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Chez les jeunes, des violences conjugales voilées

Sur Rue89 : Les violences conjugales, la loi et le néant

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Chez les jeunes, des violences conjugales voilées

Campagne de sensibilisation sur les violences faites aux femmes en 2007 (Photo Etienne Valois / FlickR / cc)
Campagne de sensibilisation sur les violences faites aux femmes en 2007 (Photo Etienne Valois / FlickR / cc)

En France, plus d’une femme sur dix est victime de violence conjugale. Chez les jeunes couples, elles prennent la forme d’insultes, de remarques, de pressions, très difficiles à détecter et encore plus à faire cesser. Dans les associations d’aide aux victimes, les témoignages commencent à décrire un schéma. 

« Lorsqu’il est stressé, il me donne des coups de pieds et m’insulte », voilà à quoi ressemble le quotidien de Camille (tous les prénoms ont été changés), étudiante strasbourgeoise de 20 ans. Comme beaucoup d’autres personnes, Camille associait les violences conjugales aux couples formés par des conjoints plus âgés, dans un cercle familial. Pourtant, les jeunes, à peine installés, sont aussi victimes de violences. Souvent minimisée et taboue, les jeunes, victimes et bourreaux, ont du mal à l’identifier.

« Il est génial, mais le problème c’est l’alcool »

Ainsi Michel, 23 ans, et Emma, 22 ans, ont été en couple pendant 4 ans. Il était attentionné et serviable. Mais, lorsqu’il buvait, c’était une autre personne. Lorsqu’Emma parle de cette période, les mots sortent difficilement, les larmes ne sont jamais loin :

« Pour le Nouvel An 2013, Michel a réservé une chambre d’hôtel à Strasbourg. En rentrant de la soirée, il était complètement ivre. Alors que je lui proposai d’aller se coucher, il devint agressif et prit subitement la table de la chambre et la jeta au sol. Puis, il me plaqua au mur de tout son poids pour m’empêcher de sortir. Je n’arrêtais pas de crier, mais personne ne venait à mon secours. Le lendemain il s’excusa, avec bouquet de fleurs et promesses de ne plus jamais recommencer. Je lui ai pardonné en me disant que c’était l’alcool qui l’avait rendu agressif. »

Mais un autre épisode finira par faire fuir Emma. Lors d’une soirée arrosée, devant ses amis, Michel insulte Emma :

« Il était complètement saoul. Il devait me raccompagner chez nous mais lorsque je lui ai fait remarquer son état, il s’est emporté, il m’a ridiculisé devant eux et a fini par me laisser seule dans la rue en pleine nuit. Auparavant, les violences survenaient toujours qu’entre nous deux. Quand j’ai vu que ses amis le soutenaient, j’ai pris conscience que j’étais devenue une victime. Et c’est ce qui m’a décidé à partir, plus que les coups. »

Claire, strasbourgeoise de 18 ans, s’est retrouvée dans une situation semblable. En couple depuis quelques mois, elle est devenue la « cible » de son copain :

« Il était adorable mais dès que j’ai découvert qu’il avait une dépendance à l’alcool, les choses ont changé entre nous. Il rentrait quasiment tous les soirs soûl. Je lui disais d’aller s’allonger mais il refusait. Pour se défouler, il se rendait à la salle de bain pour se frapper la tête contre la baignoire. Au début, il ne s’en prenait qu’à lui. Mais, un jour, alors que je lui reprochais d’avoir trop bu, il me gifla. Il s’est mis à me reprocher de ne pas boire avec lui et depuis en plus, il tentait de m’entraîner dans les conséquences de son état alcoolique. C’est finalement la police, appelée par un voisin à la suite d’une dispute, qui lui a fait peur. Il est parti de lui-même. »

En couple depuis quelques mois, Maria, 22 ans, était en permanence rabaissée par son concubin :

« Au début de notre relation il était adorable et appréciait mon mode de vie. Puis, il a commencé à tout critiquer : la façon dont je m’habillais, celle dont je cuisinais… J’avais beau mijoter son plat préféré,  il ne le mangeait pas. Lorsque je lui faisais comprendre qu’il me traitait mal, il menaçait de vouloir se suicider. Devant mes amis il était calme et personne ne pouvait se douter comment il se comportait avec moi. »

En fait, Maria a été victime de violence psychologique et morale. Ce type de violence se traduit par des moqueries, des humiliations ainsi que des menaces. Souvent rabaissée par ses parents dans sa jeunesse, Maria n’a pas détecté cette violence. Il faudra le concours de ses amis pour qu’elle prenne conscience qu’elle reproduisait le schéma familial, et une autre rencontre amoureuse, saine cette fois.

Une « violence transparente »

Daliah Goldman-Levy, psychologue clinicienne chez Rescif, une association proposant des médiations familiales et conjugales, détaille les mécanismes violents :

« Chez les jeunes, il existe souvent ce que j’appelle une « violence transparente » : des insultes, des remarques sur les vêtements ou sa façon d’être, des pressions constantes… Ces faits sont des violences conjugales mais souvent minimisés par les victimes. Les victimes pensent souvent que ces agressions ne sont pas des violences, puisqu’aucune marque n’est visible sur leurs corps. Et leur entourage n’est souvent pas à même de les aider ou de les alerter… Les victimes ont tendance à attendre qu’une violence extrême ait lieu pour pouvoir réagir, grâce notamment à la réaction des proches face à des contusions par exemple… »

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Des agresseurs affables

Ce qui rend délicat la détection de ces violences conjugales chez les jeunes, c’est le comportement positif des agresseurs, souvent perçus par l’entourage comme quelqu’un de bien. Émilie Banny, éducatrice spécialisée à SOS Femmes Solidarité, détaille :

« Les victimes se persuadent d’avoir tort. Elles pardonnent, inventent des excuses à leur conjoint, se le rappelle comme il était lorsqu’ils se sont rencontrés… Le besoin de constamment laisser une dernière chance semble indispensable. Lorsque les proches poussent les victimes à quitter leur agresseur, la plupart du temps, celles-ci veulent rester pour prouver qu’il peut changer. C’est comme un challenge. »

En 2013, l’association a compté 1 126 appels de victimes et a reçu 454 visites, un quart des femmes reçues ont entre 18 et 25 ans. En outre, l’association suit 17 téléphones d’urgence, remis à des femmes dont la situation est particulièrement préoccupante. Selon Émilie Banny, il faut en moyenne sept séparations avortées entre une victime et son agresseur pour qu’elle le quitte définitivement.

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