Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Des citoyens veulent changer le regard sur la pollution de l’air à Strasbourg

La pollution atmosphérique n’est pas un sujet vendeur. Elle ne se voit pas, ne se sent pas. Du coup, on n’en parle pas en dehors des pics de pollution, même chez les écologistes. Pour quelques citoyens strasbourgeois, il est temps de changer notre regard pour impliquer davantage les pouvoirs publics dans l’amélioration de la qualité de l’air.

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La pollution atmosphérique ne fait pas débat. Pourquoi ? (doc Aspa)

La pollution atmosphérique ne fait pas débat. Pourquoi ? (doc Aspa)
La pollution atmosphérique ne fait pas débat. Pourquoi ? (doc Aspa)

Le Dr Thomas Bourdrel est radiologue. Et ça ne manque pas, à chaque pic de pollution, il voit débouler dans son cabinet des cohortes d’enfants pour qu’il leur réalise une radio des poumons. Puis ça se calme, jusqu’au prochain pic. Alors en mars, alors que Strasbourg étouffe sous un épisode particulièrement long d’une pollution de l’air aux particules (PM10), il sort de sa réserve et appelle la Ville de Strasbourg, pour exiger des mesures d’urgence. Le Dr Bourdrel se souvient :

« Nous étions depuis une semaine au-delà du seuil d’information, avec une pollution aux particules dans l’air supérieure à 50 μg/m³ et… rien ne bougeait. Alors qu’ailleurs en France, on mettait en place la gratuité des transports en commun, la limitation des déplacements voire la circulation alternée à Paris. À la mairie, il m’a été répondu que Strasbourg n’était pas concerné ! Et pourtant, le seuil d’alerte a été dépassé par les capteurs placés à proximité du trafic automobile et frôlé par les capteurs situés à l’écart. Ces chiffres auraient dû être suffisants pour déclencher des mesures plus coercitives qu’une simple information des habitants. D’une manière générale, la pollution atmosphérique n’est pas traitée à la mesure du danger qu’elle représente, les seuils sont sous-évalués. »

Les mesures de l'Aspa pendant l'épisode de pollution aux particules de mars 2014 (doc Aspa)
Les mesures de l’Aspa pendant l’épisode de pollution aux particules de mars 2014 (doc Aspa)

Désormais, la procédure inclut les prévisions

Selon une étude européenne, chaque habitant de Strasbourg aurait perdu à 30 ans plus de 5 mois d’espérance de vie à cause de la persistance d’une pollution atmosphérique trop importante. L’Agence pour la surveillance de la pollution atmosphérique en Alsace (Aspa) confirme que l’épisode qui a touché l’Alsace entre le 7 et le 16 mars a été particulièrement long (voir son analyse en PDF) mais que la qualité de l’air est une question de fond autant que de pic. Emmanuel Rivière, directeur-adjoint de l’Aspa, promet que l’alerte de la population sera plus rapide la prochaine fois, grâce à une évolution de la réglementation :

« Nous disposons de modèles à l’Aspa permettant de prévoir les évolutions de la pollution à une voire deux journées. Ces données sont transmises à la préfecture mais jusqu’à très récemment, seuls les dépassements réalisés de seuils étaient pris en compte. Depuis un arrêté publié le 26 mars, il est désormais possible de passer en procédure d’alerte, niveau 2, dès que le seuil d’information, niveau 1, a été dépassé plus de deux jours consécutifs. Ce texte demande au préfet d’anticiper les dépassements et de prendre des mesures avant. »

Il était temps ! Mais si le passage en niveau d’alerte (voir ici la procédure) sera plus rapide, les mesures prises en cas de pics resteront classiques comme l’explique Jean-Claude Herrgott, directeur-adjoint en charge de la protection civile à la préfecture du Bas-Rhin :

« C’est vrai qu’on dispose de nouvelles possibilités avec l’arrêté du 26 mars. Mais la réflexion pour que de nouvelles mesures soient prises débute à peine. Tout ceci prendra du temps et il n’y aura rien de nouveau pour l’été. On réfléchit à la circulation alternée évidemment, mais ce sont des dispositifs qui doivent être annoncés bien en amont et on attend encore les retours d’expériences de son utilisation à Paris. Même chose pour limiter la circulation des camions sur certains axes, il faut que tout ceci soit mis en place en concertation avec les transporteurs. On va aussi harmoniser les procédures à une plus grande échelle, ce sont désormais des plans de prévention qui doivent être conçus à l’échelle de la zone de défense. »

Petits coups de pression citoyens

Pour que ces procédures soient réellement contraignantes et qu’elles soient effectivement mises en place, le Dr Bourdrel a l’intention de créer une association de citoyens, peut-être appelée Strasbourg Respire, et de mener des actions pour maintenir la pression sur la Ville. Un autre collectif d’habitants, appelé pour l’instant Groupe strasbourgeois pour la santé et la qualité de l’air (GSSQA), pourrait joindre ses efforts. Ce dernier collectif, mené par Barbara Bouillon, a déjà rencontré les élus concernés par le sujet de la Ville :

« Nous avons rencontré le Dr Alexandre Feltz (adjoint au maire en charge des questions de santé, ndlr) et Christelle Kohler (adjointe au maire en charge de la ville naturelle, ndlr). Mais nous avons été très déçus. Nous leur avons proposé plusieurs mesures, comme réduire la vitesse de circulation lors du franchissement du premier seuil de pollution atmosphérique, la circulation alternée, des zones d’actions prioritaires pour l’air comme en Allemagne, des subventions pour le remplacement des filtres à particules des anciennes voitures diesel… Mais ils ont surtout tenu à défendre ce qui existe déjà. On a eu l’impression que le problème était nié. »

Car l’ennui avec la pollution atmosphérique, c’est qu’elle ne se voit pas. Le Dr Bourdrel détaille :

« On passe vite à autre chose. Mais j’ai commencé à m’intéresser au sujet depuis que je parcours l’agglomération à vélo. Et quand on s’en rend compte, ça devient obsédant. Quand on est sur un sommet vosgien, on voit Strasbourg au fond d’une mare de pollution. Si cette image était diffusée tous les jours, je suis persuadé que les Strasbourgeois seraient plus exigeants vis à vis des actions publiques à mettre en place. Que nous dit l’Aspa quand un pic survient ? Qu’il faut attendre le vent pour balayer tout ça… On s’est tous endormis alors que notre situation géographique nous commande de nous adapter. »

Un plan de protection guère contraignant

L’agglomération dispose bien d’un Plan de protection de l’atmosphère, de 2009 et révisé fin 2013 (voir cette version, PDF) mais sa portée est insuffisante. L’association Alsace Nature n’y voit qu’une série de « dispositions très générales et non opérationnelles », sauf celle proposant de limiter la circulation sur certaines zones mais, relève Alsace Nature dans un courrier, elle a été « renvoyée à la réalisation d’une étude complémentaire sans calendrier défini. »

Mais même l’association environnementaliste avoue ne pas avoir fait de la pollution atmosphérique une priorité, comme l’explique son directeur Stéphane Braud :

« C’est vraiment compliqué de mobiliser sur ce sujet, parce que les réponses sont connues et que ce sont des sujets de fond : la taxation du diesel, l’écotaxe sur les autoroutes, etc. Et puis à Strasbourg, la pollution aux particules ne provient pas seulement de l’A35, mais aussi du chauffage, des vents d’ouest et plus généralement de la situation géographique, au fond d’une cuvette, de l’agglomération. On a un outil de mesure très performant en Alsace, l’Aspa, et on ne sait pas vraiment quoi en faire. Un mille-feuille administratif termine d’enterrer ce vieux débat que personne ne souhaite mener. »

Peut-être les mouvements citoyens trouveront-ils la clé ? À la CUS en tout cas, Alain Jund, vice-président (EELV) en charge de l’environnement, accueille favorablement ces initiatives :

« On ne peut pas se cacher éternellement sur ce sujet. Il faut le porter politiquement, et en toute transparence. En juillet 2013, la CUS a voté une délibération sur le nouveau plan de prévention atmosphérique mais si ce n’est pas suffisant, nous irons plus loin. On n’a pas encore étudié les possibilités offertes par le nouvel arrêté sur la pollution atmosphérique. Ceci dit, nous sommes ouverts aux suggestions et si des citoyens veulent s’emparer de ce sujet, c’est très bien. »

La CUS devra de toutes façons trouver une solution, et rapidement, puisque la pollution aux particules dans l’agglomération est le sujet d’un contentieux avec l’Union européenne. La commission assigne la France en justice pour manquement aux règles sur la pollution aux particules dans 16 zones, dont Strasbourg.

Aller plus loin

Contacter le Groupe strasbourgeois pour la santé et la qualité de l’air : gssqa@gmx.fr (Barbara Bouillon)

Contacter Strasbourg Respire : strasbourgrespire@gmail.com (Dr Thomas Bourdrel)

Sur le site de la Dreal : Le plan de prévention atmosphérique de l’agglomération strasbourgeoise


#Alain Jund

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