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Brassage et Partage, première brasserie associative où faire sa propre bière

Vous avez aimé le concept du jardin partagé ? Vous adorerez celui de la brasserie partagée. Une poignée d’apprentis brasseurs viennent de créer une brasserie associative à Strasbourg où tous les adhérents peuvent apprendre à brasser leur propre bière. Premier brassin pédagogique ouvert au public dimanche 16 septembre.

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Brassage et Partage, première brasserie associative où faire sa propre bière

« Ouais je sais, on a plus bossé sur nos bières que sur la déco pour l’instant, » s’excuse Charlie Carle en rigolant. Dans cette salle de réunion inutilisée et louée à une entreprise au port de Strasbourg, le président de Brassage et Partage stocke un matériel pour le moins inhabituel. Le comptoir et la machine à café passent encore, mais quid des trois cuves de 200 litres qui trônent au fond de la pièce ? C’est dans ces 40 mètres carrés que Brassage et Partage espère allier sa passion de la bière et du do it yourself (faire soi-même, ndlr).

Car monter une brasserie associative est une chose, mais inviter tout le monde à mettre la main à la pâte en est une autre. L’équipe a déjà eu l’occasion de brasser en public. Dimanche 16 septembre, elle organise son premier brassin pédagogique dans son local. Les débutants sont acceptés, mais le nombre de places est limité. Charlie espère démocratiser l’exercice avec un prix imbattable (l’adhésion commence à 20 euros, quand il faut compter minimum 100 euros pour un cours dans une microbrasserie), mais aussi en proposant un format différent :

« Quand tu fais un stage en microbrasserie, tu as 10 personnes alignées face à 10 cuves. Chacun suit sa recette dans son coin et repart avec ses bières. C’est un bon début, mais nous on a envie de faire un truc plus collectif, avec un nombre un peu plus réduit de stagiaires à chaque fois. »

Quatre créations de Brassage et Partage, accessibles uniquement aux adhérents (Photo Pierre Pauma)

« Moi j’y trouve un goût de pomme »

Aujourd’hui, Charlie Carle, Boris Jouanne (que Rue89 vous avait déjà présentés à une autre occasion) et Anthony Larrondo sont venus contrôler la fermentation de leur dernier brassin, et ajouter du houblon dans une cuve qui a fini de fermenter. Le but : enrichir la bière avec de nouveaux arômes. C’est le dry hoping (houblonnage à froid), une opération cruciale pour obtenir une Indian Pale Ale. Un classique de la micro-brasserie connu pour son amertume, et que tout apprenti brasseur se doit de maîtriser. Pour ce brassin, les trois brasseurs utilisent un houblon citra. En attendant leur bain, les pellets de houblon pesés au gramme près embaument les deux mètres alentours d’un parfum d’agrumes.

Devant les cuves, Boris examine un densimètre qui flotte dans un échantillon de bière. L’opération consiste à mesurer la perte de densité de la bière depuis le début de la fermentation. Plus la densité a baissé, plus les sucres se sont transformés en alcool. Le but : obtenir le même degré d’alcool d’un brassin à l’autre en suivant la même recette.  « C’est à ça que l’on reconnaît un bon brasseur, » note Charlie. « S’il trouve une recette qui lui plaît, il saura la refaire. »

Grâce au densimètre, Boris sait exactement la teneur en alcool de sa bière. (Photo Pierre Pauma)

Pour le moment, le brassin examiné par Boris n’est pas terminé. Les levures présentes prennent une robe trouble et donnent un goût de pâte au breuvage inachevé. L’amertume n’a pas encore pris le pas sur le malt, et il y a peu de bulles. Comme dans les Tontons Flingueurs, Charlie lui trouve un parfum de pomme (verte). En 6 mois d’expérimentations, les apprentis brasseurs ont eu le temps de se faire un nez et même de mettre au point des recettes dans lesquelles ils placent de grands espoirs…

Le houblon qui va être versé aujourd’hui donnera de la Kama Citra, une Indian Pale Ale obtenue grâce à une variété de houblon très appréciée des aficionados. Boris, Charlie et Anthony n’ont pas non plus à rougir de leur bière blanche, brassée avec du sureau cueilli à la main… Et puis il y a d’autres recettes dont ils préfèrent rire aujourd’hui, comme leur version aussi accidentelle qu’imbuvable du lambic, une bière belge qui fermente uniquement grâce aux levures présentes naturellement dans l’air ambiant. Un fiasco, admet laconiquement Boris :

« On brassait dans une cave, et Charlie s’était brûlé le pied en renversant de la bière qui n’avait pas encore refroidi (100°C en fin de brassage, ndlr). On a filé d’urgence à l’hôpital en laissant la cuve ouverte. Quand je suis repassé plus tard, les levures présentes dans l’air de la cave avaient colonisé la cuve. On a laissé fermenter pour voir… Et c’était dégueulasse. Ça avait juste goût de vieille toile d’araignée. »

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Un peu de formation, beaucoup de ressources en ligne

Charlie consigne les recettes les plus concluantes dans BeerSmith, un logiciel de brassage complet utilisé par de nombreuses brasseries. Il calcule les bonnes proportions d’ingrédients en fonction du matériel utilisé et du résultat escompté. Charlie a complété sa formation avec deux stages en brasserie, dont un à Bendorf, la microbrasserie du quartier Neudorf. Terre de bière par tradition, l’Alsace produit 95% du houblon français et offre quelques facilités pour trouver des fournisseurs et des conseils. Et surtout, tous ont pu allègrement piocher dans la mine d’or qu’est devenu Internet pour les brasseurs débutants.

Dans les années 80 aux États-Unis, le mouvement des crafteurs s’est lancé en réaction à la standardisation du marché de la bière par les brasseurs industriels. Des petits artisans ont ouvert des micro-brasseries en laissant libre cours à leur créativité pour offrir une alternative à l’insipide Budweiser, la bière américaine qui squatte les rayons de supermarchés outre-Atlantique. Le mouvement a finalement conquis l’Europe, y compris la France où les micro-brasseries se comptent aujourd’hui par centaines.

Les sites aussi complets que pédagogiques pour apprendre le brassage abondent, et la communauté zytophile n’a cessé de s’agrandir et de s’organiser. Elle a désormais ses blogs, ses groupes Facebook et ses réseaux sociaux dédiés. Charlie aimerait d’ailleurs rallier quelques puristes à la cause :

« On en est encore à nos premiers pas. Il nous manque peut-être un ou deux vrais beer-geeks pour apporter le grain de folie et nous guider en même temps. »

Anthony est venu avec une bonne nouvelle : il a déniché sur la toile une version traduite de How to brew (Comment brasser, ndlr), la Bible du brasseur débutant. Il n’avait jamais brassé avant cette année, mais il apprend vite. Le dernier brassin en cours de fermentation, c’est son bébé :

« J’avais envie de faire ma bière depuis longtemps. Mais je me suis très vite aperçu que le brassage dans sa cuisine, ça prend de la place et ça peut occasionner quelques problèmes de voisinage… J’ai commencé à me renseigner pour dénicher un local et puis finalement j’ai rencontré Charlie et l’équipe de Brassage et Partage quand ils faisaient une démonstration au Bendorf Festival en avril. L’esprit de partage m’a tout de suite emballé. »

Anthony, Charlie et Boris qui goûtent à une bière blanche de leur création (Photo Pierre Pauma)

Heineken comme sponsor ? « Pas question ! »

Prochaine objectif pour la brasserie : trouver une solution pour contrôler la température durant la fermentation. Une condition indispensable pour permettre plus de subtilité dans les arômes et obtenir une belle mousse. La température de fermentation idéale se situe entre 20 et 25°C. Pas facile de maintenir ce climat pendant les deux mois nécessaires à la fabrication d’une bière dans un petit local, surtout en période de canicule. Cette année, l’adage du brasseur n’a jamais été aussi vrai : en hiver brasse ce que tu veux, en été brasse ce que tu peux.

L’idéal serait une chambre froide, mais l’investissement est de taille. Pour les premiers brassins et le matériel, les membres fondateurs ont mis de leur poche. Les adhésions et les ventes de bière devraient assurer quelques rentrées financières, mais ce modèle économique ne satisfait pas vraiment les apprentis brasseurs. À commencer par Boris :

« Vendre de la bière, ça me saoule un peu. Vendre, ça veut dire tenir compte d’une demande d’un marché, et devoir standardiser un minimum ses bières. La blanche qu’on a fait par exemple, c’est un truc très sobre qu’on a fait pour le grand public. On préfère se consacrer au brassage et s’amuser. »

Le sponsoring peut-être ? Pourquoi pas répond Charlie. Il espère pouvoir convaincre les professionnels du secteur, mais pas à n’importe quel prix. Boudés par une partie des amateurs de bières, les industriels tentent de se dépêtrer de leur image ringarde à grand coups d’opérations de communication, comme ce concours de biérologie d’Heineken qui avait laissé des blogueurs pour le moins sceptiques. Pour Charlie qui a travaillé dans le commerce équitable, pas question de faire entrer le loup dans la bergerie :

« Pour l’image, clairement, c’est impensable qu’une asso promouvant le brassage artisanal soit soutenue par un gros industriel. C’est comme si un agriculteur bio acceptait une subvention de Monsanto… Les seuls qu’on accepterait c’est Meteor, car c’est une brasserie familiale indépendante qui a toujours eu une démarche locale engagée. Ils ont continué d’acheter leur houblon en Alsace, ce qui a sauvé le secteur. On partage des valeurs même si c’est un brasseur industriel. »

Pour acheter une chambre froide, une cuve et de nouveaux tuyaux, il leur manque environ 5 000 euros. De quoi espérer un jour, égaler le dernier coup de cœur de Charlie en matière de bière : l’OTP de Bendorf, brassée avec du poivre et du concombre.


#microbrasseries

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