propre, son opacité pour tous les non-initiés. Elle est aussi au cœur du quotidien de chacun, conscient ou non, façonnant notre manière d’habiter l’espace. David Séchaud est scénographe : cela le rapproche de l’architecte, par la manière de considérer la prise en main de l’espace, sans pour autant lui donner les codes de la spécialisation. Juste assez pour qu’il se questionne avec Archivolte.

C’est donc à la manière, burlesque, de la préparation d’un casse dans un musée que David Séchaud va tenter d’apprivoiser la pensée de l’architecte. Et de la faire partager aux spectateurs, de découverte en irruption. À quelques jours de la première, Rue89 Strasbourg a rencontré David Séchaud pour entrer dans l’initiation.

David Séchaud dans "Archivolte" (DR / Compagnie Placement libre)
David Séchaud dans « Archivolte » (DR / Compagnie Placement libre)

Rue89 Strasbourg : Quels sont pour vous les liens entre la scénographie et l’architecture ?

David Séchaud : Nous avons une question commune, celle de l’espace. Fabriquer des espaces, construire pour habiter un espace. Ce qui est drôle et dont je me suis rendu compte au fur et à mesure de ce projet, c’est qu’il y a parfois plus d’écart entre deux scénographes ou deux architectes qu’entre un scénographe et un architecte… La frontière est floue et la question de l’espace est large.

C’est plutôt dans les pratiques de l’espace que les distinctions s’opèrent. Certains vont concevoir l’espace en amont, tandis que d’autres vont plutôt laisser l’espace se construire par lui-même.

Archivolte pose donc la question de la façon dont les espaces sont habités ?

C’était mon point de départ. Mais à ce stade notre enjeu serait plutôt : comment faire exister un espace ? On fait tout le contraire à dessiner des jolis espaces au plateau. Au plateau il y a surtout des structures d’entrainement. Ce ne sont pas des châssis, des choses qui permettraient de recomposer des espaces architecturés. C’est l’inverse : ce sont des agrès de cirque.

On retourne tout le temps les propositions. Lorsqu’on parle d’espace, on se représente le vide qu’il y a entre les choses. On s’attaque à d’autres choses, comme les objets qui peuplent le vide, pour laisser advenir l’espace.

Complexité des systèmes dans l'espace d'"Archivolte" ( Photo Isabelle Vali-Labo Vertigo)
Complexité des systèmes dans l’espace d’ »Archivolte » ( Photo Isabelle Vali-Labo Vertigo)

Quelle est la place du spectateur dans Archivolte ?

Les spectateurs sont conviés à un espèce de « journée portes-ouvertes » [rires]. C’est une ouverture de chantier pour le casse que nous sommes en train de préparer. Un cambriolage dans un musée construit par un grand architecte.

Qu’est-ce qu’on peut faire sur une scène de théâtre qu’on ne peut pas faire ailleurs ?

Ce qui facilite la vie sur une scène de théâtre, c’est par exemple que nous avons beaucoup d’accroches au plafond. Dès qu’on est dans la rue, on perd ces avantages.

Il y a aussi la possibilité de dire des choses qu’on ne dirait pas ailleurs. De se positionner en jeu, sans être toujours clair. On peut y explorer un amusement. C’est un espace d’interaction avant tout ! On est ensemble, on peut essayer des choses et faire découvrir nos fantasmes.

Mais il y a beaucoup d’architectes très différents. Pourquoi avoir choisi Olivier Gahinet pour ce travail ?

Ce qui caractérise Olivier Gahinet, c’est qu’il est passionné d’architecture moderne. C’est une façon de concevoir l’architecture où les espaces sont toujours très définis. Olivier Gahinet était d’accord pour être comme « mon tuteur » dans le domaine de l’architecture. Ça m’a plu qu’il ait une vision théorique et très pointue. C’est une vision de l’espace qui est presque dogmatique, qui suit la pensée de Le Corbusier. Pour moi c’était l’opportunité de pouvoir vraiment m’approprier une pensée. Olivier Gahinet a une méthode : on n’est pas dans le cas par cas.

Comment avez-vous travaillé ensemble pour la création du spectacle ?

Il y a eu deux ans de préparation du spectacle, avant les répétitions proprement dites. On se voyait souvent à midi lorsqu’il avait fini ses cours, lors de ses passages à Strasbourg, puisqu’il vit à Paris. C’étaient des temps d’échange et de discussion pour me faire découvrir l’architecture. C’était un peu mon maître [rires]. Il n’a pas été présent sur les répétitions. En revanche, il a suivi l’avancée du projet, il est venu aux présentations. C’était marrant parce qu’il était très désarçonné par notre proposition. Ça nous a aidé dans notre travail : il a été l’un de nos premiers spectateurs.

Casse dans l'esprit d'un architecte ( DR / Compagnie Placement libre)
Casse dans l’esprit d’un architecte ( DR / Compagnie Placement libre)

Vous avez été formé à la HEAR en scénographie : qu’est-ce que vous en retenez ?

Mon premier spectacle, qui s’appelle Monsieur Microcosmos, était l’histoire d’un scénographe qui présentait son décor. Le scénographe se mettait à incarner son personnage et le décor se transformait. C’était au départ mon projet de diplôme à la Haute école des arts du Rhin (HEAR). Pour moi le déclenchement s’est produit à ce moment-là : j’avais envie de ramener le scénographe au plateau. Un peu comme le marionnettiste ou le machiniste : j’aime regarder les gens manipuler des choses, de manière très fonctionnelle.

Changer un décor, il n’y a rien de plus beau [rires] ! Aux Arts Déco, j’ai pu expérimenter pour la première fois le fait de me mettre en scène, moi-même. J’ai eu l’espace pour faire ça.

Vous avez travaillé aussi avec le Bruit du Frigo et Agrafmobile pour des interventions dans la ville. Comment est-ce que cela a défini votre regard sur la façon dont les espaces sont habités ? Sur les habitants ?

Je me suis souvent senti dépossédé, en tant qu’habitant, de la possibilité des choses qu’on peut faire en ville. C’est un espace d’interdits avant d’être un espace de possibles. Ça m’a toujours frustré et donné envie d’aller voir les artistes qui ouvrent des brèches pour permettre aux habitants d’y faire quelque chose, d’y prendre la parole… De faire en sorte que la ville ne soit pas qu’un lieu de passage ou de commerce. Qu’on puisse faire en sorte que la rue soit aussi un lieu d’habitat. C’est ce qui m’a questionné sur l’architecture.

L’architecture moderne, celle dont parle Olivier Gahinet, on se demande parfois quel rapport elle a aux habitants. Quelle place elle leur laisse pour s’approprier les choses. La question de l’appropriation est essentielle pour moi. Pour se sentir bien j’ai l’impression qu’il n’y a que ça. On peut faire un bâtiment magnifique : si on ne s’y sent pas chez soi, ça ne sert à rien. C’est pour ça aussi que je trouve que c’est important d’être soi-même au plateau quand on fait un spectacle.


#Architecture

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