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Le redressement du réseau Coop de proximité sera plus long que prévu

Relookées et dotées des produits Casino, les supérettes Coop sont chargées de retrouver une rentabilité oubliée depuis des années. Mais il faudra plus qu’un coup de peinture pour récupérer les clients : le groupe attendait une progression de 10% du chiffre d’affaires, il a reculé de 16% ! Du coup, tous les comptes sont à revoir et le redressement sera plus long que prévu, c’est à dire plus cher. Déjà très endettée, la Coop aura besoin d’un nouveau chevalier blanc pour son réseau de proximité.

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Le magasin Coop de la rue Lauth à Strasbourg a été l'un des premiers à passer à la nouvelle formule (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Le magasin Coop de la rue Lauth à Strasbourg a été l’un des premiers à passer à la nouvelle formule (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Rayons vides, produits manquants, commandes non livrées, prix en hausse… L’arrivée de Casino dans le réseau de distribution alsacien depuis l’été 2012 a provoqué un choc des cultures. C’était à prévoir entre l’enseigne locale, ronronnante, et le réseau de distribution le plus agressif de France. Mais il a quand même surpris, des employés jusqu’aux dirigeants. Ces derniers comptaient beaucoup sur le rapprochement avec Casino pour sortir les Coop de proximité d’une spirale déficitaire. Il s’agissait, selon le PDG du groupe Coop Christian Duvillet, de regagner des clients grâce à de meilleurs produits, des horaires plus étendus et des magasins rénovés. Le groupe avait comme objectif une progression de 10% du chiffre d’affaires.

Mais devant le comité d’entreprise du 20 février, le groupe Coop a reconnu que le chiffre d’affaires des 144 supérettes avait en fait baissé de 16% depuis le rapprochement avec Casino. Que s’est-il passé ? D’abord, les rénovations des magasins et l’installation des nouveaux stocks a provoqué leur fermeture pendant une semaine. Mais à la réouverture, l’absence des produits Leclerc et d’autres marques a frustré une partie de la clientèle traditionnelle, qui a boudé les magasins et les nouveaux produits de Casino. Une gérante du centre-Alsace raconte :

« Nous avions beaucoup de personnes âgées parmi notre clientèle et vous savez, quand elles ont des habitudes, elles refusent catégoriquement d’en changer. On a eu beau expliquer, proposer des dégustations de produits équivalents, certaines sont parties fâchées et nous l’ont dit. Ce changement forcé s’est en plus accompagné d’une hausse des prix et d’une pénurie dans certains rayons. Alors oui, les débuts ont été très difficiles. »

Les produits Casino sont plus chers que les gammes de Leclerc mais ils seraient de meilleure qualité. C’est le pari de la direction pour attirer une nouvelle clientèle et assurer de meilleures marges d’exploitation, mais encore faut-il que les produits arrivent dans les rayons. Car la synchronisation de la logistique de la Coop et celle de Casino a connu de sévères ratés. Dans les premiers mois du déploiement de l’offre Casino, il n’était pas rare que près d’un tiers des produits commandés ne soient pas livrés, provoquant des rayons vides et une désastreuse impression de liquidation imminente. Les produits régionaux ont aussi manqué, avant de trouver le chemin de Besançon, la plate-forme logistique de Casino, pour revenir en Alsace.

Et encore aujourd’hui, chaque livraison est une source d’angoisse pour ce responsable d’un magasin de Strasbourg :

« J’ai toujours des problèmes d’approvisionnement sur l’épicerie, les liquides et surtout le fromage à la coupe. On a un rayon tout vide, qui fait un peu peur alors qu’on a un fort potentiel de clientèle sur ces produits. Mais je reconnais que l’assortiment de Casino est séduisant, si on a une clientèle qui a les moyens, ce qui est mon cas. »

Les produits Casino, un temps plus chers, tentent d’être concurrentiels (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Les nouveaux horaires tardent à se généraliser

En outre, ce magasin est passé aux horaires en continu, 8h-20h, mais c’est une exception. Plus de six mois après le début du programme de rénovation, la majorité des magasins sont toujours fermés entre midi et 14h et souvent après 19h, même en ville comme le magasin de la rue d’Obernai à Strasbourg. Les négociations avec le personnel dans les supermarchés sont très tendues car la direction demande que les horaires d’ouverture soient étendus alors parallèlement, des postes sont supprimés, 210 sur 953 selon le plan social en préparation.

Autre chantier en cours, le « snacking ». Les Coop, du moins celles ouvertes à midi, vont bientôt proposer des sandwichs. La direction prévoit que cette nouvelle activité pourrait atteindre jusqu’à 30% du chiffre d’affaires d’un établissement. Mais dans les magasins, on reste sceptique. Pour ce gérant du nord de l’Alsace, le plan de la direction est trop uniforme :

« On nous demande d’ouvrir jusqu’à 20h, mais dans mon patelin, après 18h, le magasin est vide. Et personne ne m’achètera un sandwich ! Les gens sont soit au travail en ville, soit chez eux. Quant aux produits Casino, ils ne me conviennent pas. J’ai une clientèle de personnes retraitées, peu mobiles et avec un faible pouvoir d’achat. Au final, j’ai peur que ce plan de rénovation ne soit adapté qu’aux magasins urbains. On ne redeviendra pas rentables comme ça dans les villages et on va nous fermer. »

Inquiétude chez les gérants

D’une manière générale, l’inquiétude est palpable chez les gérants même si tous assurent être prêts à se battre pour sauver leur magasin et leur enseigne. Dans le centre-Alsace, une gérante résume ainsi sa situation :

« On est pris entre une direction hésitante et Casino qui semble mener un double jeu. Je me demande si les ratés d’approvisionnement ne sont pas intentionnels. Si les prix des produits Casino se stabilisent, qu’on relance la fidélité avec la carte sociétaire et qu’on bénéficie d’une réelle animation commerciale, alors on a peut-être une chance. Mais on ne nous dit rien. Alors on attend. »

Du côté de la direction, on admet que « la conduite du changement a été sous-estimée ». Mais Christian Duvillet reste ferme sur le cap à suivre :

« Parmi les charges d’un réseau de distribution, la logistique, c’est 3%. Sur les Coop de proximité, on est à 14% ! Il nous reste encore des marges de progression. On s’est débarrassé du système informatique obsolète de la Coop et les responsables de magasins auront bientôt accès à un nouvel outil de gestion. Les prix ont mis du temps pour être calés mais c’est fait à présent, il faut laisser le temps aux clients de prendre leurs marques. Dès que la logistique sera fluide, nous relancerons l’activité commerciale et le programme de fidélité. Tout ça prend du temps, c’est normal. »

Mais du temps, c’est peut-être ce qui manque à la Coop, dont la dette, bien que restructurée, reste très importante. Le groupe ne pourra pas se permettre à nouveau les 12 à 15 millions de pertes qu’enregistre la branche proximité chaque année. Or, il faudrait trois à quatre ans pour reconquérir la clientèle et redresser le réseau des supérettes. Dans ces conditions, le groupe Coop n’aura pas le choix et il devra trouver un nouvel entrant à son capital. Le groupe Casino est ouvertement dragué, mais ses propres résultats 2012 l’éloigne des aventures alsaciennes.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : « Deux ans pour mettre la Coop au niveau de la distribution » (interview de Christian Duvillet)

Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur Coop Alsace


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