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La marque Alsace va-t-elle survivre à la fusion avec la Lorraine ?

Alors que le président de région Philippe Richert et son homologue lorrain s’accommodent de la réforme territoriale, les débats autour d’une fusion Alsace-Lorraine jettent une lumière crue sur les limites d’une marque Alsace qui peine à fédérer.

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Bientôt une marque Alsace-Lorraine ?

Bientôt une marque Alsace-Lorraine ?
Bientôt une marque Alsace-Lorraine ? (Photo ImaginAlsace)

Contrairement à beaucoup de leurs administrés, Philippe Richert, président (UMP) de la région Alsace et Jean-Pierre Masseret, président (PS) de la Lorraine, s’accordent à dire qu’une fusion Alsace-Lorraine « n’est pas entièrement ridicule ». Les deux régions ont un passé commun, mais surtout, elles auraient un avenir commun : l’Alsace-Lorraine formerait une grande région européenne qui aurait des frontières avec quatre pays, son PIB serait de 110 milliards d’euros (celui du Portugal est de 150 milliards), elle deviendrait la sixième région française en termes de richesse, etc. Soit. Mais alors, que devient dans cette belle histoire la marque Alsace, que le Conseil régional avait mis deux ans à accoucher ?

La marque Alsace partagée a été dévoilée le 30 mars 2012, mais la réflexion autour du concept est encore loin d’être terminée. Le projet est désormais piloté par l’Agence Attractivité de l’Alsace, née le 5 mai de la fusion d’agences de développement touristique et économique en Alsace. Le label « Alsace Excellence » et le nom de domaine .alsace devraient aussi voir le jour dans les prochains mois. Et si toute l’énergie et l’argent ainsi dépensés étaient gâchés par la fusion de l’Alsace avec sa cousine Lorraine ? Et si soudain, il fallait tout changer pour remplacer le beau logo imaginalsace par imaginalsacelorraine ? Voire créer le nom de domaine .alsacelorraine ou .alslor pour reprendre l’abréviation déjà visible sur Twitter ?

Pas de danger selon Philippe Choukroun, président de l’Agence Attractivité de l’Alsace :

« Ne confondons pas tout. Le projet de fusion du gouvernement vise à rapprocher les administrations, pas les identités. La Lorraine et l’Alsace pourront continuer à exister chacune de leur côté, comme les différentes villes alsaciennes qui conservent un esprit propre : Strasbourg, Colmar et Mulhouse communiquent sur leurs spécificités. »

Benjamin Louis, responsable du .alsace, future extension (comme le .fr) de la région, va dans le même sens :

« Les Alsaciens habitant dans une région Alsace-Lorraine vont-ils arrêter pour autant de manger de la choucroute ? Non ! Les Alsaciens seront toujours des Alsaciens et les Lorrains des Lorrains. Cette fusion, c’est très bien si ça permet de faire des économies, mais il faut déconnecter Imaginalsace de la politique. »

L’Alsace préservée par une marque

Ce qui est loin d’être évident, tant la marque Alsace a été portée… par le conseil régional d’Alsace. Philippe Richert est d’ailleurs le président du conseil d’administration de l’Agence Attractivité de l’Alsace. Qui le remplacera aux prochaines élections régionales d’Alsace-Lorraine ? Et que deviendra l’agence ? « Attractivité de l’Alsace-Lorraine » ? Jérôme Lehmann, directeur du Blackburo, une entreprise de conseil en communication, a participé à plusieurs réunions d’élaboration de la marque. Quoi qu’il advienne pour l’agence, il a de sérieux doutes sur la viabilité d’une marque Alsace-Lorraine :

« Une marque commune Alsace-Lorraine, ça risque d’être difficile. Tout le but de la marque Alsace a été de dégager une spécificité alsacienne, qui se traduit par un terroir mais aussi par une économie dynamique, de l’innovation, etc. Du côté de la Lorraine c’est plutôt la sinistrose, et à part un peu d’histoire commune, Alsaciens et Lorrains ne partagent ni langue, ni spécialité culinaire… La légitimité d’une marque commune aux deux régions serait donc quasi nulle. »

La Lorraine mise à la porte

Donc exit la Lorraine, ses quiches et son patois le platt… La Marque Alsace aux Alsaciens, ce qui soulage les partenaires qui avaient déjà exploité au maximum le code de marque, comme Emmanuel Goetz, président-directeur général des Bretzel Burgard :

« Nous sommes une marque régionale au départ. Donc apposer la marque Alsace sur nos produits n’a pas fondamentalement changé notre communication. Ceci dit, nous n’avons pas pu mesurer d’impact sur nos ventes ou notre notoriété. Si la marque vire Alsace-Lorraine, pourquoi pas, mais ça sera compliqué : la marque est déjà partout chez nous : le logo, les camions, l’usine… »

Et surtout, tant mieux pour ceux qui manifesteront « pour l’Alsace », « contre la fusion entre l’Alsace et la Lorraine » le samedi 28 juin à Strasbourg et Colmar, qui risquent bien d’utiliser le A-coeur comme symbole de ralliement. Damien Colin, apiculteur-récoltant à Châtenois, est aussi un utilisateur de la marque Alsace. Il soutient les opposants à la fusion :

« Je ne suis pas Alsacien mais si je l’étais je ne voudrais pas qu’on nous rattache à la Lorraine. On ne parle pas des mêmes terroirs : quand j’ai demandé à apposer le logo de la marque Alsace, on m’a contraint à obtenir l’Indication géographique protégée “miel d’Alsace”. Et puis la Lorraine n’a rien à apporter à l’Alsace, c’est même tout l’inverse. »

Et pan. De son côté, la page Facebook « Non à la disparition de l’Alsace – Contre le projet de fusion des régions », a déjà intégré le A-cœur (ou A-bretzel, ou A-colombages, au choix) à sa campagne de dénonciation de « ce projet qui ne respecte pas les identités alsacienne et lorraine », détournant le célèbre « Keep calm and carry on » britannique : :

Restez calme et mangez des bretzels
Une affiche de la page Facebook « Non à la disparition de l’Alsace – Contre le projet de fusion des régions »

 

Pourtant, les codes de la marque Alsace excluent spécifiquement toute communication politique. Une délégation alsacienne de la Manif pour tous se l’était appropriée lors d’un défilé à Paris le 13 janvier 2013, au grand dam de Philippe Richert.

Un joyeux bazar…

Cette nouvelle récupération par les opposants à la réforme territoriale expose au grand jour les défauts de la marque Alsace : l’inconvénient d’une marque partagée c’est précisément qu’elle regroupe tout et n’importe quoi. Plus de 2 000 entreprises alsaciennes ont déjà adhéré, et la marque compte plus de 2 500 « ambassadeurs » particuliers comme Mathilde Rielh, la jeune pilote automobile. Les producteurs de foie gras côtoient les conseillers en communication, les entreprises de BTP ou les festivals de musique traditionnelle. Un joyeux bazar qui déroute le public selon Jérôme Lehmann :

« À cause de cette diversité – parce que la marque a été conçue pour tous ceux qui sont fiers de se revendiquer Alsaciens – là où ça coince c’est au niveau du grand public. On ne trouve pas de sticker représentant le A-cœur à l’arrière des voitures par exemple. De ce point de vue, on est loin du « À l’aise Breizh », même si ça n’est pas la marque officielle des Bretons. En fait les gens ne se retrouvent pas encore dedans et il y a de quoi : en ce moment, quand vous allez sur la page Facebook Imaginalsace, c’est sur un footballeur que vous tombez… parce qu’il est Alsacien et participe au Mondial. »

Retrouvons ensemble l'identité alsacienne... (doc Rue89 Strasbourg / cc)
Retrouvons ensemble l’identité alsacienne… (doc Rue89 Strasbourg / cc)

… qui induit en erreur les consommateurs

Le flou qui entoure la marque peut même aller jusqu’à tromper les consommateurs, particulièrement dans le domaine de l’agroalimentaire. Le A-cœur est souvent pris pour un signe d’identification de l’origine et de qualité. À tort selon Philippe Choukroun :

« On n’exige pas que le produit soit fait en Alsace. Il suffit de se considérer Alsacien et d’aimer l’Alsace pour apposer la marque Alsace à côté du nom de son entreprise. »

C’est ce qui fait hésiter le Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA) à devenir utilisateur de la marque. Le CIVA a pourtant travaillé main dans la main avec les responsables d’Imaginalsace lors de sa conception. Après tout, il consacre 7 millions d’euros par an sur la communication autour des « Vins d’Alsace », rappelle son directeur Jean-Louis Vézien qui a un problème d’usurpation de notoriété :

« Des producteurs qui ne se donnent pas la peine de respecter les cahiers des charges des Appellations d’Origine Contrôlée ne devraient pas être autorisés à porter la marque Alsace. Ça induit le consommateur en erreur. Nous sommes en pourparlers avec l’agence d’attractivité pour que le futur label “Alsace Excellence” soit réservé aux vins d’Alsace AOC et que tous y aient accès. Sinon, on ne reprendra pas cette marque. »

Le coup serait rude pour la marque Alsace. Surtout si le futur conseil régional fusionné refuse, au nom de l’équité entre les territoires, de continuer à subventionner la marque Alsace. Elle ne survivrait plus alors que portée par quelques entreprises alsaciennes, pas sûr que ce soit suffisant.

Aller plus loin

Sur le site de la marque Alsace

Sur la réforme territoriale en Alsace-Lorraine : La voix est libre du 14 juin avec Philippe Richert et Jean-Pierre Masseret


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