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Pinar Selek condamnée à la prison à perpétuité en Turquie

La sociologue Pinar Selek a été condamnée cet après-midi par la justice turque à la prison à perpétuité. La Turquie accuse Pinar Selek d’avoir participé à un attentat en 1998, qui s’est ensuite avéré être un accident. Elle a été relaxée trois fois, mais l’acharnement de la cour suprême lui a valu ce quatrième procès, à l’issue duquel elle vient d’être condamnée à de la prison à perpétuité pour terrorisme. Pinar Selek va demander l’asile politique, ce qu’elle avait toujours refusé de faire jusqu’à présent.

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Pinar Selek condamnée à la prison à perpétuité en Turquie

Pinar Selek en mars 2012 (Photo AN / Rue89 Strasbourg)

Pinar Selek vient d’être condamnée à la prison à perpétuité par la cour criminelle de Turquie. Il faut dire que la sociologue turque en exil à Strasbourg était mal partie dans la vie, avec un grand-père, Cemal Hakki Selek, fondateur du parti de gauche des travailleurs de Turquie et son père, Alp Selek, 83 ans, avocat défenseur des droits de l’homme emprisonné pendant cinq ans après le coup d’Etat militaire de 1980.

C’est sans doute une des raisons qui pousse l’Etat turc à s’acharner sur son sort, depuis qu’elle s’est intéressée à la question des minorités en Turquie pour ses études de sociologie. Elle croise et rencontre évidemment des Kurdes, ce qui est presque déjà condamnable en Turquie. Lorsqu’en 1998, une explosion dévaste le bazar aux épices d’Istanbul, les séparatistes Kurdes du PKK sont accusés et elle se retrouve dans les locaux de la police, torturée en étant pendue au plafond par les bras, avec des électrodes branchées sur sa tête… Elle refuse de livrer les noms des Kurdes qu’elle a rencontrés.

Plusieurs rapports d’expertise ont montré depuis qu’il n’y a pas eu d’attentat, et que l’explosion de 1998 était accidentelle. La même cour criminelle turque, l’équivalent d’une cour d’assises française, a acquittée trois fois Pinar Selek, en 2006, en 2008 et 2011. Mais par trois fois, la cour suprême a cassé ces jugements. Ce jeudi 24 janvier, elle a été condamnée pour la première fois, à la peine maximale, la prison à perpétuité pour terrorisme. Ce procès a été rendu possible par l’acharnement d’un procureur de la 12e cour pénale d’Istanbul qui a profité d’un congé maladie du juge en charge du dossier, pour se substituer en toute illégalité à la Cour suprême.

Me Martin Pradel, avocat et chargé de mission pour la Fédération internationale des Droits de l’Homme, précise la décision :

« Les juges ont condamné Pinar parce qu’on leur a dit de le faire, et non parce qu’ils pensent qu’elle est coupable. Leurs jugements ont été cassés trois fois, ils indiquent cette fois que l’avis de la cour suprême s’impose à eux. Pinar Selek se déclare « debout et prête à se battre ». Il reste comme recours à Pinar un appel devant la cour suprême, mais on voit mal comment elle pourrait se déjuger, et un ultime devant la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg. Et au vu des nombreuses irrégularités constatées dans ce dossier, il y a de quoi bâtir un dossier très solide. »

En exil à Strasbourg

En exil à Strasbourg, Pinar Selek poursuit une thèse de sociologie avec le soutien des élus de la Ville et de l’Université. Elle a confié dans plusieurs interviews qu’il n’y avait que trois solutions pour ceux qui, comme elle, aiment leur pays :

« En réalité, mon péché est de vouloir être libre dans mes recherches de sociologue, dans mes revendications politiques, et d’avoir osé travailler sur le mouvement kurde. En Turquie, il n’y a aujourd’hui que trois options pour ceux qui, comme Hrant Dink, ce journaliste turco-arménien assassiné en 2007, Nazim Hikmet, ce poète turc mort en exil à Moscou en 1963, ou moi-même, aiment leur pays et luttent pour étendre la liberté : la prison, la mort ou l’exil. »

Dans le dossier de la cour suprême, il n’y a pourtant que les déclarations d’un prisonnier kurde torturé en 1998 et qui a donné son nom comme celui d’une militante du PKK, le mouvement de libération du Kurdistan, dénoncé comme organisation terroriste par Ankara. Le prisonnier a beau s’être rétracté depuis, qu’importe !

Reste que la situation juridique de Pinar Selek va se compliquer. La sociologue de 41 ans n’a jamais demandé l’asile politique à la France, car elle voulait pouvoir retourner un jour en Turquie. Mais sans ce statut, et désormais condamnée, elle risque d’être extradée vers la Turquie en vertu des accords franco-turcs signés l’an dernier. Selon Me Pradel, il faudra qu’elle en passe par le statut de réfugiée :

« La cour criminelle a assorti sa décision d’un mandat d’arrêt, ce qui ouvre la voie à une procédure d’extradition vers la Turquie. Il n’y a qu’un asile politique garanti par la France pour l’empêcher. »

Ce matin, une manifestation de soutien sur le parvis devant la fac de droit de Strasbourg a réuni 200 personnes. Pinar Selek apprécie ces marques de soutien, elle qui souffre de l’éloignement d’Istanbul, de son pays et de ses proches. Mais le collectif va peut-être devoir recruter d’autres membres s’il veut empêcher l’extradition de Pinar Selek par la France, le dossier pourrait rapidement se transformer en cauchemar diplomatique. Le député PS Philippe Bies a indiqué sur son blog qu’il engagerait les démarches pour qu’elle puisse obtenir le statut de réfugiée politique. Une trentaine de parlementaires se sont aussi engagés en faveur de la sociologue turque, ainsi que le président de l’Université de Strasbourg Alain Beretz. Résignée, Pinar Selek a déclaré en soirée qu’elle allait demander l’asile politique à la France.

Y aller

Réunion du comité de soutien, vendredi 25 janvier à 12h à l’Arès, 10 rue d’Ankara à Strasbourg. Lien Facebook. Le collectif de solidarité avec Pinar Selek.

 


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