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Ce que Bouygues va faire du quartier d’affaires Wacken-Europe

D’ici l’été, Strasbourg et Bouygues Immobilier signeront la promesse de vente des terrains situés entre la Maison de la région et le Parlement européen. Objectif: ériger un quartier d’affaires ultra-moderne d’ici 2016. A quoi va-t-il ressembler ? Ce projet est-il opportun en temps de crise ? Eléments de réponses.

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Ce que Bouygues va faire du quartier d’affaires Wacken-Europe

Le parc des expositions sera bientôt détruit ; à la place s’élevera le nouveau quartier d’affaires Wacken-Europe. (Photo M.M.)

Pourquoi construire des bureaux à Strasbourg alors que l’offre est déjà surabondante selon certains professionnels ? Pour preuve : le Lawn, immeuble de bureaux situé à proximité des sièges du CIC et du Crédit Mutuel, encore à moitié vide trois ans après sa livraison. Ou d’autres, route du Rhin, qui ont été réaffectés à du logement.

Parce que ce constat n’est pas partagé pas la municipalité, qui s’appuie sur un diagnostic des milieux d’affaires, et sur deux études commandées aux cabinets privés Algoé et Ernst&Young en 2009 et 2010. Selon ces bilans, Strasbourg souffrirait d’un manque chronique de mètres carrés de bureaux, surtout sur ce qu’on appelle « le segment prime » (haut-de-gamme), sur un site « intégré » (un quartier à l’urbanisation dense ; par opposition à une zone d’activité comme le parc d’innovation d’Illkirch ou l’Espace européen de l’entreprise à Schiltigheim), au cœur de la ville et accessible en transports en commun.

Bouygues choisi dès novembre 2011


Afficher Aménagement du Wacken sur une carte plus grande

Alertée par ces conclusions, la Ville a décidé de vendre à un opérateur privé les terrains compris entre la place Adrien-Zeller (ex-place du Wacken) à l’ouest et les institutions européennes à l’Est, le boulevard de Dresde au nord, l’allée du Printemps au sud (voir la carte ci-dessus). Et fait voter le 21 novembre 2011 une délibération en conseil municipal, entérinant le choix de Bouygues comme partenaire de discussion pour ce projet. Extrait :

« Pour mesurer la faisabilité et la pertinence de ces objectifs, les collectivités strasbourgeoises ont souhaité confronter le projet Wacken-Europe à l’expertise d’acteurs économiques et d’opérateurs immobiliers en capacité de porter une telle opération et d’apporter les garanties nécessaires à sa réalisation. A l’occasion de [cette] communication, plusieurs opérateurs immobiliers dont deux groupes nationaux, Nexity et Bouygues Immobilier, ont manifesté leur intérêt pour le projet. Ces deux derniers ont proposé à la collectivité des réponses globales pour ce secteur, fondées sur un projet architectural cohérent, une démarche environnementale ambitieuse, et une programmation immobilière et économique argumentée. Après examen des projets présentés, la Ville a considéré celui porté par le groupe Bouygues Immobilier comme le plus performant et le plus adapté aux objectifs. »

Délibération du conseil municipal (21 nov. 11)

Un choix et une méthode immédiatement critiqués par l’opposition municipale (vidéo), pour qui l’attribution de ces terrains n’a pas fait l’objet d’une procédure suffisamment transparente :

« La délibération qu’on nous à présenté en novembre était extrêmement légère, se souvient Fabienne Keller, sénatrice UMP et ex-maire de Strasbourg. Cette première tranche du quartier d’affaires, dont la programmation ne me choque pas sur le fond, n’a fait l’objet d’aucun cahier des charges, d’aucun appel d’offres. Même si la municipalité n’y était pas obligée, ces procédures étaient les seuls leviers qu’elle avait pour aménager cette zone en cohérence avec l’intérêt général, notamment en amenant l’opérateur à s’engager sur un prix de sortie au mètre carré. »

Bouygues contraint à 20% maximum de surface construite en logements

Plusieurs mois plus tard, alors que la négociation entre la Ville et Bouygues a bien avancé, Alain Fontanel, adjoint au maire chargé des finances, précise : « La délibération de novembre n’a permis que d’enclencher les choses avec l’opérateur, avec lequel les discussions sont encore en cours. Le protocole d’accord devrait être signé avant l’été ». Ce protocole est en fait une promesse de vente des 100 000 m² de terrains du secteur, moins 35 000 mètres carrés environ qui seront proposés aux Institutions européennes si elles souhaitent agrandir leurs locaux. La promesse de vente portera donc au minimum sur 67 000 mètres carrés de SHON exactement, dont un lot seulement (équivalent à 15 000 mètres carrés) sera vendu dans un premier temps.

« Cette vente par lots – quatre au total – nous permet de vérifier que Bouygues tient bien ses engagements et construit bureaux, locaux commerciaux et logements dans la proportion qui nous convient, soit respectivement environ 80-20%, reprend l’adjoint aux finances. Ces 20% de logements sont indépassables ! A chaque fois, pour passer au lot suivant et voir le permis de construire signé, il faudra que l’opérateur ait respecté ses engagements. Si Bouygues attend trop longtemps entre deux lots, nous pourrons faire valoir une clause de caducité de la promesse de vente et demander des indemnités d’immobilisation foncière, car les terrains vont prendre de la valeur au fil des années. De cette façon, nous maintenons le contrôle sur Bouygues qui, seul, prend tous les risques, puisqu’il compte investir entre 150 et 200 millions d’euros dans cette opération (prix des terrains non compris). »

Une belle opération pour Bouygues

Prenant « tous les risques », Bouygues encaissera aussi tous les bénéfices puisque le groupe se chargera lui-même de l’aménagement du site et de sa commercialisation. « Aucun souci », si l’on en croit Yves Noblet, directeur associé pour la région Est de BNP Parisbas Real estate, chargé de cette mission pour Bouygues :

« A ce stade, nous n’avons encore signé avec personne, mais de grands groupes (ndlr: surtout locaux) se disent intéressés. Et pour cause : ce nouveau quartier sera proche des institutions européennes, mais également du nouveau Parc des expositions et du Palais de la musique et des congrès agrandi et rénové. De gros atouts pour nos clients, qui recherchent des locaux de grande qualité écologique et architecturale, proches du centre-ville. Or actuellement, cette offre n’existe pas à Strasbourg, où le taux de vacance des bureaux est de 5,2% ; en baisse et faible par rapport à d’autres villes comparables. Nous sommes à la limite de la tension sur ce marché. »

Etude de Marche 2011 BNP Paribas

Chez Rive Gauche CBRE, la conseillère spécialisée en immobilier d’entreprise Elisabeth Vidal confirme le manque, mais nuance l’optimisme affiché par Noblet:

« Effectivement, de grands groupes comme Orange ou Steelcase ont dû s’implanter dans le parc tertiaire de Schiltigheim ces dernières années, par manque d’offre de bureaux en ville. Il existe aujourd’hui 144 000 mètres carrés de bureaux disponibles à Strasbourg et nous en consommons plus de 60 000 par an. Dans deux ans donc, on pourra parler de pénurie de bureaux si rien ne se construit. A terme, il y aura de la place pour ce quartier d’affaires, mais il faut que sa création soit scindée en plusieurs phases. Tout faire d’un coup serait une erreur ».

Etude Rive Gauche Cbre

 « Le Wacken est excentré, loin de tout ! »

Mais tous les professionnels du secteur ne sont pas aussi emballés par le projet, et rares sont ceux qui acceptent d’exprimer leur pessimisme. Deux promoteurs ont cependant accepter de nous répondre, à condition que nous gardions leurs déclarations anonymes. Le premier s’emballe : « A Strasbourg, on a quatre ans de stock de bureaux sur les bras (ndlr: « 2 ans » semble être plus près de la réalité…). Une situation catastrophique qui n’est pas nouvelle, mais taboue. Et les politiques sont à contre-cycle ! Quand il y a une fenêtre de tir (ndlr : l’arrivée du TGV en 2007 par exemple), on ne voit rien venir. Et aujourd’hui que l’économie est à l’arrêt, ils montent des grands projets… qui vont se planter ! » Et de reprendre : « A Lille ou Lyon (ndlr: villes dont les quartiers d’affaires sont très dynamiques), les bureaux ont été construits à proximité de la gare. Le Wacken, lui, est excentré, loin de tout. »

Pour le second : « Il serait plus logique de terminer les projets déjà lancés, à l’Espace européen de l’entreprise notamment, avant de créer une offre nouvelle. Le marché est atone et les entreprises qui cherchent des locaux ne souhaitent pas forcément du « prime ». Certaines négocient même les prix parce qu’elles savent qu’on a peu de clients ». Et d’ajouter : « Pour Bouygues*, le risque est faible. Le n°2 français a les reins solides et pourra attendre 10 ans avant de tout placer. Même si le groupe s’engage à payer des pénalités, il les renégociera avec la Ville au besoin… » Pas très « europtimist », mais réaliste ? « Ceux qui disent ça sont des jaloux, frustrés ne pas avoir été retenus… » arguent l’adjoint aux finances ou Yves Noblet.

Le premier lot devrait concerner le terrain de l’ancienne patinoire. (Photo M.M.)

Côté calendrier, les travaux sur le lot n°1 (au niveau de l’ancienne patinoire) devraient débuter fin 2013, pour une livraison en 2015. Très vite, le théâtre du Maillon sera détruit et déplacé – sans doute en face de la Maison de la Région – et le hall où se déroule habituellement la Foire européenne rasé. Le quartier d’affaires pourrait ensuite s’étendre au nord de la place Adrien-Zeller (parking des Hall K et 20…) après 2016, en cas de succès de la première tranche. Cette seconde phase, plus importante encore que la première (120 000 mètres carrés de SHON) fera l’objet d’un nouveau marché.

* Sollicitée, la personne en charge du dossier Wacken-Europe chez Bouygues Immobilier n’a pas été disponible pour répondre à nos questions.


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