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L’hypnose en pleine rue : viol mental ou stimulation du cerveau ?

L’hypnose est utilisée en thérapie, en anesthésie mais aussi dans la rue, pour le spectacle. Entre médecins et hypnotiseurs de rue, on s’accuse mutuellement de détourner l’usage de cette forme extrême de contrôle mental.

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L’hypnose en pleine rue : viol mental ou stimulation du cerveau ?

Plusieurs formes d'hypnose existent, dans la rue méthode flash est la plus couramment utilisée. (Photo CF / Rue89 Strasbourg)
Plusieurs formes d’hypnose existent, dans la rue méthode flash est la plus couramment utilisée. (Photo CF / Rue89 Strasbourg)

Rue des Grandes Arcades à Strasbourg, un samedi après midi, un amas de passants encercle un personnage étrange aux lunettes vertes dont les branches sont posées sur ses tempes. Il manie comme des marionnettes des passants après les avoir « hypnotisés ». Une jeune fille d’une vingtaine d’années s’approche de lui, elle veut tenter l’expérience.

Nicolas Wolff, passionné de neurosciences et de lectures philosophiques, plonge grâce à quelques mots cette jeune fille dans un état de léthargie. La jeune fille, les bras ballants et la tête baissée, ressemble à un zombie. Elle restera dans cette position tant que Nicolas Wolff ne lui aura pas demandé de reprendre possession de son esprit. Il explique :

« L’ hypnose n’endort pas, au contraire : l’attention est décuplée. La sensation de détente est amplifiée. C’est comme rentrer en transe avec de la musique ou de la danse. Milton Erickson, psychiatre fondateur de l’hypnose, disait que 99,9% des gens sont hypnotisables. Pour divertir, dans la rue, pendant la phase d’hypnotique, je demande aux gens de caresser un chat imaginaire, par exemple, c’est mignon et pas dégradant. Ils peuvent rester dans cet état de conscience 2, 10, 30 minutes ».

L’hypnose de rue condamnée par les professionnels

Une pratique qui révolte le Dr Daniel Quin, médecin généraliste pratiquant l’hypnose et vice-président de l’institut Milton Erickson de Strasbourg (IMHESA) :

« C’est un viol, un retournement des personnes, un état sans dessus dessous. L’hypnotiseur de rue s’approche de son sujet, il rompt la distance sociale, la pénètre violemment. La personne est en état de choc. Sidérée, elle ne peut plus s’échapper. Tétanisé, le volontaire peut accepter n’importe quelle suggestion. Il se met dans un état dissociatif pour échapper à la violence. Il faut s’imaginer que ces personnes ressentent quelque chose de comparable à ce que les animaux vivent lorsqu’ils se retrouvent face aux phares d’une voiture en pleine nuit. »

Pour le Dr Quin, l’hypnose est un sujet trop sérieux pour être pratiqué en dehors de la médecine :

« C’est comme donner un pistolet à un tueur. Ce n’est pas le pistolet qui tue. Il faut suivre les règles avec prudence. Nous refusons d’utiliser ces méthodes d’hypnose dites “d’induction flash”. Un dépistage, un diagnostic psychologique est essentiel avant une phase d’hypnose. Sans présélection et sans préparation, les risques de dérapages, avec un client à la psychologie fragile, ne peuvent pas être évités dans la rue. »

Le médecin a vécu un de ces dérapages lors d’un séminaire psychiatrique en Allemagne. Une femme, volontaire pour une expérience d’hypnose, est restée bloquée dans un état de régression à l’âge 5/6 ans durant tout le séminaire. Puis elle a dû être hospitalisée dans un établissement psychiatrique.

Questions sur la méthode « induction flash »

Pour Nicolas Wolff, effectivement l’induction flash est dangereuse dans la rue, mais il assure ne l’utiliser, site rarement et après avoir vérifié l’état émotionnel du sujet avec une méthode « éricksonienne ».
Il dénonce les pratiques non encadrées et refuse d’être associé à une communauté, comme celle de Street Hypnose par exemple. Pour lui, les médecins devraient plutôt s’intéresser aux « jeunes sans expérience qui utilisent l’hypnose flash ».

Chez Street Hypnose Strasbourg, on réfute ces accusations. Pour l’un des membres de cette communauté, contacté via Facebook et qui reste anonyme, l’hypnose de rue et l’hypnose thérapeutique ne sont pas des pratiques opposées mais complémentaires. Il soutient que l’induction hypnotique ne peut être dangereuse puisque l’hypnose est un état naturel, que tout le monde expérimente à longueur de journée.

Numérique et interruptions cognitives

Pour Nicolas Wolff, l’hypnose concerne tout le monde :

« Dans la rue, je n’insiste pas avec les gens qui veulent me prouver que l’hypnose ne marche pas. En revanche, pour les patients qui viennent dans mon cabinet, je trouve toujours un moyen de les faire participer. Derrière le jeu, je veux réveiller les foules, prouver qu’être hypnotisé n’est pas un signe de faiblesse, c’est un dialogue avec l’inconscient qui permet de de réapprendre à utiliser son cerveau. »

D’après Nicolas Wolff, et l’ouvrage de Michel Desmurget, TV Lobotomie, dont il s’inspire, le numérique serait responsable d’interruptions cognitives : le langage, la mémoire, le raisonnement, l’attention, l’apprentissage, le sommeil, toutes ces fonctions, orchestrées par le cerveau, sont altérées par les smartphones, les télévisions et les écrans d’une manière générale.

Nicolas Wolff a découvert l’hypnose à la suite d’une grave maladie neurologique, qui l’a contraint à abandonner ses études de médecine à la sixième année. Aujourd’hui, il ne prend plus de médicaments et se soigne « en méditant et en écoutant son corps ». Pour lui, l’hypnose ne doit pas être l’apanage du corps médical :

« Pourquoi le diplôme universitaire de méditation pleine conscience est réservé aux médecins à la faculté de Strasbourg ? Plutôt que d’interdire la pratique de l’hypnose, il faut apprendre aux jeunes à utiliser leurs cerveaux. Le but n’est pas de manipuler les gens dans la rue, mais de faire prendre conscience à quel point ils le sont déjà ! L’induction flash est présente quotidiennement dans nos vies : dans les pubs, les films violents, les notifications dans les smartphones, etc. C’est un vrai problème de santé publique ».

Un état de conscience modifié

Sous hypnose, le cerveau se met en état de veille et des régions habituellement inactives sont stimulées. Comparable à un sommeil paradoxal, l’état de conscience est modifié, d’où l’effet d’immobilité et de non-réactivité physique. Selon le Dr Quin, l’hypnose est un art de la communication :

« C’est une focalisation interne sur soit, une connexion entre la personne et son imaginaire. L’accès aux souvenirs et aux émotions est étendu, une personne peut se remémorer un souvenir avec un nombre de détails tel qu’elle aura l’impression de le vivre à nouveau. Elle pourra sentir le sable sous ses pieds si son souvenir se déroulait en bord de mer par exemple. L’hypnose fait appel aux aptitudes de chacun, elle développe les compétences et les capacités de réponses. »

Mais l’hypnose peut être déstabilisante pour des personnes ayant eu des antécédents psychologiques. Les messages ancrés peuvent faire resurgir des émotions inattendues chez des personnes dont les comportements ont nécessité une prise en charge médicale ou qui ont des prédispositions pour des épisodes délirants. Dans le jargon, ce sont des personnes aux « terrains fragiles ».

L’hypnose pour traiter les cancers

D’après Nicolas Wolff, la France est en retard sur l’utilisation thérapeutique de l’hypnose. D’autres pays comme la Finlande, l’Angleterre ou l’Irlande soignent des psychoses grâce à des états de conscience qui permettent de comprendre l’origine de certains problèmes.

Pour le Dr Daniel Quin, l’utilisation de l’hypnose devrait être développée dans les traitements du cancer notamment comme méthode anesthésique pour des opérations chirurgicales du sein. La pratique a été également utilisée pour lutter contre la douleur en remplacement de la morphine au centre hospitalier universitaire de Lyon. À Strasbourg, sur les Pages jaunes, l’activité d’hypnotiseur apparaît 390 fois.


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