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Derrière le masque d’un Anonymous

« Un anonymous ne parle pas du mouvement, parce que personne ne parle au nom d’Anonymous. Anonymous n’est personne, Anonymous c’est tout le monde. » RU77 (*) est un « hacktiviste ». Pour Rue89 Strasbourg, il a accepté de témoigner de son engagement et des raisons qui l’ont conduit à rejoindre la nébuleuse.

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Derrière le masque d’un Anonymous

RU77 montre son masque de Guy Fawkes, symbole des Anonymous. (Photo M. Mondoloni)

« En 2011, j’ai fait la campagne de Tunisie, puis j’ai enchaîné avec celle d’Egypte. Ce sont mes deux premières grosses opérations en tant qu’anonymous. » Le vocabulaire est militaire, celui qui l’utilise non. La quarantaine, cadre supérieur dans une entreprise alsacienne, père de famille, RU77 est loin du cliché de l’anonymous « no life », greffé à son ordinateur à enchaîner des lignes de codes. « On ne peut pas faire le portrait d’un anonymous. La mouvance regroupe trop de gens différents. On ne peut pas réduire un anonymous à un anti-ACTA, à un anti-USA, à un pro-Megaupload. Ce serait comme réduire un Bulgare à quelqu’un qui aime les yaourts… »

Il est pourtant l’un des « soldats » de la nébuleuse « hacktiviste » depuis 2010, mouvement qu’il rejoint après la fermeture du site WikiLeaks par le gouvernement américain. « Ce n’était pas pour défendre Julian Assange ou son site Internet, dont je me fous totalement, mais pour lutter contre la décision arbitraire et liberticide des Etats-Unis. »

Après quelques recherches rapides sur internet, il trouve des sites qui expliquent la philosophie du mouvement. « Il n’y a qu’un mot d’ordre: défendre les libertés fondamentales propres à chaque individu: liberté de conscience, de pensée, d’expression… C’est ce qui fédère le mouvement. »

« J’ai fait ma première attaque DDos fin 2010 »

Le mode de fonctionnement à l’horizontal, sans chef, sans porte-parole, séduit également le cadre supérieur. Il « réapprend quelques trucs informatiques », trouve rapidement comment faire fonctionner un serveur ou se connecter au réseau IRC.

Le logiciel de tchat est utilisé par la communauté pour proposer des actions, désigner des cibles, monter des opérations. « On se retrouve à plusieurs centaines. Chacun propose son idée. Parfois on se fait casser ou chambrer. Parfois il y a un nombre suffisant de volontaires qui adhèrent à ton projet. Alors on se rassemble sous la bannière Anonymous et on lance la campagne. Il n’y a pas de vote. »

Fin 2010, RU77 franchit le pas. Il se connecte à IRC et participe rapidement à ses premières attaques DDoS (déni de service). Les sites visés sont ceux qui ont tenté de bloquer l’activité de WikiLeaks: Visa, MasterCard, PayPal, Amazon… « J’en garde un souvenir amusant. Mais je me suis aussi interrogé sur ce que je faisais: est-ce que la pierre que je lançais pouvait blesser quelqu’un, est-ce que j’allais me faire arrêter? » Une angoisse remplacée aujourd’hui par une assurance assumée: « Nous sommes tous des aiguilles dans une botte de foin. C’est compliqué de nous identifier ».

Ancien punk et ancien militant du PS

Parallèlement à ses premières actions, RU77 en apprend plus sur le mouvement qu’il vient de rejoindre. Ancien punk, « anarchiste républicain », ancien militant du Parti socialiste, il pense pouvoir mener avec les Anonymous un combat politique. Il déchante vite. « J’ai proposé des actions contre l’extrême droite, mais on m’a rétorqué, à juste titre, qu’on ne pouvait pas s’en prendre à eux tant qu’ils respectent le processus démocratique. Le jour où ils ne le feront plus, alors on agira. »

En retrait depuis plusieurs mois, RU77 est redevenu actif après la fermeture de Megaupload . (Photo M. Mondoloni)

Le côté apolitique de la nébuleuse se confirme lors des campagnes tunisiennes et égyptiennes. Lors de celles-ci, RU77 explique avoir mené certaines actions avec des gens dont les « opinions différaient fortement [des siennes] » . « Cela ne me dérange pas. Le combat politique, je le mène dans la cité, pas avec les Anonymous. Il faut faire la part des choses. Mais ce que je gagne dans l’un, je l’apporte dans l’autre. »

« Je n’ai jamais téléchargé illégalement »

C’est selon lui ce que le grand public, les politiques ou les journalistes ne comprennent pas dans la mouvance « hacktiviste ». Si Anonymous est intervenu en Egypte ou en Tunisie, ce n’est pas pour s’opposer à Ben Ali ou à Moubarak, mais pour s’opposer à la censure mise en place par les dictateurs sur internet, explique l’ « hacktiviste ». « La campagne tunisienne des Anonymous n’a pas commencé avec l’immolation et la mort d’un jeune homme à Sidi Bouzid. Elle a débuté quand Ben Ali a censuré Facebook, Twitter ou certains blogs. »

Idem en Egypte où les Anonymous menacent le gouvernement quand il touche aux « libertés fondamentales ». (Voir la vidéo)

Après le printemps arabe, RU77 prend un peu de recul par rapport au mouvement. Il ne participe plus activement, mais suit les actions de la nébuleuse: Sony, Vivendi… « Je suis redevenu actif avec la fermeture de Megaupload. Et pourtant, je n’ai jamais téléchargé un film ou un morceau de musique illégalement, explique l’hacktiviste en montrant du doigt son impressionnante discothèque. Là encore, c’est juste pour défendre la liberté sur internet. Le FBI n’a pas le droit de fermer un site sans procès. C’est une injustice. »

Pour RU77, Internet est un nouvel espace pour l’être humain, « comme l’était l’Amérique quand on l’a découverte ». Cet espace est, selon lui, aujourd’hui en danger. Il veut le défendre contre ceux qui tentent de le contrôler, de le régir. Son nouveau combat: ACTA, l’accord commercial anti-contrefaçon. Il a participé « sans grande conviction » à la manifestation strasbourgeoise du samedi 11 février. « Je ne crois pas au combat anonymous dans la rue. Ma place est derrière mon ordinateur. »

(*) L’anonymous rencontré nous a expliqué avoir plusieurs pseudonymes en tant qu’hacktiviste. Il a choisi RU77 spécialement pour cette interview: RU pour “Are you” et 77 pour l’année de naissance du mouvement punk. RU77 peut ainsi se traduire par “Are you punk” (Es-tu punk).

Pour aller plus loin:

Voir le reportage d’Alsace20

 Les Anonymous alsaciens

 


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