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De plus en plus d’enfants pauvres à Strasbourg, l’accueil en flux tendu

Le 28 mai dernier, l’Unicef publiait un rapport présentant un taux de 10% d’enfants en situation de précarité en France, selon des critères comme la diversité alimentaire, la socialisation, etc. A Strasbourg, un quart des enfants de moins de trois ans sont issus d’une famille démunie selon la Ville. Reportage dans le milieu associatif strasbourgeois, qui s’efforce d’aider les parents à subvenir à leurs besoins.

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Distribution de petits pots au resto du coeur bébés de la Meinau (Photo AC)

Tulay Goban, étudiante de 23 ans en Master Intervention sociale, s’est engagée auprès du Secours populaire il y a 5 ans. Les distributions alimentaires s’y font dans le cadre d’une épicerie sociale avec une participation symbolique pour les personnes qui s’y rendent, plutôt que par colis où « les gens n’ont pas le choix de ce qu’ils consomment ».

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Tulay, 23 ans, envisage une carrière professionnelle au sein d'une ONG

Impressionnante d’entrain et de conviction, la jeune femme termine un mémoire sur « l’expérience infantile de la précarité », tout en animant la section Copains du monde du Secours populaire du Bas-Rhin, qui propose à des enfants volontaires de défendre les droits de l’enfance au niveau international grâce à des actions de solidarité.

« L’enfant perçoit les injustices »

Tulay a rencontré beaucoup d’enfants strasbourgeois, souvent trimballés d’hôtel en hôtel et qui ont connu des semaines passées à la rue, entraînant des absences à l’école parfois longues. Pour autant, elle explique que l’enfant peut puiser en lui des ressources qui protègent son psychisme de la misère :

« La première différence de perception des difficultés de sa famille est liée à l’âge. De 6 à 9 ans, l’enfant ne va pas forcément être conscient de ce qui se passe. Je connais une gamine de 8 ans qui est incapable d’expliquer pourquoi elle et ses parents ont appelé le 115 et séjourné à l’hôtel. La seule chose qu’elle me disait c’est « les autres dorment dans une maison, moi à l’hôtel, c’est pas normal ». En fait, la socialisation commence à partir de 6-7 ans, les enfants se comparent vers 8 ans et ressentent alors fortement les injustices, dont les raisons leur sont inconnues. A la puberté, ils se détachent de leurs parents, se cherchent d’autres références, certains vont être dans la transgression, d’autres plutôt dans la solidarité familiale. Enfin, à l’adolescence, les réactions face à la pauvreté subie sont multiples et très différentes entre les personnes. »

Ville frontière, Strasbourg plus exposée

A Strasbourg plus qu’ailleurs en France, nombreux sont les enfants pauvres d’origine étrangère car c’est une ville frontière qui reçoit énormément de demandeurs d’asile. Tulay observe que les enfants de migrants apprennent plus vite le français grâce à la scolarisation et aux facilités liées à leur jeunesse. Ils servent donc souvent d’interprète à leurs parents, auprès des administrations par exemple, et créent par là même un lien avec l’extérieur. Camille, étudiant en 5ème année de médecine, perçoit lui des limites à ce procédé :

« Lors de mes gardes à l’hôpital de Hautepierre, il nous arrive de traiter des situations d’urgence où les traducteurs ne sont pas présents pour communiquer avec les malades étrangers. Les enfants peuvent alors aider à décrire les symptômes, et c’est psychologiquement traumatisant pour eux. Le secret médical nous oblige, dans la mesure du possible, à attendre les traducteurs pour annoncer le diagnostic au patient. »

Qu’ils soient Français ou venus d’ailleurs, les enfants défavorisés subissent des épreuves et une instabilité qui les obligent à grandir plus vite que les autres. Tulay évoque « une grande maturité, une capacité à anticiper le lendemain dont ils ont peur ».

« Ils sont peut-être passés à côté de certaines choses et ont considérablement les pieds sur terre. Il y a des parents défavorisés qui considèrent leur enfant comme une charge et d’autres, la majorité, comme un leitmotiv pour continuer. Ils vont être très fiers d’eux et les considérer comme un gage de réussite. Ces gamins réussissent d’ailleurs, ils sont loin d’être nuls à l’école parce qu’ils s’accrochent. Une fois grands, ils ne demandent pas grand-chose, un salaire correct et un toit. »

Penser la solidarité inter-familiale

Aux côtés de l’Etat et du Département, la Ville de Strasbourg et la Communauté urbaine (CUS) octroient chaque année plus de 22 millions d’euros aux associations qui œuvrent dans la cohésion sociale et la petite enfance.

Le P’tit home à l’étage est une de celles-ci. Cette crèche sociale a ouvert en mars 2010 et a accueilli 36 enfants en 2011. Avec une capacité de neuf places, la crèche propose de garder les enfants « à la carte » selon les mots de sa directrice Régine Kessouri afin « d’éviter aux mamans d’aller faire les files d’attente [administratives ou caritatives] avec les enfants », pour un prix variant entre 0,30 et 0,60€ de l’heure selon les revenus.

Régine Kessouri sait que les subventions du P’tit home (Ville, CAF, Projet espoir banlieue sur trois ans) n’augmenteront pas cette année. L’association, qui emploie une assistante et deux éducatrices de jeunes enfants, va donc réfléchir à s’ouvrir à l’accueil de bébés de familles sans problèmes financiers.

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Le nombre d'enfants pauvres a augmenté de 4% entre 2004 et 2009 (Photo AC)

A Strasbourg, la Ville évalue à 25% le nombre d’enfants de moins de trois ans issus d’une famille dont le salaire est inférieur à 1000€ en 2009. Entre 2004 et 2009, ce nombre a augmenté de 4%. Insérer dans la société l’enfant en grande précarité nécessite une prise en charge dès la naissance, mais l’enseignement n’est obligatoire en France que de 6 à 16 ans. De deux mois à trois ans, le bébé peut bénéficier d’une place à la crèche mais celle-ci, contrairement à la maternelle, n’est jamais gratuite.

Dans sa Charte qualité de l’accueil à la petite enfance, publiée en 2012 et opérationnelle à la fin de l’année, la Ville s’est engagée à réserver 30% de places prioritaires à des enfants « issus d’une famille dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté et dont les parents sont en situation d’emploi ou en démarche active d’insertion professionnelle », mais aussi à des enfants handicapés ou « en situation de vulnérabilité identifiés par la PMI [Protection maternelle et infantile] ». Les crèches devront aussi proposer des accueils d’urgence, pour prendre en charge durant deux mois maximum les enfants qui en ont besoin. Le prix d’accès aux crèches est défini selon le quotient familial.

L’adjointe municipale à la petite enfance, Nicole Dreyer, envisage également d’appuyer la création de « classes passerelles », qui accueillent les enfants de deux à trois ans dans les maternelles de façon gratuite. La mise en place de ces classes relève cependant de l’Etat qui « a supprimé beaucoup de postes ces dernières années », relève Nicole Dreyer. Elle souhaite que « l’on redonne du sens à l’école », vecteur d’intégration le plus probant dans la République. Un millier de postes devrait être créé dans le primaire à la rentrée… pour toute la France.

Pour aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : Au Resto bébés de la Meinau, pas de vacances pour les bénévoles


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