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Christian Duvillet : « Deux ans pour mettre la Coop au niveau de la distribution »

Christian Duvillet, PDG du groupe Coop Alsace passe de bonnes vacances. Il vient d’apprendre que le tribunal avait homologué l’accord entre le groupe de distribution et ses créanciers. En clair, le PDG a désormais les moyens de lancer son plan de restructuration, en alliance avec Leclerc pour la grande distribution et avec Casino pour le réseau d’enseignes de proximité. Pour Rue89 Strasbourg, Christian Duvillet détaille la suite de son plan.

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Christian Duvillet : « Deux ans pour mettre la Coop au niveau de la distribution »

Christian Duvillet a désormais les moyens de mettre en oeuvre son plan de restructuration (Photo Coop Alsace)

Ouf ! Coop Alsace voit la perspective d’un redressement judiciaire s’éloigner. Déjà placé sous mandat ad hoc, Coop Alsace est très lourdement endetté, 120 millions d’euros de dette bancaire et 20 millions de dette sociale et fiscale. Mais mardi bonne nouvelle : la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg a validé le protocole de conciliation négocié entre le groupe de distribution et ses créanciers. Autrement dit, grâce aux apports de Leclerc et Casino, le groupe alsacien peut sortir du mandat ad hoc et tenter une stratégie de redressement tous azimuts.

Interrogé sur les futures étapes de son plan de redressement, Christian Duvillet, PDG de Coop Alsace depuis novembre 2011, explique la stratégie qu’il va proposer aux administrateurs, aux salariés, aux fournisseurs et aux clients de la Coopé.

Rue89 Strasbourg : Avec les investissements de Leclerc et Casino, à quoi va ressembler le groupe Coop Alsace en septembre ?

Christian Duvillet : Toutes les entités juridiques ont été restructurées. Coop Alsace va être une « holding« , qui aura des participations dans plusieurs sociétés. Hypercoop gérera l’exploitation des six hypermarchés et des 22 supermarchés, 1 700 salariés y seront transférés. Coop Alsace détiendra 66% d’Hypercoop et Leclerc, via ScapAlsace, 34%. Une autre société, Hypercoop foncière, sera propriétaire des murs des hypers et des supermarchés, elle est détenue à 60% par ScapAlsace et à 40% par la Coop. Hypercoop foncière sera l’instrument de la modernisation des magasins. Leclerc a dépensé environ 40 millions d’euros pour l’achat des parts de ces deux sociétés, et 20 millions d’euros ont été apportés en investissement.

La plate-forme logistique de Reichstett, la boulangerie et la boucherie seront aussi des sociétés filiales de Coop Alsace, de même que le réseau de proximité, dont l’exploitation sera géré par la société « Coop Magasins de Proximité ».

Je serai le président de toutes ces sociétés. Laurent Leclercq, qui vient de groupe Leclerc, sera le directeur général d’Hypercoop. Gérard Basone sera le directeur général de Coop Proximité, il est de chez nous mais il a passé 29 ans au sein du groupe Casino.

R89S : L’endettement reste préoccupant. Comment allez-vous retrouver l’équilibre financier ?

CD : Grâce aux clients ! Il faut être clair, Coop a raté plusieurs virages stratégiques qu’ont pris les autres acteurs de la grande distribution, le dernier en date étant le concept des Drive. La raison étant que le groupe n’était pas assez orienté vers le client. Or, chez Leclerc, ils sont très à l’écoute des demandes de leurs clients. Ils vont nous apporter cette culture et ce savoir-faire, auquel on ajoutera nos spécificités régionales. On va transformer le management aussi, passer d’un système paternaliste et autoritaire vers une forme plus active et plus participative des relations humaines dans l’entreprise.

La restructuration à tous les niveaux va aussi nous permettre de mieux contrôler les coûts, grâce à un système de facturation interne. Auparavant, de nombreux coûts de structures étaient fondus dans la société, comme la logistique, les stocks, etc. Désormais, nous pourrons ainsi bien plus facilement détecter si certains services doivent être sous-traités, comme le transport par exemple.

Quant à la dette, elle est issue pour moitié de lease-back sur l’immobilier. On a pu négocier les encourts avec les institutions de leasing. La dette bancaire a été renégociée et pour partie, transférée aux nouvelles filiales car pour être franc, la signature de la Coop ne vaut plus rien pour un prêteur aujourd’hui. Sans les garanties apportées par Leclerc, jamais nous n’aurions pu négocier un tel accord.

L’hypermarché Leclerc et Coop à Geispolsheim, le navire amiral du réseau (Photo Noémie Rousseau)

L’ombre de la grande distribution

R89S : Coop Alsace aujourd’hui, c’est 3 400 salariés, le deuxième employeur privé d’Alsace. Parmi les employés, beaucoup craignent d’être un jour licenciés après avoir été transférés dans une filiale non rentable. D’autres craignent pour leurs conditions sociales, bien plus avantageuses que celles en vigueur dans la grande distribution.

CD : Il y a beaucoup d’inquiétudes au sein des salariés et c’est bien normal. Nous revenons de loin, et nous ne sommes pas encore sortis d’affaire, loin de là ! Mais l’objectif est quand même d’éviter à 3400 personnes d’aller s’inscrire à Pôle Emploi. Nous venons de boucler un plan de départs volontaires, qui a concerné 409 personnes, il n’y a pas d’autre plan de réduction d’effectifs prévu. Et s’il y a des cessions d’activités, les acquéreurs devront à chaque fois reprendre le personnel, ou il n’y aura pas d’accord.

Mais nous devons d’abord stabiliser les modèles économiques. Les discussions sociales viendront ensuite. Précisons qu’il y a deux conventions collectives dans la distribution, la classique et celle de la coopération. Or la convention de la coopération n’a pas été renégociée depuis trois ans au moins, et concerne chaque jour un peu moins de salariés, parce que les entreprises ferment. Donc, on peut peut-être s’interroger là dessus ? Je tiens aussi à rassurer les salariés : les transferts dans les filiales se feront avec la prise en compte des conditions sociales, notamment de l’ancienneté.

R89S : Que va-t-il advenir de la boulangerie industrielle du Port-du-Rhin, de la plate-forme logistique et de la boucherie à Reichstett ?

CD : Environ 100 personnes sont employées à la boucherie, 27 à la boulangerie. Ces entités fournissent un marché fermé et en perte de vitesse… Je peux vous assurer qu’une baguette produite à Strasbourg et vendue à Masevaux coûte très cher ! Nous avons des problèmes d’économies d’échelle pour ces entités qui sont sous-utilisées, il faudrait doubler la volumétrie. Sur chaque appel d’offre, nous sommes systématiquement 15% trop chers.

Donc, nous sommes à la recherche de partenaires pour la boulangerie et la boucherie. Nous sommes en discussion avec plusieurs industriels de l’agro-alimentaire, dont des Allemands, pour la boucherie mais pour la boulangerie, on n’a pas de solution aujourd’hui. On est en train de rendre les magasins autonomes dans la production de leur viennoiseries et de leurs baguettes.

Quant à la plate-forme de Reichstett, elle est aussi sous-utilisée. Mais je crois à son potentiel et à la préservation de ses quelque 200 emplois à condition d’améliorer ses prestations et de réduire ses coûts. La plate-forme livrera la moitié des fournitures des hypermarchés et la moitié des produits du réseau de proximité. On se donne trois ans pour être au prix du marché français de la logistique et pour tendre vers le zéro-stock, qui est une garantie de fraîcheur des produits.

D’une manière générale, l’objectif du groupe est d’aligner la Coop sur les standards de la profession en deux ans.

Le réseau de proximité va devoir trouver sa rentabilité

R89S : Malheureusement, les habitudes de la grande distribution française sont régulièrement décriées : marges arrières imposées, garanties impossibles à tenir, coûteuses conditions imposées aux fournisseurs sur les délais et les volumes… La Coop est appréciée en Alsace pour être bon payeur et bon acheteur. Ne peut-on pas garder le positif ?

Jusqu’à présent à la Coop, c’était la logistique qui décidait des pratiques. Dans la distribution, c’est la relation commerciale qui est au centre. C’est un changement majeur ! Donc, oui on va améliorer les flux, réduire les stocks, demander des livraisons plus régulières, être plus rigoureux sur les procédures d’achat, etc. Pour autant, notre stratégie est adossée sur une étroite collaboration avec les producteurs locaux, gages de qualité. Nous continuerons d’en prendre soin.

Les produits Casino ont trouvé leur place dans les rayons des magasins de proximité rénovés, ici au Point Coop de l’Esplanade à Strasbourg (Photo Jérémie Nadé)
Des horaires inadaptés aux usages d’aujourd’hui, parmi les cause de la désaffection des clients pour les Point Coop, ici rue Geiler à Strasbourg (Photo PF)

R89S : Si l’avenir des hypers et des supermarchés semble s’éclaircir, les inquiétudes demeurent sur le réseau des 144 magasins de proximité, chers aux Alsaciens. Quel sera leur avenir ?

CD : Oui, enfin, chers aux Alsaciens… Le chiffre d’affaire de toute l’activité de proximité, c’est 90 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel. Les hypers et supers, c’est 550 M€ de CA. Donc il faut relativiser quand même : la Coop vit d’abord grâce à ces 22 supermarchés et ces 6 hypermarchés.

Ceci dit, ce réseau a un avenir, d’abord parce que ce sont souvent de très beaux emplacements, dans des quartiers ou au coeur des villages et que l’attachement à la marque Coop est très fort. Pour cette raison, les enseignes resteront Coop. Notre accord avec Casino va nous permettre de proposer aux Alsaciens une offre très adaptée, très segmentée. A nous ensuite de convaincre que quelques centimes en plus se justifient si on économise deux heures en voiture quand on fait ses courses.

Casino a investi 4 millions d’euros dans la rénovation des magasins, qui a déjà commencé et qui devrait être achevée pour tous les Point Coop en novembre. Les horaires vont être progressivement revus, les magasins seront ouverts à midi et plus tard le soir. Et nous mettons en place un système d’autonomie financière des magasins, sans lequel aucun réseau de proximité ne survit. Déjà plus de 60 responsables de magasins sont gérants-mandataires. L’objectif est que tous les gérants soient payés sur le chiffre d’affaire de leur magasin, et qu’ils puissent en vivre correctement. Quant aux employés, ils resteront salariés de Coop proximité.

L’accord avec Casino porte aussi sur la formation du personnel à la distribution de proximité. Nous espérons pouvoir proposer à leur réseau dans le reste de la France nos produits alsaciens, fabriqués à Reichstett notamment. Et nous allons développer des services pour rendre plus attractifs ces points de vente, notamment en proposant aux clients de préparer leurs courses sur Internet, nos magasins peuvent aussi servir de point-relais pour divers vendeurs en ligne, etc.

Nous sommes très à l’écoute des premiers retours, l’objectif est de faire revenir les clients dans ces magasins, qu’ils avaient quitté soit parce que l’offre était inadaptée, soit à cause des horaires peu pratiques, soit parce qu’il n’y trouvait pas une fraîcheur suffisante des produits. Tout ça va être revu entièrement, le chantier est énorme.

R89S : La Coop a été secouée par des découvertes de pratiques frauduleuses ou d’accords non-écrits qui grèvent ses comptes. Est-ce que vous êtes arrivé au bout du ménage interne ?

CD : Une enquête judiciaire est en cours et j’ai pour habitude de ne pas m’exprimer sur les affaires en cours d’instruction. Mais je peux dire que l’origine majeure des pertes ne vient pas des malversations.


#Alsace

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