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Tribune : « Les rythmes scolaires sont imposés sans concertation »

En réponse à la tribune publiée mardi par Thomas Risser (PS), une directrice d’école, soutien de Fabienne Keller (UMP), indique qu’une telle réforme ne peut pas être mise en œuvre dans le seul cadre de l’Éducation Nationale et sans une large concertation locale.

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Haut les chaises ! (Photo JaHoVil / FlickR / cc)

Haut les chaises ! (Photo JaHoVil / FlickR / cc)
Haut les chaises ! (Photo JaHoVil / FlickR / cc)

La réforme des rythmes scolaires est aujourd’hui la principale préoccupation de l’ensemble des parents d’élèves du primaire à Strasbourg. Directrice d’école, je suis témoin depuis plus d’un an des interrogations permanentes des familles face au contenu et aux implications de cette réforme. Je suis également témoin de leur appel permanent à être consultés et entendus, tant par le gouvernement que par la municipalité en charge des modalités d’application de la réforme.

Depuis le 4 novembre une centaine de volontaires vont à la rencontre des parents devant les écoles de l’ensemble des quartiers de Strasbourg dans le cadre de l’opération « Dites Moi Tout » à l’initiative de Fabienne Keller [candidate UMP à la mairie de Strasbourg, ndlr]. Certains membres de la majorité municipale critiquent cette démarche. Elle comble pourtant une lacune et corrige une erreur qui n’a que trop duré et qui voudrait que consulter les parents et les enseignants serait une erreur ?

Depuis septembre 2012 les parents d’élèves attendent d’être mis au cœur du dispositif de conception et d’application de cette réforme qui n’a de sens que si elle contribue à un meilleur rythme de vie des enfants. Tenus à l’écart des réflexions du gouvernement, ils ont le sentiment d’avoir été tout autant occultés par le maire de Strasbourg dans l’ensemble de ses travaux et décisions sur le sujet. C’est ce qui a conduit de nombreuses écoles à organiser elles mêmes des consultations au printemps à l’initiative des associations de parents d’élèves.

En mars 2013, la mairie a organisé sous la pression des parents, trois réunions pour les 114 écoles strasbourgeoises. Ces réunions, sans proposition concrète, n’ont fait qu’accroître le mécontentement des parents face à une discussion tardive et superficielle. Les groupes de travail mis en place par l’adjointe au Maire depuis le mois de septembre font intervenir des directeurs choisis par la municipalité (il n’y a pas eu d’appel à candidature auprès de l’ensemble des directeurs pour y prendre part), de manière confidentielle, sans transparence et interaction avec l’ensemble des parents et enseignants strasbourgeois.

Pas de droite ou de gauche, mais d’équilibre de l’enfant

La question des rythmes scolaires n’est pas une question de droite ou de gauche. L’inquiétude et le mécontentement des parents d’élèves dépassent les frontières politiques. L’immense majorité des parents interrogés disent qu’ils ne ressentent pas du tout la concertation de la ville, qu’ils ne se sentent pas pris en considération et reprochent au maire de mener une concertation technocratique et non populaire comme cela devrait être le cas. Car ce qui en jeu ici c’est bien de mener un dialogue ouvert avec l’ensemble des Strasbourgeois concernés sur la politique publique la plus précieuse qui existe : l’Éducation.

Attaquer Fabienne Keller sur sa connaissance des enjeux de l’éducation relève de la malhonnêteté intellectuelle et de la basse polémique. Maire de Strasbourg, elle a réuni et rencontré personnellement, en toute transparence et avec régularité l’ensemble des directeurs d’école. Initiative qui permettait un dialogue riche et des échanges constructifs à l’échelle de la ville, abandonnée par le maire actuel. Fabienne Keller s’est toujours préoccupée avec force des questions de l’éducation, de la petite enfance à l’adolescence et de l’ouverture des écoles sur leur environnement, leurs quartiers. Elle a par ailleurs mené l’un des plans de rénovation des écoles les plus ambitieux que notre ville ait connu.

Pas d’acceptation de n’importe quelle réforme

Une réforme des rythmes scolaires et des rythmes de l’enfant est nécessaire car ils n’ont pas évolué depuis 1834. Mais on ne peut pas demander aux directeurs, aux enseignants, aux parents, aux enfants, aux acteurs du périscolaire d’accepter une réforme pour la réforme. La réforme n’a de sens que si elle se fait dans le seul et unique intérêt de l’enfant. Nul n’ignore que les enfants habitants les villes qui appliquent déjà la réforme depuis ce mois de septembre sont épuisés, déstabilisés. Nul n’ignore que le périscolaire y est souvent réduit à peau de chagrin.

Le sentiment dominant est que de nombreuses erreurs ont été commises dans l’élaboration et la conduite de cette réforme et que des considérations politiques amènent à ne pas les reconnaître, ce qui fait des enfants et des familles les otages d’enjeux qui ne les concernent pas. Plusieurs villes, de toutes couleurs politiques, ayant fait le choix de l’application dès 2013 font déjà marche arrière, ce qui créé non seulement un trouble supplémentaire pour les enfants mais conduit également à un véritable gaspillage d’argent public alors que l’Ecole a besoin de moyens utilisés à bon escient.

Par ailleurs, comment ne pas comprendre que la décision de Xavier Darcos de supprimer l’école le samedi ne relevait pas d’une réforme des rythmes scolaires mais d’un alignement de la France sur les standards européens qui prennent en compte l’évolution de la famille et la hausse du nombre de parents divorcés ? Ce n’était qu’une étape et non une réforme aboutie.

Une réforme qui génère de la tension

Il n’y a pas de consensus autour de cette réforme, tant du côté des parents, que de celui des enseignants et des chercheurs. Cette réforme aurait du être interministérielle et associer en amont l’ensemble des partenaires des ministères de l’Éducation Nationale mais aussi de la Santé, des Affaires sociales, de la Jeunesse et des Sports, de la Culture… De même pourquoi avoir ignoré les nombreux travaux existants déjà sur la question du rythme de l’enfant tels que ceux de Claire Leconte, reconnue sur le sujet et qui a travaillé avec Vincent Peillon ?

Pour la première fois des enseignants non syndiqués, comme moi qui n’avaient jamais fait grève en 30 ans, ont manifesté contre cette réforme. La grève de février 2012 a touché 106 écoles sur les 114 de la ville. Ce mercredi 13 novembre les parents ont manifesté, ce jeudi 14 novembre ce sont à nouveau les enseignants qui se mobilisent. La grande majorité des parents et enseignants ont le sentiment que le temps passe et qu’il sera bientôt trop tard pour que tous ceux qui souhaitent s’exprimer puissent avoir la parole. Les 15 groupes territoriaux mis en place par la Ville ne permettront jamais à tous les parents des 114 écoles qui souhaitent être consultés de s’exprimer sereinement et d’être entendus.

Cette réforme va coûter plusieurs centaines de millions d’euros à l’Etat et aux collectivités locales. Pour quel bénéfice ? L’Éducation Nationale a besoin de moyens supplémentaires mais bien orientés et utilisés à bon escient. Aucune des augmentations d’effectifs d’enseignants par le passé n’a conduit à une baisse du nombre d’élèves par classe. Je peux l’attester. Dès lors quelle utilité au recrutement de 80 000 postes ?

Risque d’une école à deux vitesses

Il y a une angoisse avec cette réforme de voir la qualité de l’école diminuée, de voir émerger une école à deux vitesses d’un quartier à l’autre. L’école doit rester un gage de haut niveau de service public. Il y a une impression, confirmée par les villes appliquant déjà la réforme, de gaspillage inacceptable de l’argent public. Il aurait fallu concentrer les moyens vers les écoles fragiles ou en difficultés, au lieu de préparer un saupoudrage inefficace, qui plus est conduira à déréguler les rythmes biologiques de l’enfant.

Comment faire croire également que l’on pourra embaucher un personnel périscolaire de qualité pour des sessions de 45 minutes par jour ? Comment expliquer que les enfants seront présents exactement le même nombre d’heures à l’école mais risquent d’être pris en charge par des personnels moins qualifiés que les enseignants sur ce temps de présence ? Comment expliquer aux enfants suivant déjà des activités le mercredi qu’ils devront les abandonner pour des parodies d’activité à l’école.

Le flou actuel favorise une ambiance délétère dans les écoles. Il faut rassurer au plus vite les familles et les enseignants pour qu’un climat de sérénité leur permette à nouveau de consacrer leur énergie aux élèves.

Catherine Balouka
Directrice d’école
Membre de « A Strasbourg »


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