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Boîte de vitesse bloquée : le Bulli patiente à Lviv

D’Odessa à Kiev, le Bulli Tour Europa poursuit son voyage à l’Est. Le mauvais état des routes d’Ukraine a abimé la boîte de vitesses du Bulli. Résultat : l’étape à Lviv (Ukraine) se prolonge. Découvrez ici les coulisses de cette douzième semaine de road trip. Nos reportages journalistiques se trouvent sur notre site.

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Boîte de vitesse bloquée : le Bulli patiente à Lviv

La ville de Lviv est située à l'ouest du pays. Pendant les manifestations de cet hiver, elle a été le bastion des pro-européens. (Photo Bulli Tour)
La ville de Lviv est située à l’ouest du pays. Pendant les manifestations de cet hiver, elle a été le bastion des pro-européens. (Photo Bulli Tour)

BlogLes Ukrainiens préfèrent en rire : leurs politiciens volent les fonds de l’État… et ça se voit ! La route reliant deux des mégalopoles du pays : Kiev (2 700 000 habitants) et Lviv (720 000 habitants) est inexistante. Marta Kanda, habitante de Lviv, explique en riant :

« C’est pas une route, c’est une piste. Sauf qu’il y a des trous partout et des nids de poule. Oui, c’est la preuve la plus flagrante de la corruption de notre gouvernement ! »

Le Bulli en a fait les frais… plus moyen de passer la 2e vitesse !

Boîte de vitesse cassée... le Bulli en attente de réparations. (Photo Bulli Tour)
Boîte de vitesse cassée… le Bulli en attente de réparations. (Photo Bulli Tour)

Le feuilleton des garagistes de Lviv s’annonce long. À l’heure où nous publions cet article, le Bulli est toujours à l’arrêt après être passé dans les mains de quatre garagistes différents. Résultat : nous avons profité du temps resté à Lviv pour mener l’enquête et raconter son histoire.

En attente du verdict... le Bulli est toujours bloqué à Lviv. (Photo Bulli Tour)
En attente du verdict… le Bulli est toujours bloqué à Lviv. (Photo Bulli Tour)

Une communauté en sursis

Dans le passé, Lviv comptait une communauté juive florissante. Pas moins de 200 000 Juifs vivaient ici avant la seconde Guerre mondiale. À la Libération, quelques milliers d’entre eux seulement étaient encore là. Des dizaines de milliers de juifs ont été exterminés ; d’autres ont pu émigrer ailleurs.

Sur les 40 synagogues de l'époque, seules deux sont encore debout. L'une d'entre elles sert de lieu de culte, l'autre de lieu de culture. (Photo Bulli Tour)
Sur les 40 synagogues de l’époque, seules deux sont encore debout. L’une d’entre elles sert de lieu de culte, l’autre de lieu de culture. (Photo Bulli Tour)

S’ensuit la période soviétique où les cultes religieux sont prohibés. Difficile d’avoir son propre culte dans une dictature à parti unique. Depuis 1990, l’ancienne synagogue est revenue aux mains de la communauté juive.

Mais par manque d’argent et de fidèles, elle ne sera pas restaurée. Aujourd’hui, la ville compte environ 2 000 juifs et une seule synagogue en activité.

Le jeune président de la communauté des jeunes appelée Sholeim Aleichem, Alexandre Nazar, évoque la situation actuelle :

« La synagogue de Lviv a servi, sous le communisme, de centre sportif. Les fresques ont été repeintes et des câbles électriques y ont été posés. A l’époque, il fallait gommer toute trace du judaïsme. Aujourd’hui, on essaie de faire découvrir la culture juive à travers des expositions, des festivals, des concerts, des conférences. Il y a un relais assuré par les non juifs, intéressés par cette culture riche et atypique. Nous invitons souvent des amis à participer au Shabbat avec nous. »

Dans l'avenir, Alexandre Nazar veut créer un librairie, un petit musée juif et des chambres d'hôtes pour accueillir les amis de passage. (Photo Bulli Tour)
Dans l’avenir, Alexandre Nazar veut créer un librairie, un petit musée juif et des chambres d’hôtes pour accueillir les amis de passage. (Photo Bulli Tour)
Boris Dorfman a longtemps été le dernier juif de Lviv à parler yiddish. À 90 ans, il s'improvise professeur pour les étudiants et les chercheurs de la ville. Avec sa femme Betty, dans leur appartement. (Photo Bulli Tour)
Boris Dorfman a longtemps été le dernier juif de Lviv à parler yiddish. À 90 ans, il s’improvise professeur pour les étudiants et les chercheurs de la ville. Avec sa femme Betty, dans leur appartement. (Photo Bulli Tour)

Oksana Sikorska est doctorante en histoire. Pour ses études, elle a eu besoin d’apprendre le yiddish. Aucune université ne proposait ce type d’enseignement à Lviv alors elle a appris au contact du dernier juif de la ville qui parlait yiddish : Boris Dorfman. Âgé de plus de 90 ans, il s’improvise professeur pour assurer une survie de cette langue à Lviv. Elle participe elle aussi à l’organisation de ces événements culturels menés par la communauté des jeunes de Sholeim Aleichem.

« Au début, j’ai décidé d’apprendre cette langue pour mes études. Maintenant j’en suis tombée amoureuse. Je fais désormais ma thèse sur les relations entre l’état soviétique et les juifs. J’utilise le yiddish presque quotidiennement et je donne même des petits cours pour que d’autres s’essaient. »

Oksana Sikorska participe tous les étés à de nombreuses "Summer school" pour améliorer ses connaissances en yiddish. A la rentrée, elle organisera de petits ateliers linguistiques pour faire partager sa passion. (Photo Bulli Tour)
Oksana Sikorska participe tous les étés à de nombreuses « Summer school » pour améliorer ses connaissances en yiddish. A la rentrée, elle organisera de petits ateliers linguistiques pour faire partager sa passion. (Photo Bulli Tour)

La survie de la mémoire juive et de sa culture est assurée par une petite poignée de passionnés et jeunes chercheurs. Déterminée, Oksana conclut :

« Nous sommes sur le bon chemin, ça prendra juste du temps ! »

Lviv, bastion occidental des « pro-européens »

Si au premier abord, l’air de la capitale occidentale de l’Ukraine semble moins chargé en patriotisme qu’à Kiev, Lviv n’en demeure pas moins le bastion occidental des pro-européens. Lors des manifestations violentes sur Maïdan (lire notre article), les rangs comptaient pas mal de gens venus de Galicie en renfort contre les troupes de Viktor Ianoukovitch.

Autrefois composée d’Ukrainiens, de Polonais et de Juifs (qu’on distinguait alors des Ukrainiens ruthènes), Lviv a perdu sa mixité depuis la seconde Guerre mondiale. Cela ne l’empêche pas d’accueillir aujourd’hui des personnes déplacées à cause de la guerre. Notamment 2 000 Tatars de Crimée : Alim Aliev est lui-même Tatar. Il a quitté sa région natale depuis six ans pour gagner l’ouest du pays. Il est très attentif aux évolutions du conflit ukrainien.

« La différence avec la Révolution orange ? Dans cette révolution de 2014, on est tous investis. On se sent pleinement actifs. Et surtout, on se sent enfin Ukrainiens. On défend notre pays. Maintenant la révolution s’est transformée en guerre. On ne baisse pas la garde ! »

Alim Aliev accueille les déplaces de l'est, notamment les Tatars de Crimée qui continuent d'affluer. (Photo Bulli Tour)
Alim Aliev accueille les déplaces de l’Est, notamment les Tatars de Crimée qui continuent d’affluer. (Photo Bulli Tour)

Avec deux amis, il a crée l’ONG « SOS Crimée ». Ils accueillent et aident les habitants de l’Est qui fuient les combats. Certains ont besoin d’un logement, d’autres d’un travail. Alim et les volontaires de l’association oeuvrent depuis le début de l’hiver à aider leur compatriote.

« On ne les appelle pas réfugiés mais déplacés. Ils se déplacent dans leur propre pays. Si on les appelait “réfugiés”, ça voudrait dire qu’on reconnaît la Crimée comme Russe. Les 12 000 Tatars déplacés depuis cet automne attendent tous de pouvoir rentrer chez eux, en Crimée… ukrainienne ! »

L’étape à Lviv est donc plus longue que prévue. La prochaine chronique devrait concerner les nombreux garagistes du coin…

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : retrouvez toutes les chroniques vécues du Bulli Tour Europa (blog)

Sur BulliTour.eu : les reportages de Claire Auduy et Baptiste Cogitore


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