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La concentration dans le vignoble gagne du terrain

Les mouvements de rapprochement et de fusion se poursuivent entre les acteurs viticoles de la région. Dernière opération en date : l’absorption de la cave d’Obernai par la cave de Bestheim. Les grands producteurs et négociants estiment que cette concentration doit se poursuivre. Mais si ce raisonnement semble pertinent pour les entreprises qui négocient avec la grande distribution, il l’est moins pour les acteurs de plus petite taille qui vendent leurs vins sur d’autres circuits.

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La concentration dans le vignoble gagne du terrain

Le vignoble de Westhalten (Photo Bestheim)

Le ton est donné. Thierry Schoepfer, le directeur général de Bestheim, est catégorique :

« Le vignoble alsacien doit poursuivre sa restructuration. Les petites caves coopératives ont tort de ne pas trouver de synergies entre elles. Elles nous regardent comme le géant. Mais nous ne cherchons pas à le devenir… »

Si la cave coopérative de Bennwihr en centre-Alsace a absorbé celle d’Obernai en octobre 2011, c’est pour conforter ses approvisionnements et atteindre « une taille critique » lui permettant de mieux répondre à la grande distribution, qui demande de plus en plus de volumes. A Marlenheim, Serge Fleischer, directeur général de la maison de négoce Arthur Metz, tient le même discours. Selon lui, la multiplicité des entreprises de taille moyenne provoque une baisse de la valeur ajoutée du produit. Il milite pour un regroupement des petites caves coopératives et des petits négociants :

« Il faut construire une véritable filière qui offre une valeur ajoutée à tous les niveaux, à la fois au producteur et au metteur en marché, car ils sont interdépendants. Le marché de la grande distribution européenne et internationale est de plus en plus aux mains de quelques grands groupes. Il en est de même pour les distributeurs auprès des cafés, hôtels et restaurants. Or, le vignoble alsacien n’a rien fait pour accompagner cette concentration de ses clients. »

Guerre des prix face à la grande distribution

Dans la région, parmi les 950 metteurs en marché, ils sont une vingtaine à pouvoir négocier avec la grande distribution. De son côté, celle-ci compte seulement cinq acheteurs. Un rapport de force inégal qui provoque une guerre des prix à la faveur du consommateur mais pas du producteur. D’autant que la grande distribution absorbe 60% des volumes produits en Alsace. Bernard Schaal, directeur de la cave du Roi Dagobert à Traenheim, à côté de Marlenheim, remarque :

« Plus on est de metteurs en marché, plus on se bagarre. Et c’est au détriment du viticulteur et de sa rémunération ».

Cette cave coopérative compte 250 viticulteurs adhérents. Patrick Aledo, directeur général de la cave de Beblenheim en centre-Alsace, admet qu’entre les négociations serrées avec les acheteurs et la hausse des prix des matières premières, les marges vont finir par atteindre zéro. La grande distribution représente 84% de ses ventes. Mais selon lui, une plus grande concentration des acteurs du vignoble ne changerait pas la donne et entraînerait des sacrifices en termes d’emplois. Il analyse :

« La guerre des prix ne sera pas forcément différente à six ou à douze. Ce n’est pas parce qu’on monte un monstre qu’on pourra vendre nos vins plus chers. Ce qui vous extrait de la guerre des prix, c’est un produit marketé et établi. »

Développer des marques : une stratégie payante

Le consommateur est en effet attaché à une image, un nom, une réputation. Les deux caves coopératives haut-rhinoises à Eguisheim et à Bennwihr l’ont bien compris et ne communiquent plus que sur leurs deux marques : Wolfberger et Bestheim. La première a un temps d’avance sur la seconde et a même ouvert une boutique en plein centre-ville de Strasbourg, il y a un peu plus d’un an.

Les entreprises qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui ont développé une forte image de marque et qui ont su se vendre à l’étranger. Deux stratégies qui nécessitent des investissements et des moyens importants qu’un rapprochement d’entreprises peut apporter. La fusion n’est pas le seul modèle. En 2006, la cave du Roi Dagobert à Traenheim et la cave de Turckheim, près de Colmar, ont créé un groupement d’intérêt économique (GIE) commercial. Composé de sept personnes, ce GIE commercialise l’ensemble des gammes des deux caves vinicoles. Bernard Schaal, directeur de la cave du Roi Dagobert, affirme :

« Notre objectif est d’emmener le vin d’Alsace hors de ses terres. Il faut chercher de nouveaux marchés. Tout ce qui peut être vendu plus loin, c’est du plus pour le vignoble. »

Bernard Schaal, directeur de la cave du Roi Dagobert à Traenheim (Photo JG)

A elles deux, ces entreprises produisent 10 millions de bouteilles et en exportent plus d’un tiers. Elles ont travaillé le créneau qualitatif et ont créé une offre complémentaire en essayant de « coller » aux attentes des consommateurs. Les deux caves sont satisfaites de ce regroupement et envisagent même de l’accentuer. Bernard Schaal prévient :

« Aujourd’hui, nous avons mis en commun notre outil commercial. Demain nous pouvons engager la même démarche avec notre outil de production pour être plus compétitifs. Nous avons intérêt à nous regrouper si nous voulons investir et gagner en efficacité et en compétence. »

Mais il insiste sur le caractère volontaire de cette union, alors que la plupart des fusions qui ont déjà eu lieu ont été plus subies que choisies. Le regroupement entre les caves de Bestheim et Obernai a, par exemple, permis de sauver cette dernière, qui était en situation déficitaire.

Les maisons indépendantes indispensables sur la Route des vins

Au sein de leurs exploitations, les 900 vignerons indépendants répartis dans toute la région sont moins concernés par ces problématiques de rapprochement. Assurant 20% des ventes de vins d’Alsace, les petits producteurs misent sur des stratégies de niche et sur la vente directe. Spécificité alsacienne, cette dernière représente 15% des ventes et reste très porteuse pour les petites entreprises car sans intermédiaire, leur marge est plus importante. Cette multitude d’exploitations fait aussi la richesse de la Route des vins, qui s’étend sur plus de 170 kilomètres depuis Marlenheim au nord jusqu’à Thann au sud et qui accueille 5 millions de visiteurs par an. Jean-Louis Vézien, directeur du Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace (CIVA), observe :

« Il faut maintenir le cercle vertueux sur la Route des vins : plus il y a de caves, plus il y a de visiteurs, plus il y a de vente directe et plus il y a de valeur ajoutée pour les vignerons. Je ne conçois pas le vignoble alsacien avec dix entreprises qui contrôleraient le marché. Notre force repose sur différents types de structures capables de répondre à différents segments de marché. Cela nous assure une stabilité. »

Un avis partagé par Franck Mairine, œnologue à Strasbourg, fondateur de la République du Weinland :

« Les rapprochements entre caves ont une limite. Au-delà de la dimension du prix, ce qui prime pour le consommateur, c’est l’originalité du produit. Or les regroupements amènent une perte de qualité et une uniformisation des vins. Je considère que l’authenticité des vins alsaciens est importante. »

Les amateurs des sept cépages seront forcément d’accord…

Aller plus loin

Sur Rue89 : Bienvenue dans l’ère des vins « indus-turel » (blog No wine is innocent)

Sur Rue89 Strasbourg : Bienvenue chez le caviste


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