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Au TNS, la geste de Perceval joliment rénovée

Tenter d’éloigner un enfant des affres du monde n’est pas chose aisée, qui plus est lorsque l’enfant qu’on tente de protéger porte en lui quelque chose de chevaleresque. Personnage central des récits de Chrétien de Troyes, le Théâtre National de Strasbourg, jusqu’au 23 mai, rend hommage à la splendeur d’une aventure qui traverse sereinement les siècles avec une mise en scène et une écriture fine et contemporaine. Un régal.

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Perceval, le conte d'un héros hors de toute sauvagerie, au TNS du 6 au 23 mai à partir de 20H. Photo Micjel Cavalca / Théâtre National de Strasbourg.

Perceval, le conte d'un héros hors de toute sauvagerie, au TNS du 6 au 23 mai à partir de 20H. Photo Micjel Cavalca / Théâtre National de Strasbourg.
Perceval, le conte d’un héros hors de toute sauvagerie, au TNS du 6 au 23 mai à partir de 20H. Photo Micjel Cavalca / Théâtre National de Strasbourg.

Il y a quelque chose de désespérément tendre dans le regard de Perceval, dans sa solitude mêlée de naïveté. Cette pièce ne prétend pas reprendre de façon précise le ton du roman d’où cette pièce éponyme à été tirée. Nous verrons, tantôt rieurs, tantôt émus, les pérégrinations d’un chevalier qui a obstinément refusé de se retourner pour contempler le corps sans vie de sa propre mère. Ainsi, tout commence par une naissance : celle d’un jeune candide aveugle face aux noirceurs de la vie. Comme dans le conte légendaire écrit au XIIème siècle par Chrétien de Troyes, Perceval a le cœur vaillant, d’un courage frisant le suicide, d’un romantisme passionné. Ce dernier va trouver sur son chemin des créatures fantastiques autant que des chevaliers jaloux de la bénédiction que lui a apporté le roi Arthur.

La pièce, donc, s’ouvre sur un départ : celui d’un enfant unique et prodige, quasi-invincible face à l’adversité. La volonté de notre héros est ferme : devenir un chevalier admiré, respecté, craint, donc aimé. Et pour cela, il va lui falloir rencontrer le maître des terres qui l’entoure : le roi Arthur, qui doit lui apporter un solennel adoubement. Ce sera chose faite, non sans une bagarre avec un des chevaliers de la Table Ronde, dont Perceval ne fera qu’une bouchée (en effet, Perceval répétera une bonne partie de la pièce qu’il a faim). Les costumes, le décor, l’atmosphère régnant dans la salle Koltès du Théâtre National de Strasbourg contribueront à nous installer dans le confortable fauteuil d’une légende séculaire durant deux heures.

Fait notable, les répliques réécrites par Florence Delay et Jacques Roubaud donnent une saveur contemporaine à ce spectacle historique. La mise en scène, orchestrée par Julie Brochen et Christian Schiaretti, apporte un mouvement fluide, savamment huilé.

Une ironie chevaleresque

La saveur de la pièce est contemporaine, mais elle est aussi formidablement ironique. On peut être surpris par la liberté de ton avec laquelle Perceval, dans sa pérégrination du Saint-Graal, trouve sur son chemin autant de références modernes : la bagarre avec des créatures sur fond de musique de jeu vidéo (avis aux fans de Mario Bros) est proprement poilante, le bruit lointain d’un hélicoptère qu’on entend nettement est hilarant, les dialogues frisant un absurde aussi contrôlé que les pièces de Samuel Beckett ou que la série télévisée « Kaamelott », la liste est longue. On s’attendait à voir une très légère modernisation nécessaire à un écrit datant de plusieurs siècles, on constate avec un bonheur rafraîchissant une réécriture burlesque, drolatique, essentielle.

Encore une fois, le TNS n’a pas déçu, à en voir le public s’esclaffer par intermittence durant deux heures. Quant aux conservateurs de l’œuvre de départ, ils ne sont pas en reste puisque la teneur du récit initial est entièrement respectée, l’exigence du jeu est parfaitement maintenue.  Le conteur, maître de céans, alterne joyeusement entre vrai lyrisme pur (avec un joli passage, quelques instants, à une lecture du conte en vieux français, jouissif à entendre) et digression humoristique.

C’est une pièce généraliste car elle s’adresse à tout le monde : aux parfaits connaisseurs de l’oeuvre de Chrétien de Troyes autant qu’aux spectateurs de « Games of Thrones », « Kaamelott », mais aussi des sketchs des Monthy Pythons, références inconscientes de cette jolie représentation qui s’achèvera le 23 mai. On ne doutera pas du petit succès de cette pièce où les comédiens, avec une énergie et une endurance louables, s’attellent vivement à ne pas complètement déconstruire un récit qui fait encore rêver plus d’un être : la beauté d’un mythe sacré réécrit avec grâce et sarcasme par des doigts de fée ne peut que nous émouvoir.

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