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Quartier gare, le concentré d’aide sociale arrange tout le monde ou presque

Derrière la gare ces dernières années, cinq associations à caractère social ou caritatif se sont installées successivement aux alentours de la rue du Rempart. Les responsables y voient l’occasion de mutualiser leurs compétences. Des bénéficiaires en soulignent l’aspect pratique, quand d’autres critiquent ce regroupement. Du côté des travailleurs sociaux, rares sont ceux qui s’inquiètent d’une « ghettoïsation » du quartier.

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Quartier gare, le concentré d’aide sociale arrange tout le monde ou presque

Entre midi, la Fringale ne désemplit pas. (Photo SB / Rue89 Strasbourg)

Le 26 octobre 2011, rue du Rempart à Strasbourg, un site de caravanes, l’Espace 16, est inauguré par la Ville pour favoriser l’insertion sociale des populations roms. Trois ans plus tôt, l’association Horizon Amitié s’était déjà installée le long de la voie ferrée au numéro 8, le même que l’espace Bayard, un accueil de jour, et RSA Avenir, une structure d’aide aux formalités pour obtenir le revenu d’insertion. A l’entrée de la rue, le restaurant social « La Fringale » des Restos du cœur offre plus de 400 repas chauds tous les jours aux SDF et de plus en plus aux travailleurs pauvres.

A 500 mètres, 12 rue Kuhn, Ithaque, l’association de prévention et de diminution des risques liés à l’usage de drogues s’installe là en 2007 après avoir été successivement basée rue du Travail, rue des Halles puis boulevard de Nancy. Si après trois déménagements, l’association n’a jamais quitté le quartier de la Gare, ce n’est pas par hasard. Danièle Bader-Ledit, la directrice du lieu, explique :

« Le quartier de la gare fait partie des endroits où les femmes toxicomanes se prostituent. C’est un lieu d’échanges de seringues et de trafics. C’est un souhait légitime que de vouloir s’installer ici. Les personnes concernées doivent pouvoir venir facilement. La proximité est indispensable. Et puis il faut être réaliste : historiquement, la gare est un lieu de passage, de brassage. En plus, les loyers y sont plutôt abordables. On aurait eu plus de mal à s’installer dans le quartier des XV ! »

Des réserves foncières SNCF

Amina Bouchra, directrice adjointe d’Horizon Amitié est du même avis et évoque le déménagement de l’association rue du Rempart :

« Nos locaux sont désormais plus spacieux, ce déménagement nous a permis de proposer des douches, des machines à laver. Nous sommes l’association la plus représentée sur le territoire. Pouvoir mutualiser nos services,  c’est aussi offrir des solutions différentes dans un seul lieu. Pour des personnes fragilisées, c’est un élément facilitateur. Le lien social est plus fort puisque ce sont des profils différents qui se côtoient. »

Quartier cosmopolite, de passage, proche du centre-ville sans l’être vraiment, le quartier gare dispose en outre de réserve foncières pour l’implantation de ces structures, au gré des départs de l’armée et de la SNCF des anciennes fortifications. La conjonction de ces facteurs a conduit tout naturellement à la concentration des structures d’aides sociales qu’on observe aujourd’hui.

Mais pour certains bénéficiaires, ce regroupement rue du Rempart est une plaie, comme l’explique André, toxicomane sous traitement, dont le prénom a été changé :

« Au début j’ai pensé que c’était une bonne idée. Mais finalement ça complique plus la vie qu’autre chose. Le RSA Avenir par exemple, il était mieux rue des Flandres à l’Esplanade ! Maintenant on n’a plus rien du tout là-bas, on doit aller voir l’assistante sociale du secteur. Ils auraient dû laisser plusieurs antennes… »

Une rue mal desservie ?

A l’entrée de la rue du Rempart, la fréquentation ne faiblit pas à La Fringale. Avant d’y arriver, il faut marcher quelques minutes puisque aucune ligne de bus ne dessert directement la rue. Coincée entre l’autoroute et le glacis, la rue du Rempart reste isolée, ce que regrettent les usagers tributaires des transports en commun ou à pieds.

Les locaux de ce restaurant social ont été transférés là en 2004. Depuis, Suzanne voit les gens défiler. Elle est chef de service. Bénéficiaires et bénévoles l’appellent « Mamie ». A 72 ans, la retraitée se charge des tâches administratives et veille au grain à ce que tout se passe correctement. « Personne n’ose lui désobéir », s’amuse un bénéficiaire. Pour elle, le fait que les associations soient regroupées dans le quartier n’est pas un problème :

« Je m’inquiète beaucoup plus de voir à quel point notre public change. Avant on accueillait presque uniquement des SDF, des demandeurs d’asile. Aujourd’hui il y a des étudiants, des gens qui travaillent et qui n’ont pas de quoi finir le mois. Ils ne se soucient pas tant que ça du lieu. Si cela pouvait être encore plus retiré, il y en a certains que ça arrangerait. Je pense à ceux qui ont honte de venir ici, qui le cachent à leur entourage et qui passent par des portes dérobées. »

Hervé, habitué de la rue du rempart (SB)

Hervé, 49 ans, est resté dix ans sans domicile fixe. Maintenant, il vit dans un appartement et travaille en tant qu’ouvrier à mi-temps. Pendant longtemps, il a fait le tour des associations. Il continue de passer son temps-libre à la rue du Rempart et dans le reste du quartier pour discuter avec ses anciens compagnons de galère et aide parfois au service :

« Quand on fait des démarches, on n’est pas obligés de courir d’un bout à l’autre de la ville. Il y a beaucoup de gens qui viennent à la Fringale, avant de passer par Horizon Amitié ou RSA Avenir. Que tout soit réuni dans un même endroit, ce n’est pas un problème. Il ne faut pas nous cacher chaque fois dans des petits locaux disséminés à la périphérie de la ville. Ici il y a de l’espace, de la vie. On peut venir discuter et aller d’un endroit à l’autre. Il nous faudrait d’ailleurs plus de lieux comme ça. »

« Confinés dans le quartier »

Au fond de la rue, les travailleurs sociaux sont plus préoccupés par la situation. L’accueil Printemps est un accueil de jour pour personnes sans domicile fixe ou en grande difficulté. Avant d’arriver rue du Rempart, la structure sociale se trouvait dans la rue Martin-Bucer, près de la rue du Faubourg-National. Simon W. est éducateur spécialisé. Il a connu les anciens locaux Faubourg-National :

« Là-bas, la part des personnes toxicomanes était plus importante dans notre public. C’est un quartier ou il y avait beaucoup de trafic. Quand on a déménagé, ce type de personnes n’a pas suivi. Dans cette rue, il y a une forte concentration de personnes en grande précarité que ce soit les populations roms, les SDF ou les sans-papiers…

Ce qui serait bien, c’est d’appliquer le système des logements sociaux pour ce type d’associations. Chaque quartier devrait avoir une ou deux associations. Il n’y a pas de raison que tout soit concentré dans un seul endroit. Je me pose la question de savoir si la rue du Rempart n’est pas un cache-misère. Le tram le plus proche est à dix minutes de marche, ce qui fait que nos usagers ne sont plus seulement marginalisés à cause de leur situation, mais aussi avec l’espace. »

Le site de caravanes roms, bientôt agrandi (SB)

A deux pas, l’Espace 16 a été inauguré par la Ville il y a à peine plus d’un an, 26 familles y vivent. Tous Roumains d’origine, ils occupaient des campements illégaux avant que la mairie ne leur propose cet endroit, d’autres devraient les rejoindre. Dans les caravanes prêtées par la municipalité, il y a l’électricité et des douches. La solution est transitoire mais permet d’offrir des conditions sanitaires correctes.

Calmann est en France depuis 1998. Il a 25 ans et deux enfants qu’il emmène chaque jour à l’école. Il aimerait pouvoir travailler, mais la loi ne l’y autorise pas. Il vit donc de la manche. Avant d’arriver sur ce site, il habitait une petite caravane, rue Saint-Exupéry dans un campement sauvage au Neuhof. Sa première impression en arrivant ? « Ça ressemble à une prison ! » Béret noir vissé sur la tête, il poursuit dans un français quasi parfait :

« Comparé à l’ancien camp, ici on a l’électricité, des douches et une machine à laver. Pour les enfants c’est pratique donc je préfère largement être ici, mais au Neuhof, on avait le tram à cinq minutes. Pour faire des courses ici, c’est presque impossible… »

Une concentration « normale et souhaitable » pour la mairie

Ce n’est pas du tout le message que veut faire passer Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire chargée de l’action sociale territoriale et habitante du secteur. Elle rappelle que le quartier gare est « à deux pas de la ville » :

« J’avais remarqué que le canton centre-gare concentrait un très grand nombre de structures et d’accueils spécialisés dans l’aide sociale. C’est normal et souhaitable. Il ne faut pas que les personnes en difficulté aient l’impression qu’on veuille les cacher et les repousser à la périphérie de la ville. C’est en plein centre qu’elles doivent être, là où les structures sont les plus accessibles grâce aux transports en commun et où l’importance de la foule permet de conserver un relatif anonymat. »

D’ici quelques temps, l’Espace 16 devrait voir ses activités renforcées. Aucun autre emménagement n’est en revanche prévu dans le secteur.


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