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L’aéroport de Strasbourg engagé dans une partie serrée

Avec six aéroports à moins d’une heure et demie en voiture de Strasbourg, l’aéroport d’Entzheim doit faire face à une concurrence féroce pour garder ses passagers. A cela, se sont ajoutés les protestations contre les vols de nuit de DHL en 1996, le lobby d’Air France contre l’implantation de Ryanair en 2003, l’attraction du  TGV vers Paris en 2007… L’annonce d’Air France de supprimer la liaison vers Roissy en janvier pourrait bien être le coup de grâce pour Entzheim. Sauf si la nouvelle direction change d’alliance, ou parvient à compenser la perte des recettes aéroportuaires par d’autres.

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L’aéroport de Strasbourg engagé dans une partie serrée

Air France représente 85% du trafic d'Entzheim en 2011 (Photo Aéroport)

Pour prendre l’avion, les Strasbourgeois ont le choix ! Outre Entzheim, ils peuvent opter pour le Baden-Airpark (40 minutes en voiture), l’EuroAirport à Mulhouse, le hub Lufthansa de Francfort, voir les plate-formes de Stuttgart ou de Lahr. Le choix se fait souvent « par défaut », une fois la destination connue, les Strasbourgeois butinent d’aéroports en aéroport pour décoller de celui qui sera le plus pratique.

Manque de chance, c’est rarement Entzheim, surtout pour les vols de loisirs. Les destinations internationales sont toutes à portée de Francfort, EasyJet décolle de Mulhouse, RyanAir de Baden-Baden… Il ne reste à Entzheim qu’Air France comme transporteur majeur et encore. Le transporteur aérien français a annoncé à la surprise générale vouloir transférer sa liaison vers son hub de Roissy – Charles de Gaulle vers le TGV-Est en janvier.

Un coup très rude pour Entzheim, qui perdrait ainsi 150 000 passagers par an. Retranchés aux 1 080 000 voyageurs qui sont passés par l’aéroport en 2011, ce manque pourrait faire passer la plate-forme aéroportuaire sous son seuil de rentabilité, évalué à un million de voyageurs par an. Et encore, cette fréquentation minimale ne donnerait pas à la direction de l’aéroport les moyens d’investir, elle a besoin pour cela d’1,3 million de passagers annuels. L’annonce doit encore être confirmée officiellement par Air France, même si son directeur régional Thierry De Bailleul a déjà détaillé le plan d’achat des sièges de TGV. Le PDG d’Air France, Alexandre de Juniac, a été prié par Bernard Cazeneuve, ministre des Affaires européennes, de venir expliquer son choix devant les élus strasbourgeois très remontés vendredi 21 septembre au ministère.

Les collectivités très engagées

Ils ont de quoi être échaudés. Les collectivités locales, CUS et Ville de Strasbourg en tête, sentant que la plate-forme pourrait devenir une vaste friche industrielle à moyen terme, n’ont pas lésiné sur les moyens pour maintenir l’aéroport à flot : lignes subventionnées dans le cadre du contrat triennal « capitale européenne » (Madrid, Amsterdam, Copenhague, Prague, 21,4 M€), contrat d’objectifs avec la CCI (4 M€) et en juillet, une réduction des taxes aéroportuaires de 5€ par passager (3,4 M€). Dès lors, décoller de Strasbourg ne coûte plus que 15,46€ de taxes par passager (10,26€ pour Baden, 8,54€ pour l’EuroAirport).

De son côté, l’aéroport n’est pas resté inactif. Après quatre années de baisse consécutives, le nombre de voyageurs annuel est reparti à la hausse en 2011, grâce notamment à l’ouverture de nouvelles lignes vers Rome et Vienne par Air France, vers Bordeaux et Montpellier par Volotea ou Barcelone par Vueling… Des nouvelles liaisons rendues possibles grâce à une redevance aéroportuaire imbattable : zéro euro par passager, le temps que la nouvelle ligne trouve son équilibre économique.

Mais le choix d’Air France est compréhensible : le hub Roissy – Charles de Gaulle sera bientôt à moins de deux heures de Strasbourg en TGV et la liaison aérienne actuelle est chroniquement déficitaire. Vendredi devant le ministre, Alexandre De Jugnac pourrait proposer un moratoire, un désengagement progressif ou d’ajouter Roissy aux lignes subventionnées. Les salariés de l’escale, en mini-grèves récurrentes depuis l’annonce de la suppression de la ligne, attendent qu’Air France recule. Ils manifesteront à nouveau mercredi 19 septembre devant l’aéroport pour que soit sauvegardée la liaison.

Pour les élus strasbourgeois, l’enjeu est également de taille : les collectivités alsaciennes sont en pleine négociation du nouveau contrat triennal avec l’État, la perte de cette liaison envoie un très mauvais message.

La piste de l'aéroport d'Entzheim ne permet pas d'accueillir les gros porteurs (Photo aéroport)

Changement d’alliances au sol

La direction d’Air France devra surtout décider si elle garde Strasbourg dans son orbite ou non et ce qu’elle est prête à faire comme efforts pour ça. Car Entzheim est un relais de Paris, dans la gigantesque partie de poker qui se joue à l’échelle du continent européen entre les grandes alliances des transporteurs (Skyteam, Star alliance, One world). Strasbourg est étiqueté Skyteam, l’alliance d’Air France – KLM. Ce qui est normal au vu de l’histoire, les vols d’Air France représentaient encore 85% du trafic total d’Entzheim en 2011.

Si cette part devait baisser, la direction de l’aéroport pourrait se sentir plus libre pour approcher d’autres alliances, relier avec des vols réguliers d’autres hubs comme celui de Londres (One World) par exemple, voire même Francfort (Star Alliance), pourquoi pas ? A ce jour, il est toujours impossible de voler vers Londres depuis Strasbourg, comme vers Berlin justement à cause de cet alignement.

Autre piste : faire de Strasbourg un « micro-hub », une plate-forme relais, entre Madrid et Prague par exemple. Face aux gigantesques hubs engorgés comme Paris – Roissy, Londres Heathrow ou Francfort, Strasbourg peut faire valoir sa capacité d’accueil. L’aéroport est dimensionné pour deux millions de voyageurs par an. D’autres, comme les écologistes Jacques Fernique et Alain Jund et le Conseil économique et social d’Alsace, suggèrent que l’aéroport trouve une complémentarité avec les plate-formes voisines, et que le marché se segmente (à Entzheim les affaires, à Baden-Baden le loisirs continental par exemple).

Mais pour la direction de l’aéroport, il n’y a pas de voie alternative au développement d’Entzheim et l’objectif est clair : garder la redevance à un faible niveau, pour augmenter le nombre de visiteurs et, concomitamment, les recettes extra-portuaires comme le parking, les commerces, les locations de locaux professionnels, etc. Les coûts de structure restant élevés, et l’endettement important, la marge de manœuvre du directeur de l’aéroport, Thomas Dubus, est extrêmement serrée.

Aller plus loin

Mercredi 19 septembre à 19h : conférence – débat avec Thomas Dubus, directeur de l’aéroport, au Club de la presse, 10 place Kléber à Strasbourg. Infos et réservations.

Sur CESER Alsace : Quel avenir pour l’aéroport d’Entzheim ?

Sur Rue89 Strasbourg : Quel avenir pour les aéroports alsaciens ? (tribune)


#aéroport Strasbourg-Entzheim

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