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Un tiers de nos aliments gaspillés, la lutte peine à démarrer

Le 19 juin, plusieurs dizaines d’acteurs locaux, privés ou institutionnels, se sont retrouvés à la ferme Bussierre à Strasbourg, pour phosphorer sur la plaie de la chaîne alimentaire : le gaspillage. Un tiers de nos aliments finissent à la poubelle, mais le chantier est si vaste que personne ne s’y est encore vraiment attaqué.

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Un tiers de nos aliments gaspillés, la lutte peine à démarrer

Légumes non conformes - Disco soupe de Brest (Stéphanie Corfec / Flickr / CC)
Légumes non conformes – Disco soupe de Brest (Stéphanie Corfec / Flickr / CC)

Légumes non calibrés qui finissent à la benne en sortant de chez le producteur, palettes de yaourts mal étiquetés qui terminent à l’usine d’incinération à la sortie de l’usine agroalimentaire, plats à peine entamés qui atterrissent à la poubelle dans les cantines, légumes pourris dans le fond du frigo et jetés avant la nouvelle tournée au supermarché chez la plupart d’entre nous… A tous les niveaux de la chaîne alimentaire, nous gaspillons.

Gaspi écologique, humanitaire et financier

Selon un rapport de la FAO (PDF), Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, publié en 2011, un tiers de la production alimentaire mondiale est perdue, soit 1,3 milliards de tonnes par an (le rapport en PDF), dont 89 millions de tonnes en Europe. Ce gaspillage entraine des pertes à plusieurs niveaux : en ressources nécessaires à la production (eau, terres, pétrole), d’abord. C’est l’impact écologique. En capacité qu’ont les pays pauvres à se fournir en nourriture sur le marché mondial quand la demande est forte, notamment en céréales, c’est l’impact humanitaire. A savoir qu’un milliard d’humains sur 7 souffre de malnutrition.

Les pertes sont enfin financières pour les détaillants et économiques pour les consommateurs des pays du nord. Nous jetterions 500€ d’aliments par an et par famille en France, d’après Bruno Lhoste, auteur de « La grande (sur-)bouffe », publié aux éditions Rue de l’Echiquier. Un impact social et surtout culturel que nous avons du mal à sentir, tant la part de l’alimentation a baissé dans le budget des occidentaux. Nous dépensons environ 10 à 15% de nos revenus en nourriture, premier poste rogné quand les temps se font durs.

Problème transversal, personne pour s’y attaquer

Pour lutter contre cette dérive, le Parlement a voté une résolution enjoignant ses membres à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025. L’année 2014 sera d’ailleurs une année de sensibilisation tous azimuts en France et en Europe. A Strasbourg comme ailleurs, on s’y prépare. Caroline Barrière, vice-présidente de la communauté urbaine de Strasbourg en charge de la questions des déchets, reconnaît néanmoins que cela arrive un peu tard dans le mandat :

« Quand nous avons réuni les acteurs publics en 2009 pour réfléchir au plan de prévention des déchets de la collectivité, le thème du gaspillage alimentaire est arrivé en tout premier. Mais aucun partenaire ne s’est senti les épaules assez larges pour porter cette problématique à bouts de bras. Cela touche à trop de choses à la fois, de la réglementation sur l’hygiène (dates limites de consommation – DLC – et dates limites d’utilisation optimale – DLUO…), à la façon de faire ses courses, en passant par l’organisation logistique de la restauration collective. Ce n’est que cette année que j’ai réussi à lancer ce chantier… »

S’immiscer dans les frigos des gens

Le 19 juin 2013, une soixantaine d’acteurs se sont retrouvés pour brainstormer sur le sujet à la ferme Bussierre. Cantines des hôpitaux, de la chaîne Arte, cuisines de la Maison d’arrêt de l’Elsau, Alsacienne de restauration, Ademe, Crous, rectorat, agents de la CUS… Ils ont abordé des thèmes aussi variés que « comment aider le consommateur à vider son frigo », « comment mettre à disposition des repas produits non consommés après la cantine », « comment mieux calibrer les achats publics pour limiter le gaspillage » ou « comment susciter le plaisir des sens ».

D’ici la rentrée, plusieurs pistes vont être explorées par la collectivité, mais aussi par le CINE (centre d’initiation à la nature et à l’environnement) de Bussierre. A la CUS, Caroline Barrière reste prudente :

« Dans les mois qui viennent, nous allons décider si nous nous calons sur des campagnes nationales ou si nous lançons nos propres actions. Par rapport au consommateur, nous avons peu de leviers, à part la communication sur les dates de consommation ou sur l’opportunité de faire sa liste de courses. On ne peut pas s’immiscer dans l’organisation des familles. Mais sur la restauration collective, on peut agir. A partir de cette année, chaque administration (Etat, hôpital, université…) doit payer une redevance sur ses déchets. Début 2013, il y a tout de suite eu un réajustement de la taille des poubelles, qui était surévaluée quand l’enlèvement était gratuit. »

Limiter la prise de pain à la cantine, etc.

Pour aider ces gros pourvoyeurs de déchets à mieux adapter les quantités produites aux quantités consommées, plusieurs idées, détaillées par Géraldine Prudence, collaboratrice de Caroline Barrière à la CUS :

« D’abord, on peut proposer des bars à salades où chacun vient se servir selon sa faim, plutôt que des assiettes déjà dressées dont le contenu part à la poubelle s’il n’est pas consommé. Ensuite, on limite la prise de pain, voire on n’en propose pas quand il y a des pâtes au menu. Souvent, il faut faire prendre conscience aux acteurs qu’un changement d’organisation est possible, toujours dans le cadre de la réglementation. C’est difficile pour ceux qui doivent fournir 500 ou 1000 repas : ils sont dans de la logistique et pas dans l’alimentation. »

44% des interrogés ne vident pas leur assiette au resto

Au CINE, la rentrée sera marquée par un début de travail avec l’équipe de cuisine du Ciarus, un autre avec une classe du collège de Mundolsheim. Par ailleurs, l’association Alsace Nature s’est lancée quant à elle dans une évaluation du gaspillage au restaurant, avec un sondage en ligne. Plus de 500 particuliers ont répondu à la partie « consommateurs », aujourd’hui close. Une vingtaine de restaurateurs seulement s’est pliée à l’exercice, cette partie du sondage est donc toujours active.

Un premier bilan a été tiré du sondage consommateurs. Et notamment que 44% d’entre eux ne finissent pas leur assiette. 57% déclarent par ailleurs ne pas prendre de dessert parce que le plat était trop copieux, 26% en commandent un mais ne le terminent pas. L’une des pistes, demander un doggy bag au restaurateur pour emporter le surplus à la maison. Une demande qui surprend souvent, mais est rarement refusée.

Aller plus loin

La page Facebook « Disco soupe », ces événements qui ont lieu dans les grandes villes en France et en Europe, où l’on cuisine des aliments encore consommables, jetés par les supermarchés.

Le site du gouvernement contre le gaspillage alimentaire

Extrait du documentaire « Global gâchis » diffusé sur Canal+ et références du livre de Tristram Stuart, publié aux éditions Rue de l’Echiquier. Même lien vers le livre de Bruno Lhoste, « La Grande (sur-)bouffe, pour en finir avec le gaspillage alimentaire », chez le même éditeur, pour un point sur la situation française.


#Alsace Nature

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