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Du Bastion au Barrage Vauban : 30 artistes sortent de leurs retranchements

Ce n’est qu’à de rares occasions qu’on peut voir le travail des Bastionnais à Strasbourg. Ces jeunes artistes aux carrières en plein développement exposent partout en France, en Europe et au-delà, mais paraissent plutôt isolés dans leurs ateliers-remparts derrière la gare. L’exposition « Bastion Commun » jusqu’au 26 juillet sonne comme un manifeste pour s’unir, se montrer et ouvrir de futurs projets.

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Du Bastion au Barrage Vauban : 30 artistes sortent de leurs retranchements

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Tout a commencé il y a un an, quand quelques Bastionnais ont eu envie de monter un projet commun dans leur environnement au fonctionnement bien particulier. En effet, les artistes qui bénéficient d’ateliers au Bastion sont sélectionnés sur dossier par la Ville et n’y restent que pour un temps donné (2 à 4 ans). Dans ces conditions et sans équipe de pilotage, le bâtiment renferme ses énergies créatives dans ses murs où chacun travaille dans une cellule.

Comme un plasticien n’est pas forcément un coordinateur, les Commissaires anonymes sont venus apporter un point de vue extérieur et orchestrer l’aventure. Derrière ce nom officient Cécile Roche Boutin et Mathilde Sauzet. Elle expliquent leur démarche :

« On a fait une analogie entre la situation au Bastion 14 et une histoire d’Italo Calvino où des marchands, qui se retrouvent tous les ans lors d’une foire, réalisent que leurs réunions sont aussi l’occasion de refaire le monde et d’échanger des savoirs. À partir de là, on a imaginé différents moyens de faire germer une conscience collective pour les Bastionnais. Au cours d’un an de rencontres et d’ateliers, on a beaucoup réfléchi à deux notions qui nous sont chères : l’autonomie et la communauté. Dans le contexte actuel, il est urgent de s’en emparer, et l’art est un excellent vecteur pour cela. »

L’intérieur et l’extérieur

Clothilde Anty -"Horizon" en cours de réalisation
Clothilde Anty -« Horizon » en cours de réalisation.  (Photo CM / Rue89 Strabourg)

Mais le barrage Vauban a lui aussi des aspects de forteresse, avec ses meurtrières et ses cellules grillagées. Certains artistes en jouent et expriment leur volonté de rayonner vers l’extérieur. Clothilde Anty, qui d’habitude peint au lavis sur papier, s’est lancée dans une grande installation intitulée Horizon. Sur l’épaisse muraille, elle colle un panorama de montagnes qui emmène le regard loin au-delà. En écho de l’autre côté du couloir, un personnage à la posture recroquevillée regarde par la fenêtre. Cet ailleurs rêvé et désiré est appréhendé d’une toute autre manière par Thomas Lasbouygues, dont l’installation complexe relève à la fois du dispositif d’espionnage et de la radio pirate.

Antennes indiscrètes et radio pirate

Pendant tout le mois de l’exposition, des antennes vont diffuser les sons captés sur place (attention, vous êtes sur écoute !) ainsi que des bandes sonores concoctées par l’auteur. Des flashcodes installés sur les grilles donnent accès à cette radio clandestine, ainsi qu’à d’autres données sur le bâtiment : archives, contexte géographique, et un lien direct vers la webcam de la cathédrale. Thomas se passionne pour les questions d’information et de transmission :

« Aujourd’hui, les données sont collectées et transitent sans que l’on en ait vraiment conscience. Je veux attirer l’attention sur ces phénomènes, et j’ai imaginé cet ancien ouvrage militaire comme un lieu de contrôle et de piratage. »

Diascope
Capucine Vanderbrouck et Gaëlle Cressent, « Diascope » en cours de réalisation. (Photo CM / Rue89 Strasbourg)

On retrouve cette idée d’observer sans être vu dans le Diascope de Capucine Vanderbrouck et Gaëlle Cressent. Tel un œil monstrueux, ce périscope poétique à double vue pointe hors de l’une des fenêtres, d’un côté vers le ciel, et de l’autre vers la surface de l’eau. Une jolie manière d’arrêter le passant pressé pour concentrer son regard sur les éléments en constant mouvement de la nature, et aussi une belle combinaison artistique où l’image a autant d’importance que l’objet qui la génère.

Réponses aux œuvres actuelles et anciennes du lieu

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Camille Fischer, « Shaking with Linda » (Photo CM / Rue89 Strasbourg)

Les artistes doivent partager l’espace avec les sculptures de la cathédrale entreposées en permanence dans le barrage. Un défi pour lequel Camille Fischer a choisi les statues les plus kitsch pour accompagner son univers baroque et déjanté. Parmi de gros angelots brandissant des bouquets de palmes et affublés de néons bleus, il pleut dans un bassin tandis qu’un poisson s’ébat dans une eau aux reflets phosphorescents… Le décalage des univers se rejoint à merveille dans une ambiance tropicale et vaguement inquiétante.

En montant sur la terrasse, on peut approcher cette œuvre qui se voit de loin : les Haut-parleurs de Vincent Chevillon s’élèvent à 5 mètres au-dessus du toit dans un empilement de nichoirs à oiseaux. Il y a un petit côté « favela » dans l’accumulation de matériaux de récupération de cette pièce initialement pensée pour le Bastion 14, où des militaires (au n°15) sont encadrés d’un côté par des artistes et de l’autre par des roms (l’Espace 16).

« Une forme de squat d’oiseaux »

Vincent s’en amuse, mais il a trouvé une résonance toute particulière avec l’environnement du barrage. Si ses maisonnettes cubiques ont pris des teintes vives, ce n’est pas par hasard : le MAMCS tout proche présente la verrière et le jeu de construction de Buren, qui ont droit à un pied-de-nez – sans rancune. En changeant à peine d’angle de vue, le lien entre l’œuvre et les logements sociaux à l’arrière-plan se dessine dans une correspondance de formes orthogonales. Des HLM pour oiseaux ? L’artiste aime l’idée :

« Si des oiseaux venaient vraiment à nicher, ce seraient probablement des espèces protégées, et il faudrait attendre qu’ils partent d’eux-même pour démonter leur habitation. C’est une forme de squat ! »

Dans ce lieu de passage, les artistes viennent à la rencontre des habitants pour affirmer que l’art a son rôle à jouer dans la marche du monde et dans la vie quotidienne en détournant de la routine, en passant du temps sur des problèmes en-dehors de la rentabilité, et en explorant sans limites les alternatives et les utopies. Le projet Bastion Commun donne un aperçu de la créativité strasbourgeoise tout en impulsant une dynamique qui vise à impliquer le plus grand monde. On y parle de développement, de réseau, de diffusion des jeunes artistes, mais ça c’est pour la suite…


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