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Les fournisseurs de la Coop inquiets pour leur avenir

La restructuration en cours du groupe Coop Alsace prévoit de transférer les magasins de proximité (les Points Coop) à Casino. Pour des fournisseurs historiques de la Coop, ces changements sont synonymes de difficultés nouvelles et d’adaptations. Ils craignent des baisses de commandes et des logiques de distribution qui les dépassent. L’association de soutien aux Coop d’Alsace organise un pique-nique géant dimanche à Strasbourg.

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Les fournisseurs de la Coop inquiets pour leur avenir

Apéro-Coop à Muttersholtz. (Photo Arsca)

L’Alsace est-elle en train de perdre l’une de ses spécificités ? Le groupe Coop avait réussi à former une micro-économie alsacienne de la distribution, où des fournisseurs régionaux, même petits, même artisanaux, alimentaient une chaîne de distribution de plus de 150 magasins dits « de proximité ».  On trouvait ainsi dans des villages comme Wittisheim, 2000 habitants, les fromages produits par la ferme Durr à Boofzheim ou les yaourts Climont de Saâles. Sans le savoir, les Coop avaient inventé bien avant l’heure les « circuits-courts », concept à rebrousse poil de la mondialisation, selon l’analyse de Jean Vogel, maire de Saâles.

Un premier coup de canif est intervenu dans cette économie lorsque la Coop s’est adossée au groupe Leclerc pour ses hypermarchés en 2008. Tout à coup, les fournisseurs de la Coop ont dû faire de la place aux produits référencés dans le groupe de distribution breton, et s’adapter à de nouvelles conditions d’achat. Alors que la Coop s’apprête à s’adosser à Casino pour ses magasins de proximité, les fournisseurs redoutent d’avoir à nouveau à s’adapter.

Quand les ordinateurs passent commande

Pour certains, comme Alfred Zacher, producteur d’œufs à Preuschdorf, le rapprochement entre la Coop et Casino est une catastrophe :

« La Coop était un bon client, partenaire, sérieux, fiable. Ils sont peut-être les derniers des Mohicans dans le business de la distribution, mais ils le font bien. Ils ont un système de commandes qui leur permet d’être livrés à 14h lorsqu’un ordre est passé à 8h, parce que c’est anticipé, correctement géré. D’autres clients sont ingérables, ils ne savent plus passer de commandes. Des ordinateurs le font pour eux d’ailleurs… Et on se retrouve avec des commandes monstrueuses après-Pâques parce que l’ordinateur s’est calé sur les commandes de Pâques… On est dans un système aberrant où la Coop était normale. »

Christian Haessig, producteur des yaourts Climont à Saâles, regrette aussi que le reste de la grande distribution ne suive pas l’exemple de la Coop :

« La Coop, c’était du commerce responsable, citoyen, éthique. J’aimais bien ce côté « plouc », c’était très agréable d’être un fournisseur de la Coop. Aujourd’hui, il faut se battre avec les centrales… Les conditions d’achats sont âprement négociées. Evidemment, on y gagne en volume mais l’activité est moins rentable. Avec la Coop, on n’avait pas ces négociations folles qui dépassent tout bon sens et qui conduisent les producteurs à vendre en dessous du prix de revient. »

Finies les tendresses dans la distribution

Tout se passe comme si la brutalité du monde moderne venait tout à coup frapper à la porte de la Coop avec insistance. Si les regrets des temps anciens sont souvent présents chez les fournisseurs de la Coop, une partie d’entre eux ne s’étonnent guère que le groupe ait perdu 120 millions d’euros en quatre ans. Bruno Siebert, producteur de volailles à Erguersheim :

« La Coop n’a jamais évolué. C’est vrai que c’est un bon acheteur mais leur système est tellement vieillot ! Ils utilisent encore des procédures qui datent des années 1980, ils sont incapables d’entrer dans les systèmes actuels informatisés de la distribution. J’ai beaucoup d’estime pour la Coop, qui a fait beaucoup pour les productions régionales, mais ils ont raté un tournant et voilà où on en est… Si la Coop ferme, je perds 300 000 d’euros de chiffre d’affaires quand même. D’autres filières seront déstabilisées lorsque Casino demandera une partie des achats… Et d’ailleurs, personne ne nous a encore rien dit sur Casino. Pourtant, être référencé dans une nouvelle centrale d’achat prend du temps, c’est des mois de négociations ! »

Lorsque Leclerc a commencé à faire cohabiter les salades de Bretagne dans les hypermarchés avec celles des producteurs locaux, ces derniers en ont forcément pâti. Toute une économie locale d’agriculteurs, d’éleveurs et de transformateurs s’est bâtie sur un mode de distribution qui s’écroule aujourd’hui. Pour Gilles Hirschfell, de TBRA (tripier à Strasbourg), le pire pour les fournisseurs est de n’avoir aucun poids sur les manœuvres en cours :

« On a constaté que la part de notre chiffre d’affaires vers les anciens magasins Coop a fondu depuis que Leclerc est arrivé. Donc s’il se passe la même chose avec Casino, oui, on est inquiets. On est tristes même, mais que peut-on faire ? On se renseigne, mais on ne sait rien… On ne connait pas Casino et on n’a pas la dimension pour envoyer nos produits dans les réseaux français. Donc on attend. »

« On n’a pas envie d’arrêter de travailler avec nos fournisseurs »

Du côté de la Coop, on temporise. La direction reste vague sur la nature du rapprochement avec Casino et l’étendue de ce qui est concédé au groupe stéphanois pour qu’il participe au sauvetage du groupe. Serge Lorentz, chargé de la communication de la Coop, tient à rassurer tout le monde :

« Dans les accords avec Casino, la Coop a gardé la plate-forme d’approvisionnement de Reichstett, justement pour ne pas se priver des producteurs locaux. Donc on se mettra autour d’une table, Casino amènera ses fournisseurs, nous les nôtres et on verra à partir de là. On n’a pas envie d’arrêter de travailler avec nos fournisseurs, on reste maîtres d’œuvre des achats, ils n’ont pas besoin de se référencer chez Casino. Pour les producteurs locaux, l’arrivée de Casino peut même être une chance puisqu’ils pourront profiter de la centrale d’achat nationale du groupe s’ils le souhaitent et s’ils ont les volumes nécessaires. »

Les yaourts Climont d’ailleurs viennent de débuter un référencement auprès de Casino et pour Christian Haessig ; le fait qu’il soit un fournisseur de la Coop a certainement joué favorablement dans ce dossier. Mais alors que 400 personnes ont fait valoir leur intention de profiter du plan de départs volontaires de la Coop, que les responsables de magasins pourraient être transformés en gérants indépendants, et que l’impact de l’arrivée des produits Casino dans les étals alsaciens n’est pas connu, l’avenir s’annonce bien incertain pour des dizaines d’agriculteurs et de producteurs régionaux.

 

Y aller

L’association de soutien aux Coop d’Alsace organise un pique-nique géant, dimanche 29 avril de 11h à 15h, place Kléber à Strasbourg.


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