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Grand hamster, l’espèce qui cache la forêt

Depuis 20 ans, le grand hamster, rongeur sauvage qui vit dans les champs, est une espèce protégée. Proche de l’extinction, elle fait l’objet de mesures de protections jugées insuffisantes par l’Europe, qui pourrait mettre la France à l’amende d’ici quelques mois. Alors, le gouvernement s’affole et les plans d’actions se succèdent, sans que rien n’y fasse. Car derrière la question du hamster, se posent les questions du développement économique du territoire et les menaces sur l’ensemble de la biodiversité de la plaine.

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Grand hamster, l’espèce qui cache la forêt

Le grand hamster est un "bio-indicateur". S'il y a du hamster, il a d'autres espèces et notamment des insectes… (Photo Onafs)

Deux arrêtés ministériels font couler beaucoup d’encre depuis deux semaines. L’un, publié le 6 août dernier, protège désormais des zones de 600 mètres de diamètre autour des terriers de grand hamster. On en a comptabilisé 309 en 2012, 460 en 2011. Il en faudrait 1 500 pour estimer l’espèce sauvée de l’extinction. L’autre arrêté devrait être signé dans les semaines à venir, avec pour objectif de sanctuariser 9 000 hectares de terres agricoles en plaine d’Alsace, contre 3 500 actuellement.

En ligne de mire pour la ministre de l’écologie et le ministre de l’agriculture : répondre rapidement aux griefs énoncés en juin 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne, qui reproche à la France de ne pas avoir tout mis en œuvre pour sauver le rongeur et menace l’État de lourdes pénalités.

Ces arrêtés vont « dans le bon sens », selon certains écologistes, et en tout cas dans le même sens que l’accord-cadre signé par les collectivités en 2008, selon la préfecture. Il n’empêche, alors que le président du Conseil général du Bas-Rhin, Guy-Dominique Kennel, et le président de la Région Alsace, l’ex-ministre Philippe Richert, sont à présent dans l’opposition nationale, le dossier devient plus politique que technique.

L’épouvantail agité par l’UMP : la perte d’emplois

Pour Philippe Richert, qui s’exprimait sur cette question mardi 11 septembre lors de son déjeuner de presse de rentrée (lire quelques tweets sur notre compte @rue89stg_live), la détermination des périmètres de protection est arbitraire et leur application reviendrait à « mettre l’Alsace sous cloche ».

Comme dans le dossier de la centrale de Fessenheim, l’argument massue des élus de la majorité alsacienne UMP, c’est l’emploi. Le discours a été rôdé notamment par Guy-Dominique Kennel lors de son discours de rentrée :

« Un arrêté du début du mois d’août, passé inaperçu, vient de geler 9 000 ha de terres pour favoriser la protection du grand hamster d’Alsace, 9 000 ha sur lesquels nous ne pourrons plus implanter d’activités économiques, ni de logements, ni même d’axes routiers dont d’ailleurs le GCO, puisque son emprise foncière est opportunément comprise dans ce secteur sauvegardé. »

Objectif du président du Conseil général : « Mettre la pression sur l’État pour assouplir les arrêtés et faire de la dentelle fine plutôt qu’imposer des périmètres de Paris », explique Thierry Van Oost, au cabinet de Guy-Dominique Kennel. Ce proche collaborateur du président du Conseil général note encore :

« Oui, nous sommes associés depuis plusieurs années aux réflexions sur la conservation du grand hamster. Mais là, on n’a plus le droit de rien faire, ce qui pose un problème de développement de notre territoire. A Obernai par exemple, l’entreprise Kronenbourg veut installer son centre de recherche et développement à côté de l’usine. Mais si la zone de protection de 9 000 hectares est confirmée, cela pourrait ne pas se faire, alors que cette décision a été arrachée à la maison-mère Carlsberg… »

Bernard Fischer, maire d’Obernai et vice-président du Conseil général, confirme. Il est très remonté :

« A l’Est d’Obernai, en collaboration avec la ferme du lycée agricole, nous avons institué la rotation de cultures favorables au hamster (notamment la betterave sucrière et la luzerne) et doublé la population et le nombre de terriers en très peu de temps, alors qu’ils ont baissé partout ailleurs ! Mais là, ce n’est pas possible : on doit sortir la zone industrielle d’Obernai de l’arrêté ! J’ai vu le préfet en tête-à-tête, qui a été très à l’écoute et était d’accord avec moi… De toute façon, si ça ne se fait pas, j’irai en Conseil d’Etat ! Ces arrêtés sont un diktat, le travail des services de l’État a été mal fait ! On peut concilier développement et préservation du hamster, mais il faut l’élever puis le protéger des prédateurs… »

L’épouvantail agité par les écolos : la perte de biodiversité

Cette rhétorique autour de la prédation hérisse le poil de nombreux acteurs du dossier, qui travaillent ensemble depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, à la rédaction d’un Plan national d’actions pour la sauvegarde de l’espèce, soumis à consultation publique jusqu’au 1er octobre sur le site du ministère de l’écologie. Sandrine Bélier, députée européenne EELV du Grand Est et ancienne directrice d’Alsace Nature, commente :

« Quand j’entends que Philippe Richert dit que le problème du grand hamster, ce sont ses prédateurs, je trouve sa blague amusante. Nous sommes loin d’être dans une phase de pullulation du renard en Alsace ! En plus, le grand hamster est connu pour avoir très mauvais caractère et en cas de conflit, ce serait plutôt au renard de se faire du souci… Cet argument est « gentil » mais pas sérieux. Le seul prédateur du grand hamster, c’est l’être humain qui artificialise les terres et morcelle l’habitat du rongeur. Il faut arrêter les comptes d’apothicaire chaque année et penser à une politique globale de respect de la biodiversité. »

La monoculture de maïs en plaine d'Alsace est un danger pour la biodiversité (Photo MM)

Cette biodiversité, nécessaire au maintien des équilibres sur la planète, est largement mise à mal dans la région, où la liste rouge des espèces menacées est longue. D’ailleurs, si les projecteurs sont braqués sur le hamster pour lequel l’Alsace est la seule région de France concernée, la région est néanmoins intégrée à d’autres plans nationaux d’actions en vue de sauvegarder plusieurs espèces, parmi lesquelles celles du crapaud vert, de huit types de libellules, quatre de papillons, celle du milan royal, etc. Raynald Moratin, de l’Office des données naturalistes d’Alsace, tire la sonnette d’alarme :

« Si, vu du ciel, la biodiversité en Alsace est encore importante, ce n’est pas le cas dans les zones de pression maïsicole. Sur ces sols nus une bonne partie de l’année, le grand hamster et quelques espèces qui se raréfient également telles l’alouette des champs, le bruant jaune ou le lièvre sont les derniers survivants d’un milieu où il n’existe plus rien d’autre ! Même les plantes messicoles (coquelicots, bleuets…) qui sont liées aux cultures disparaissent dans ces secteurs d’agriculture intensive… »

Le problème de fond : la monoculture en plaine

De là à affirmer que le grand hamster est l’espèce qui cache la forêt, il n’y a qu’un pas, que Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, franchit aisément :

« Le grand hamster aurait pu être un bon vecteur pour mettre tout le monde autour de la table, associations, élus, agriculteurs et surtout industrie agroalimentaire qui passe commande au monde agricole, pour discuter du problème de fond : la biodiversité en danger à cause de la monoculture de maïs dans le plaine d’Alsace !

Autrefois, la région était décrite dans les précis de chasse comme une terre giboyeuse, ce n’est plus le cas ! Et raisonner comme on le fait actuellement en termes de « filières », espèce par espèce, est une erreur : ça ne va pas marcher. Il faut avoir une vision transversale, articuler le schéma régional de cohérence écologique (ou trame verte et bleue, issue du Grenelle), la directive nitrate (échelon européen), les plans nationaux d’actions pour telle ou telle espèce, le développement du bio, etc. Et ne pas avoir des lignes budgétaires différentes à chaque fois… »

Dans cette logique, le directeur d’Alsace Nature est très critique vis à vis des fameux 9 000 hectares, qu’il qualifie de « vision restrictive de la préservation d’une espèce ». Pour lui, « Matignon veut juste éviter la prune ». Son souhait : que soit prise en compte une aire de protection plus grande, dans laquelle « il y aura toujours des dérogations, avec des compensations… » Dérogations, compensations ? Un discours qui devrait pouvoir mettre tout le monde d’accord… ou pas. Ce qui fait de plus en plus consensus en revanche, c’est que le couperet européen finira par tomber. Et la France par payer 17 millions d’euros d’amende.


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