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De Musica au Maillon, Rodolphe Burger fait sa rentrée à Strasbourg

Rodolphe Burger sera à Musica mercredi avec son groupe historique, Kat Onoma. Puis il sera accueilli par la Licra et le Maillon en novembre pour une date unique autour du Cantique des Cantiques à la Cathédrale. Descendu de Sainte-Marie-aux-Mines, le musicien touche à tout alsacien squatte avec bonheur la rentrée culturelle strasbourgeoise.

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Rodolphe Burger (photo Marie Bohner / Rue89 Strasbourg)

Co-fondateur du groupe Kat Onoma – d’abord appelé Dernière Bande- en 1980, Rodolphe Burger est connu comme le loup blanc sur la place musicale alsacienne. Originaire de Colmar, il passe aujourd’hui l’essentiel de son temps à Sainte-Marie-aux-Mines, où il a initié le festival C’est dans la vallée.

Rencontre avec Rodolphe Burger à Strasbourg (Photo MB / Rue89 Strasbourg)
Rencontre avec Rodolphe Burger à Strasbourg (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

Adepte d’une guitare électrique aux vibrations planantes, Rodolphe Burger puise son inspiration dans la littérature et les écrivains. Il continue aujourd’hui à arpenter des sentiers en forme d’obsessions, aux côtés de ses compagnons d’armes d’hier et de demain : Alain Bashung, Philippe Poirier, Olivier Cadiot – pour ne citer qu’eux. Rencontre avec un rockeur du cru, à la boucle rebelle grisonnante sur santiags et chemise à pois.

Rue89 Strasbourg : Il y a eu les Bibliothèques idéales, maintenant Musica, bientôt le Cantique des Cantiques à la Cathédrale avec le Maillon : c’est une rentrée « Rodolphe Burger à Strasbourg » ?

Rodolphe Burger (R.B.) : [rires] C’est un hasard mais j’en suis ravi. Je me suis rendu compte que j’avais été plutôt absent de Strasbourg dernièrement. J’ai tourné dans la plupart des villes de France avec mon dernier album solo, mais pas à Strasbourg. C’est peut-être lié au festival que j’organise à Sainte-Marie-aux-Mines : les gens se disent, bon, il a déjà Sainte-Marie, ça suffit quoi…[rires]

La Cathédrale c’est sinon un fantasme, au moins un vieux rêve. Pas par chauvinisme, mais parce que réellement elle est sublime ! Non seulement je trouve que c’est la plus belle, mais en plus on se faisait la réflexion avec Olivier Cadiot l’autre jour qu’à Strasbourg il n’y a pas eu la même erreur qu’à Reims ou à Paris, avec des parvis très grand. La Cathédrale ici est au cœur de l’action, ça grouille de vie autour. C’est beau de découvrir cette immense cathédrale sans avoir de recul.

Rue89 Strasbourg : Que faites-vous à Musica ?

Aux débuts du festival Musica, à l’époque de Laurent Bayle, Kat Onoma avait joué dans l’ancienne Laiterie – avant que cela ne devienne une salle de rock. Laurent Bayle avait fait venir des tonnes de sable, pour des raisons acoustiques et parce que ça créait une espèce d’ambiance incroyable… On se souvient avec émotion de toutes ces jeunes filles qui avaient enlevé leurs chaussures et qui étaient pieds nus dans le sable [rires]… C’étaient les débuts de Kat Onoma, vers 88/89. Et nous avons fait notre dernier concert avec Kat Onoma à l’Opéra avec Musica : un grand souvenir aussi.

Cette année Musica nous a fait la proposition de venir jouer avec Philippe Poirier, qui faisait aussi partie de Kat Onoma. C’est un spectacle qui s’apelle Play Kat Onoma, et qui a donné lieu à un disque sorti sur mon label. On avait créé ça à la faveur d’une résidence à la Maison de la Poésie à Paris, dans une sorte de laboratoire dans les sous-sols… J’ai donc invité Philippe [Poirier] à re-visiter avec moi le répertoire de Kat Onoma. Notamment les chansons inspirées du poète américain Jack Spicer, en particulier sur le disque Billy the Kid. Ré-interpréter, comme nous l’avons toujours fait à Kat Onoma.

« Ré-interpréter, comme nous l’avons toujours fait à Kat Onoma. »

Nous avons travaillé aussi avec le musicien Julien Perraudeau, qui m’accompagne dans toutes mes aventures du moment. Nous avons fait un album et très peu de concerts, dans nos terres d’accueil habituelles : la Bretagne, Paris et l’Alsace. Cette fois-ci à Musica c’est encore une autre formule, avec notamment Roméo Poirier, le fils de Philippe, à la batterie.

Ce concert sera en deuxième partie de soirée. Il sera précédé d’une création récente, Billy the Kid I love you. A partir de l’album Play Kat Onoma et d’images cinématographiques de westerns américains, Loo Hui Phang a écrit le texte. C’est un dispositif avec à la fois des images, un texte en voix off et du dessin exécuté en temps réel par Philippe Dupuy et Fanny Michaëlis. Jean-Dominique Marco était intéressé par ce lien fort entre la musique, l’image, le dessin…

Rue89 Strasbourg : Que vous inspire la figure de Billy the Kid ?

A vrai dire ce n’est pas tellement la figure en soi qui nous inspire. Même si à Kat Onoma nous avons toujours développé un imaginaire un peu « américain ». Nous sommes plus partis du texte singulier de Jack Spicer que de la légende de Billy the Kid en elle-même. Jack Spicer est une sorte de comète incroyable. Il écrivait dans les années 50/60. On ne peut le rattacher à aucune tradition. Il vient un peu avant les poètes Beat, il en a influencé certains.

Rue89 Strasbourg : Vous aviez travaillé Le Cantique des Cantiques pour Alain Bashung, pour son mariage. Depuis vous l’avez repris, vous l’avez fait vôtre. Que reste-t-il d’Alain Bashung dans ce spectacle ?

Il est impossible d’oublier Alain, et en un sens c’est un hommage. C’est une manière de le rappeler. Mais c’est aussi l’évolution d’une histoire qui est, de part en part, improbable. Tout y est improbable, comme le fait qu’Alain m’ait un jour appelé pour me demander de l’aider pour son mariage. Il voulait faire une cérémonie dans une église, sans qu’elle soit religieuse ou officielle. Avec sa femme Chloé Mons ils ont trouvé une église dans le Nord. Alain était très scrupuleux. Il voulait donc qu’on enregistre une maquette qu’on allait présenter au prêtre pour le rassurer.

Il se trouvait que mon ami Cadiot venait de traduire Le Cantique des Cantiques pour la Bible Bayard. Olivier Cadiot s’était choisi les « beaux morceaux », dont Le Cantique des Cantiques qui est quand même l’un des plus beaux textes de la Bible du point de vue littéraire… J’étais ébloui par sa traduction. Qu’on aie ou pas une éducation religieuse, ce sont des textes que nous avons tous dans l’oreille. Lire ce texte revu par un écrivain qui travaille l’os de la langue, c’est comme si ça brillait d’un nouvel éclat. Je comptais donc proposer ce texte à Alain et Chloé.

« Boucle hypnotique »

J’avais travaillé la nuit d’avant, avec mon sampler, sur une musique qui laisse beaucoup de place à la parole. Une boucle hypnotique qui installe une durée. Ils sont arrivés, je leur ai passé le texte pour faire un essai – nous n’avons pas pu nous arrêter. Nous avons fait l’intégrale. C’était surréaliste. On est allé le faire écouter au curé, il était ravi. Puis nous l’avons refait « en vrai » à leur mariage devant une centaines d’invités. On aurait pu en rester là.

Mais Alain a aimé ça. Dire ce texte sacré dans la tradition juive et dans la tradition chrétienne, mais qui a aussi une énorme importance en littérature, fondateur de la poésie lyrique. On peut le lire comme de la poésie amoureuse. Bref, dire ce texte d’amour, sur de la musique, dans ce format qui dure 25 minutes : ça a été un vrai trip pour Alain. Il avait envie que ça continue d’exister. Nous l’avons donc sorti sur album, en même temps que L’imprudence. Et puis nous l’avons joué ensemble plusieurs fois, dans des églises, des petits endroits, au Temple de Sainte-Marie.

Du Cantique des Cantiques à Mahmoud Darwich, l’évidence du désir

À la mort d’Alain, on m’a proposé plusieurs fois de le reprendre, notamment en Avignon où je l’ai fait avec deux acteurs. Mais c’est surtout quand j’étais en résidence à Sète que j’ai eu envie de reprendre Le Cantique des Cantiques en y ajoutant l’hébreu, et de le mettre en miroir avec un texte de Mahmoud Darwich. Je ne l’avais pas rencontré mais j’étais sensé travailler avec lui, via Jean-Luc Godard et Elias Sanbar. Il est le traducteur de Mahmoud Darwich.

Quand il a entendu notre version du Cantique des Cantiques, il a tout de suite pensé au texte de Mahmoud Darwich qu’il venait de traduire chez Gallimard, S’envolent les colombes. On devait faire des choses ensemble, à Ramallah. C’est resté inachevé. À Sète j’ai donc eu envie de proposer cette mise en parallèle et de former un groupe autour de ça. Je voulais mettre en écho, sur la même scène, l’hébreu, l’arabe et le français.

Le Cantique des Cantiques de Rodolphe Burger (Photo Sebastien Klopfenstein)
Le Cantique des Cantiques de Rodolphe Burger (Photo Sebastien Klopfenstein)

Rue89 Strasbourg : Comment est-ce que ces langues se répondent les unes aux autres, musicalement ?

Nous sommes dans un format : une sorte de love song très long. Comme un slow qui durerait entre 20 et 40 minutes. Ce n’est ni de la chanson, ni de la lecture ou de la récitation. C’est autre chose. Le Oud est très présent bien sûr, qui renvoie au Moyen-Orient. Mais nous ne sommes pas dans une évocation orientaliste : c’est une musique d’aujourd’hui, avec une base électronique, une guitare électrique… Nous voulions sortir la poésie de Mahmoud Darwich de cet orientalisme exotique dans lequel elle est parfois enfermée.

Rayess Bek et Ruth Rosenthal ont découvert avec moi qu’en regardant de très près le texte, on y décelait beaucoup de choses inédites. Et puis Darwich connaissait Le Cantique des Cantiques en hébreu par cœur. Il vénérait ce texte qui selon lui inaugurait la poésie amoureuse – celle-ci étant la grande affaire de Darwich. La poésie amoureuse au sens le plus sensuel et prosaïque du terme. Chez Darwich l’amour n’est jamais éthéré, platonique ou transcendant. C’est vraiment l’amour sensuel, torride.

Rue89 Strasbourg : Ces textes sont effectivement de l’ordre du désir charnel, mais on les évoque aussi régulièrement pour parler de la paix. Comment fait-on le lien entre l’idée du désir sensuel et celle de la paix ?

Ce n’est pas évident : on peut se représenter la scène amoureuse aussi comme une scène de combat. Darwich n’est pas un pacifiste béni oui-oui. Il n’ignore pas la dimension de la guerre. Entre les deux textes nous passons un extrait de film de Godard, qui s’appelle Notre musique. Cela a été tourné à Sarajevo. On y entends la voix de Darwich, qui parle avec une journaliste israélienne. Il parle de guerre plus que de paix. Il dit aussi que le combat qui compte, c’est celui de la poésie.

Qui gagne ce combat, le vainqueur ou le vaincu ? Il y a une vraie hauteur de pensée, qui est devenue extrêmement rare aujourd’hui. On le laissait parler parce que c’était une figure un peu intouchable dans tout le monde arabe, une superstar de son vivant. Il avait une parole d’une liberté incroyable. Il n’y a rien d’idyllique chez Darwich, ni dans la paix ni dans l’amour.


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