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Les Bibliothèques Idéales cherchent toujours à faire la paix entre les libraires

Les Bibliothèques Idéales ont changé de cap avec la nouvelle municipalité, essayant d’intégrer d’autres librairies que l’hégémonique Kléber. Mais la greffe a mis du temps à prendre et les relations restent tendues entre les organisateurs du festival littéraire. Alors que s’ouvre aujourd’hui la 6ème édition jusqu’au 24 septembre, Rue89 Strasbourg fait le point.

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Les Bibliothèques Idéales cherchent toujours à faire la paix entre les libraires

A l'instar du Salon du Livre à Paris ou de la très médiatique Foire au Livre de Brive-la-Gaillarde, les Bibliothèques Idéales aspirent à devenir un rendez-vous littéraire incontournable en France. (Photo Ville de Strasbourg)

C’est l’évènement littéraire de la rentrée en Alsace. Avec 167 intervenants, 8 librairies partenaires, 26 écrivains majeurs – dont Amin Maalouf et Annie Ernaux – 65 rencontres et 4 soirées musicales, Strasbourg va vivre pendant dix jours au rythme des Bibliothèques Idéales. Au-delà du livre, le monde strasbourgeois de la culture s’associe à ce rendez-vous : Musica, le TNS, l’Institut Culturel Italien ou encore le Festival européen du film fantastique, ont, entre autres, été invités par la Ville à collaborer.

Préparée depuis la fin-2011, l’édition 2012 des Bibliothèques Idéales, dotée d’un budget prévisionnel de 245 000 euros, doit être la confirmation du renouveau de cette manifestation culturelle. Car l’affluence n’a pas toujours été à la hauteur des espérances. Si 2007 a été une réussite avec 10 000 personnes venues sur place, le festival a été annulé en 2008 par la toute nouvelle municipalité, et le rendez-vous a été boudé en 2009.

Pour cette édition, la Ville avait décidé de transformer « La Bibliothèque Idéale » en « Les Bibliothèques Idéales ». Un tournant sémantique dû à l’intégration des libraires indépendants aux côtés de l’hégémonique Librairie Kléber, à l’élargissement des partenariats et à la multiplication des lieux de rencontre. Car jusqu’en 2010, seules la salle de l’Aubette et la Médiathèque André Malraux ont accueilli des échanges entre auteurs et lecteurs.

Mais la nouvelle mouture n’a pas tout de suite porté ses fruits. En 2010, seuls 7 000 visiteurs se sont déplacés. Une déception atténuée en 2011, puisque 12 000 passionnés de littérature ont participé.

Brigitte Gadouleau, responsable des livres et de la lecture à la direction de la culture de la Ville de Strasbourg, précise l’origine de ces difficultés :

« 2009 a été très difficile, car c’était une année de transition avec l’intégration des libraires indépendants : l’édition a été organisée en trois mois seulement et n’a duré que quatre jours. En 2010, la nouvelle formule a commencé à prendre ses marques et nous étions sur une année plus normale. Depuis 2011, les choses vont mieux. Nous avons eu plus de temps pour nous occuper de toute la logistique et les spectateurs sont au rendez-vous. »

Les indépendants face à Kléber : un combat perdu d’avance

Dès la première édition en 2006, la librairie Kléber, avec son million d’ouvrages, a été associée en tant qu’organisatrice et programmatrice privilégiée, comme elle l’a été pour de nombreux autres rendez-vous littéraires en Alsace. Une façon, pour ce poids-lourd de l’édition à Strasbourg de renforcer son empreinte dans le paysage local du livre.

Une influence qui s’explique par le carnet d’adresses de son directeur, François Wolfermann, très étoffé chez les auteurs-stars et les grands éditeurs. Au point d’être quasiment leur seul interlocuteur à Strasbourg. Et la majorité des fonds publics consacrés au festival ont été attribués à cette enseigne privée, lui conférant un pouvoir d’action très étendu par rapport aux autres libraires partenaires.

Face à cette machine bien huilée, l’intégration des professionnels indépendants ne s’est pas faite sans accrocs. Mis de côté jusqu’à l’édition 2009, ceux-ci ont régulièrement fait part de leur malaise à la municipalité. Un sentiment de rejet et d’incompréhension notamment exprimé dans une missive particulièrement courroucée, rédigée à l’attention de la Ville en juin de la même année. Mais face à la crise persistante du livre, certains n’ont guère eu le choix et ont rejoint la barque par nécessité plus que par adhésion à ce rendez-vous tel qu’il a été élaboré.

C’est le cas de Gilles Million, de la librairie l’Usage du Monde, qui déplore l’hégémonie de Kléber et affirme que la participation des indépendants est indispensable :

« Jusqu’à 2009, les Bibliothèques Idéales se déroulaient sans nous, ce qui était vraiment regrettable. Il n’y en avait que pour Kléber, qui est toujours en position de force aujourd’hui. Mais mieux vaut faire partie de la fête et avoir une part du gâteau que pas du tout. Ça nous permet d’affirmer notre identité, de dire qu’on existe et que chez nous aussi, il se passe des choses autour du livre. »

"L'Usage du Monde" se veut pragmatique : plutôt être partenaire que pas du tout. De quoi promouvoir la librairie en elle-même et le rôle des établissements indépendants auprès des lecteurs. (Photo Gilles Million)

Jennifer Le Morvan, de la librairie Soif de Lire, se satisfait du léger rééquilibrage des forces en présence pour les Bibliothèques Idéales :

« C’est une très belle carte de visite pour les établissements participants. Je continue tout de même à regretter que Kléber ait un statut à part. Avec la nouvelle formule, leur domination est certes toujours aussi importante, mais moins qu’avant. C’était délirant qu’un privé soit aussi prépondérant pour un évènement comme celui-ci, qui appartient aux lecteurs plutôt qu’à l’un d’entre nous. »

Afin de faire valoir leur rôle et leur expertise, les indépendants ont crée en mai 2012, sous la houlette de Dominique Ehrengarth, responsable de la librairie-papeterie du même nom, un collectif regroupant une trentaine d’enseignes en Alsace. Son nom : ALIR (Association des libraires indépendants du Rhin). Objectif : s’unir pour renforcer leur poids et incarner une alternative face aux géants de l’édition.

L’UMP critique la dispersion, le PS défend la concertation

Créées à la fin du mandat de Fabienne Keller, les Bibliothèques Idéales ont été dès le début un enjeu politique. A leur arrivée à l’Hôtel de ville, les socialistes ont repris le flambeau en y apportant leur touche personnelle. L’opposition, par la voix de l’ancien maire-délégué Robert Grossmann, avait pointé du doigt en novembre 2009 une organisation incohérente et dénoncé un « gâchis » après la suppression de l’édition 2008.

Même si les critiques sont aujourd’hui moins virulentes, le conseiller municipal UMP souhaite une autre approche et estime que la municipalité PS n’a pas apporté de grands changements  :

« Multiplier les lieux n’est pas la meilleure solution. Il faudrait, comme nous l’avions fait, mettre un chapiteau place Kléber pour rendre l’évènement encore plus visible et grand public. L’idée directrice, c’est d’avoir des grands auteurs, des lieux conviviaux de rencontre et d’élargir l’audience au maximum, et heureusement, celle-ci est à peu près respectée. En revanche, transformer le nom au pluriel et développer la communication, ça n’a rien d’une révolution. On en revient à la formule initiale. Ils se sont mis dans nos pas après des années de tâtonnements politiciens. »

La place Kléber accueillait la quasi-totalité de l'ancien festival, jusqu'à l'arrivée de la nouvelle formule en 2009. (Photo Wikimedia/CC)

Daniel Payot, adjoint chargé de la culture à la mairie de Strasbourg, refuse l’idée d’une grand’messe et admet quelques tensions pendant la période d’organisation :

« Plutôt qu’un projet porté vers le spectaculaire comme celui de nos prédécesseurs, nous défendons une autre idée des Bibliothèques Idéales : allier le côté évènementiel avec les têtes d’affiche, institutionnel avec les médiathèques et les centres culturels, et professionnel en associant libraires privés et indépendants. Des discussions, parfois tendues, ont eu lieu, mais nous avons trouvé un compromis qui satisfait l’ensemble des parties. Chacun contribue à sa hauteur à la réussite du festival. »

Selon une étude du ministère de la Culture publiée en mars, près d’un Français sur deux n’a pas acheté d’ouvrage en 2010. La lecture est-elle aussi peu attirante au pays de Voltaire et de Maupassant ? Si l’on en croit le succès des dernières Bibliothèques Idéales à Strasbourg, les Alsaciens font mentir les chiffres. Mais après une période de creux restée dans les esprits, la pérennité du modèle de ce festival est loin d’être acquise.


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