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Pinar Selek : exilée à Strasbourg, jugée à Istanbul

La sociologue turque Pinar Selek, militante féministe et antimilitariste actuellement en exil à Strasbourg, doit être rejugée aujourd’hui à Istanbul pour « actes de terrorisme ». Blanchie à plusieurs reprises, cette femme, devenue le symbole des dérives du système judiciaire turc, risque la perpétuité. Doctorante en Sciences Politiques, elle continue sa lutte depuis la capitale alsacienne.

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Pinar Selek : exilée à Strasbourg, jugée à Istanbul

Pinar Selek, doctorante en Sciences Politiques à Strasbourg, encourt la prison à vie en Turquie. (Photo AN)

Difficile de croire qu’on cause avec une terroriste. Le sourire généreux, l’assurance mûre et posée d’une femme d’envergure, Pinar Selek, 40 ans, s’excuse de son français maladroit et choisit ses mots avec minutie et labeur. C’est pourtant en français qu’elle écrit sa thèse à l’Institut d’études politiques de Strasbourg sur les mouvements d’émancipation en Turquie. Arrivée l’an dernier, c’est ici qu’elle prolonge son exil entamé il y a trois ans à Berlin:

« J’ai choisi Strasbourg pour plusieurs raisons. D’abord, j’aime traverser les frontières. Et puis j’avais des amis ici. Ce que j’apprécie, c’est que la ville n’est pas trop grande, tu peux y faire plein de choses, ne pas t’y perdre ou t’y fondre, sortir facilement dans la nature pour respirer, te sentir exister. Et c’est une très belle ville, un peu comme dans un conte. J’ai écrit des contes pour enfants. Parfois, je marche dans les rues et continue d’écrire des histoires dans ma tête. »

« Cela va faire 14 ans que ça dure »

Pourtant, son quotidien n’a rien d’un conte de fées. Plutôt d’un drame contre-utopique sur fond de machinations politiques. La sociologue turque jongle avec les heures, prépare des interventions et des conférences, écrit, milite à distance en Turquie. Aujourd’hui, jour de son quatrième procès à Istanbul, elle se rend à Hambourg pour une présentation de son dernier roman traduit en allemand.

Pendant ce temps, la Cour d’Assises d’Istanbul se penche encore une fois sur son cas. Elle est accusée d’avoir participé en 1998 à l’attentat du bazar égyptien d’Istanbul. Sauf que depuis, elle a été acquittée trois fois (en 2000, 2006 et 2011) et plusieurs rapports des experts de police ont prouvé que l’explosion a été provoquée par une fuite de gaz et non une bombe. Mais à chaque fois, le procureur fait appel. Il demande la prison à vie pour Pinar Selek. Elle n’a aucune idée de ce qui en sortira cette fois:

« Il y a plusieurs possibilités : la Cour peut classer le dossier et on n’en parle plus, ou l’envoyer en cassation et cette fois la décision sera définitive et certainement la perpétuité. Ou, dernière alternative, la procédure peut être prolongée. Dans ce cas, peut-être que le procureur peut créer de nouvelles accusations. Car il n’accepte pas les décisions des juges. Cela va faire 14 ans que ça dure, alors on ne peut pas vraiment deviner. C’est juste ce que nous imaginons. »

Emprisonnée et torturée

Pour elle, aucun doute : ce procès est politique. Car ses travaux se concentrent sur l’émancipation des opprimés, enfants des rues, SDF, trans’, homosexuels. Et deux sujets avec lesquels on ne badine pas en Turquie : les minorités kurdes et l’antimilitarisme. Son calvaire a d’ailleurs commencé après des travaux sur le PKK, le parti travailleur kurde interdit en Turquie. La police voulait des noms. Ceux des personnes qu’elle a interviewées. Elle refuse de les livrer, même sous la torture. Elle passe deux ans et demi en prison « dans une section réservée aux détenues politiques, pour ne pas contaminer les autres avec nos idées ».

Dans une interview à streetpepper.fr de l’an dernier, elle témoigne des actes de torture subis :


Turquie > Témoignage de Pinar Selek sur les… par fidhdailymotion

Une condamnation lui serait « insupportable ». Elle avoue souffrir encore de troubles post-traumatiques. A peine résignée à l’exil, elle ne baisse pas les bras. Ses armes sont les mots:

« Je participe à des réunions et même des conférences par Skype, je continue à éditer une revue féministe en Turquie, Amargi. Je dois continuer et résister, même si c’est très difficile. Car tout le monde me regarde et je dois montrer l’exemple. »

L’énorme solidarité qui l’entoure lui en donne le courage, dit-elle. Elle est soutenue par une grande partie de l’intelligentsia turque, dont le prix Nobel de littérature Orhan Pamuk. Des comités de soutien ont été créés, dont un en France. Il organise pour elle, le 8 mars (demain*), une soirée de solidarité à l’Aubette.

Ses livres commencent à être traduits en français : son roman paraîtra à la rentrée aux éditions Liana Levi (le titre initial, pas encore arrêté en français, signifie « L’auberge des passages »), en même temps que son étude sur la construction de la masculinité par le service militaire. Les éditions iXe préparent une sélection de ses articles. En attendant, la maison propose un petit fascicule intitulé « Loin de chez moi… mais jusqu’où ? », dès demain, à la soirée de soutien.

*Soirée de soutien à Pinar Selek, « Féministes sans frontières » : le 8 mars 2012 à 18h30 à la grande salle de l’Aubette, place Kléber à Strasbourg.


#Kurdes

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