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Médiathèques : Landru et « la » femme

Quatrième volet de la série sur les perles des médiathèques de Strasbourg : initialement, La Journée de la femme (« célébrée » chaque 8 mars) devait nous mener en territoires féministes. Mais le grotesque de l’appellation (c’est qui « la » femme ?) a fait dévier ce projet (reporté à la semaine prochaine). A la place aujourd’hui : sous quelles formes trouve-t-on Henri-Désiré Landru dans les divers fonds des médiathèques strasbourgeoises.

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Médiathèques : Landru et « la » femme

Un livre :

Ce qui nous a fait glisser du féminisme à Landru c’est la lecture d’un tout petit livre rouge à la très vilaine couverture, mais au titre des plus accrocheurs : Landru, précurseur du féminisme, présenté comme la correspondance inédite – du 5 mai 1919 au 10 février 1922 – entre le tueur en série quinquagénaire Henri-Désiré Landru et le jeune philosophe Jean-Baptiste Botul. En effet, dans une lettre datée du 8 juin 1919, Botul écrit hardiment à son « cher Henri », pourtant accusé d’avoir séduit puis assassiné dix femmes et le fils de l’une d’elles afin de les voler. On ne retrouva pas les corps, incinérés dans la cuisinière de sa maison, à Gambais :

(…) « Nous en étions restés à 1913. A cette date, brimée dans ses élans, éduquée à la passivité, qu’est-ce que la femme peut espérer ? Le veuvage, certes. Ou, plus simplement, le rêve d’un monde meilleur. Le prince charmant, son fougueux étalon, le retour du Christ et ses promesses de septième Ciel… Les féministes ont bien compris que les femmes ne pouvaient pas se contenter de cette attente passive. Le Prince attend moins la princesse charmante qu’il ne recherche la bergère consentante. Comme le disait Louise Michel, « le féminisme, c’est de ne pas compter sur le Prince charmant ». »

C’est ce principe que vous avez décidé de mettre en application : la femme attend l’amant élégant, prévenant et vigoureux qu’elle n’a jamais rencontré, celui qui la révélera et la comblera ? Vous êtes devenu cet homme !

(…)

Humilier les plus humbles pour susciter la révolte féministe : voilà votre méthode ! Il ne restait plus qu’à ces femmes, blessées, mais libérées, à partir pour l’étranger commencer une nouvelle vie. » (…)

C’est tellement énorme que c’en devient jouissif, d’autant que les réponses de Landru sont à l’avenant. On en apprend un peu plus sur Botul dans une postface signée Jacques Gaillard, maître de conférence retraité de l’Université Marc-Bloch de Strasbourg, qui annote les « rares » écrits botuliens (ce philosophe ne croyant qu’à l’oralité) pour les éditions Mille-et-une-Nuits. Sauf qu’en fait, après investigations, un rabat-joie indique sur Wikipedia que Botul est une invention, et la lecture de La métaphysique du mou ne laisse en effet pas vraiment de place au doute. Mais ça reste très drôle et puis cela faisait longtemps qu’on n’avait pas eu droit à un si réjouissant canular littéraire. On peut trouver ces deux ouvrages à la BMS, il faut demander Landru, précurseur du féminisme  au magasin ; la médiathèque Malraux l’a aussi.

Un autre livre :

Landru, précurseur du féminisme prouve que Landru continue à faire galoper les imaginations, comme ce fût le cas dès le début de cette affaire :

« Il est aisé de falsifier l’Histoire à l’insu du public : il suffit qu’un bruit se répande avec insistance et qu’il prenne l’apparence de la vérité… La rumeur est un bâtisseur de légendes. C’est ainsi que le nom de Landru s’est perpétué dans les mémoires : Henri Désiré Landru ! Plus de quatre-vingt ans après son exécution capitale, il défie encore toute concurrence au panthéon du crime. Célébré de son vivant par la presse et par la rue, sa réputation s’est imposée dans l’imagerie collective jusqu’à devenir une référence. A la décharge de l’opinion, il faut reconnaître qu’en affrontant la morale publique et la société de son temps, fort de ses extravagances et de ses inconséquences, il s’était abandonné à toutes les spéculations. « S’il ne s’était pas appelé Landru, souligne ironiquement Alphonse Boudard, il ne serait pas entré dans les mémoires ! » Par le rôle de catalyseur qu’il a joué dans les premières années du XXe siècle et par son art de la représentation, son personnage appartient tout entier au patrimoine français. »

Ainsi commence Landru – Bourreau des cœurs de Gérard A. Jaeger (éditions L’Archipel, disponible aux médiathèques Malraux et Sud), un livre sérieux et prenant qui n’oublie évidemment pas le contexte dans lequel cette affaire est née et qui propose quelques photographies en plus de son récit. Pour la petite histoire, Jaeger a par ailleurs écrit une biographie d’Anatole Deibler, le bourreau qui exécuta Landru en 1922 (L’homme qui trancha 400 têtes, éditions Le Félin).

Une bande-dessinée :

Certaines des spéculations les plus fantaisistes sur l’innocence possible de Landru et ce qui lui serait réellement arrivé après son procès, sont reprises par Chabouté dans sa bande dessinée, Henri Désiré Landru (éditions Vent d’Ouest, disponible à la BMS, à Cronenbourg, Neudorf et Robertsau, ainsi qu’à la médiathèque Malraux). Un beau récit noir – en noir et blanc – sur le sort plus ou moins injuste réservé au piteux petit barbu.

Un film :

Le cinéma s’est bien sûr également emparé du personnage de Landru. Orson Welles a notamment suggéré à Charlie Chaplin l’idée de s’en inspirer pour Monsieur Verdoux (édité en DVD par MK2, disponible aux médiathèques Malraux, Ouest et Sud, ainsi qu’à Neudorf), son film le plus noir – et le plus drôle !

Un autre film :

Claude Chabrol, aidé au scénario par Françoise Sagan, a lui aussi pris le parti de faire rire avec Landru : l’exceptionnel Charles Denner prête ses traits à Henri-Désiré dans Landru (édité en DVD par Opening, disponible à la médiathèque Malraux).

Quelques curiosités :

Charles Trenet, en a fait une chanson : Landru (vilain barbu) que vous pourrez entendre sur le disque Les voix du ciel (édité par EMI, disponible à la BMS) et Christian Simeon en a tiré une pièce de théâtre, Landru et fantaisie : une conversation entre Anatole Deibler, bourreau français, et Henri-Désiré Landru, homme du monde (parue à L’Avant-Scène, disponible à la médiathèque Sud).

Enfin, il y a un document qu’on ne vous autorisera pas à emporter chez vous mais que vous pourrez consulter à la médiathèque Malraux, il s’agit de L’affaire Landru, d’Henri Béraud, Emmanuel Bourcier et André Salmon, édité en 1924 par Albin Michel : il faut le demander au patrimoine (3e étage) et on vous l’amène sur un petit coussin, expérience délicieuse.  Et puis le style du livre, critique et alerte, vaut le détour :

« Un roman s’ouvrait avec du sang sur les pages : on se jeta dessus. Les reporters coururent aux renseignements. Ils rapportèrent joyeusement, chaque jour, un cadavre.

Trois femmes ont disparu. Landru les a-t-il supprimées ? écrit le Petit Parisien.

Et toute la foule badaude, noircie par tant de vêtements sombres de veuves et d’orphelins qu’on ne pouvait les compter s’enfiévra de ce fait-divers, et piqué par une singulière tarentule, réclama des détails, encore des détails, toujours des détails, pour savoir ce qu’étaient devenues les folles amoureuses du Sire de Gambais, chauve et barbu, dont les mots goguenards et les ruses commençaient à courir les salles de rédaction et se répandaient dans la rue. »

Rien à voir

PS : Comme la semaine prochaine Virginie Despentes fera partie de notre tour d’horizon féministe, signalons sa présence à Strasbourg demain, vendredi 9 mars à 20h15 au cinéma Star StEx, pour l’avant-première de son nouveau film, Bye Bye Blondie.

Série « Médiathèques », les précédentes éditions :


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