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Pour sa nouvelle saison, le Maillon ouvre en grand sa scène aux bruits du monde

Pour 2014-2015, le théâtre du Maillon mise sur une programmation haute en couleurs aux dynamiques hybrides. Une scène faite de quêtes et de grandes passions humaines, en attendant le nouveau théâtre qui ouvrira ses portes au public en 2017.

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"Macbeth", de Brett Bailey, en novembre au Maillon

"Macbeth", de Brett Bailey, en novembre au Maillon
« Macbeth », de Brett Bailey, en novembre au Maillon

Détendu et souriant, Bernard Fleury, le directeur du Maillon, a présenté jeudi la nouvelle saison de son théâtre avec sérénité : depuis plusieurs saisons, le Maillon ne désemplit pas, assure-t-il. Avec des taux de remplissage supérieurs à 90% à la plupart des spectacles, le public ne boude pas son plaisir devant les choix de programmation, de pièces d’envergure nationale à des choix plus personnels.

Les images pop qui émaillent la ville de Strasbourg de pointillés rouges, et la bande-annonce que le Maillon a concoctée pour cette saison sont énergisantes. Ces choix esthétiques et musicaux sont à l’image de la programmation du Maillon : un savant mélange faisant appel à une mémoire collective trasho-quotidienne et à des questionnements transcendantaux sur Dieu et les communautés humaines. Oui, tout ça.

Cette nouvelle saison s’inscrit, et pourquoi faire autrement, dans la continuité des précédentes, poursuivant des fidélités avec plusieurs artistes de la scène européenne et internationale, comme c’est le cas de Brett Bailey, metteur en scène sud africain accueilli avec Exhibit B la saison dernière, ou Roméo Castellucci qui a probablement une loge à son nom maintenant au Maillon et qui revient avec Go down, Moses, créé en novembre au Théâtre de la Ville, à Paris.

La programmation interroge les humanités, ce qui les meut et les émeut : la guerre, la foi, la violence, le désir, l’altérité. À travers deux créations (Profils de Renaud Herbin et Christophe Le Blay, en collaboration avec le TJP et Les trois sœurs de Jean-Yves Ruf), deux premières françaises (Vader de Peeping Tom en collaboration avec Pôle Sud, et Regards à contre jour de Ant Hampton et Tim Etchells), une production déléguée (The Quiet Volume, de Ant Hampton et Tim Etchells dont la première française aura lieu à Toulouse, mais qui viendra ensuite habiter la Médiathèque Malraux) et dix coproductions, le Maillon affirme son rôle de producteur de spectacles et d’accompagnateur d’artistes, à Strasbourg comme à l’échelle européenne.

Les spectacles prennent des formes variées, hybrides, mêlant musique (parfois lyrique), théâtre, danse, vidéo et performances en se moquant des cases dans lesquelles on voudrait les ranger. Bernard Fleury l’affirme, il nous invite à une balade « au pays du spectacle vivant ». Alors que Pôle Sud se spécialise sur la danse, le TJP sur le théâtre d’objets, le Maillon semble vouloir continuer à être le réceptacle d’un peu tout ce qui existe, sauf l’opéra.

Le Maillon ne dément pas son ambition de scène européenne, carrefour rhénan et international. Les partenariats renforcés avec Pôle Sud et le TJP, mais aussi avec La Filature de Mulhouse et jusqu’aux scènes d’Offenbourg, Fribourg-en-Brisgau, Karlsruhe et Bâle, viennent souligner cet effort d’ancrage territorial pour créer une base de rayonnement.

Le nouveau théâtre du Maillon : décollage en 2017

C’est une promesse, le nouveau théâtre du Maillon, symbole de l’ambition de la Ville de Strasbourg comme capitale culturelle et européenne, ouvrira ses portes au public en 2017. Si la Ville de Strasbourg inscrit ce projet dans le cadre de la réhabilitation du quartier du Wacken, y investissant 25 millions d’euros, son objectif est aussi d’en faire un pôle de rayonnement culturel européen.

Le nouveau théâtre du Maillon, conçu par Umberto Napolitano et Benoît Jallon de LAN Architecture, avec ses deux salles de 700 et 250 places, espace constitué d’une boîte noire modulable à l’envi, devrait répondre à l’hybridation des formes actuelles de spectacle vivant. Espace de création et d’expérimentation, pensé avec une salle d’échauffement et de conférences, ce nouveau bâtiment et son équipement scénotechnique devraient être capables d’accueillir les formes les plus diverses, renforçant la notoriété du Maillon mais aussi l’attractivité de la Ville de Strasbourg dans sa vocation culturelle.

Reste à voir comment les coûts de fonctionnement d’une telle structure vont grandir en même temps que les ambitions qui lui sont attribuées. Bernard Fleury témoigne:

« On travaille en bonne intelligence sur ces questions avec la Ville de Strasbourg, en se laissant le temps d’y réfléchir tranquillement, par des rendez-vous réguliers. La problématique des co-financements reste à clarifier. De nouveaux enjeux vont avec ce nouveau bâtiment, au niveau régional et national, mais aussi sur le Grand Est et les zones frontalières. »

Autrement dit, la Ville ne donnera pas plus, aux autres d’augmenter leurs participations… La « bonne intelligence » risque de montrer rapidement ses limites.

Mouvements explosifs : aperçu de la saison en images

La saison débute en novembre par la reprise d’un spectacle mêlant théâtre d’objet et vidéo, qui est depuis 2001 un succès public, La Grande Guerre du collectif néerlandais Hotel Modern et Arthur Sauer. Il prend tout son sens en cette année de mémoire de la première guerre mondiale.

On reste dans la thématique de la guerre, tout en abordant les coulisses flamboyantes d’un pouvoir usurpé et monumental avec Macbeth de Brett Bailey, qui fait s’entrechoquer les styles et les cultures avec adresse et fracas, de l’opéra de Verdi au Congo Kinshasa, de l’Angleterre shakespearienne aux affres du pouvoir africain. L’empreinte d’un Kinshasa lyrique rejaillit à la fin de la saison, avec Coup fatal de KVS et les Ballets C de la B.

De la danse qui tutoie le sacré

Cette saison la danse n’est jamais très loin de Dieu, ou en tout cas du sacré. De Foudres, pièce exubérante et euphorique de Dave St-Pierre, à Au temps où les arabes dansaient de Radhouane El Meddeb, où des hommes s’essayent à la danse du ventre pour exacerber la nostalgie d’un passé pas si lointain, de D’après une histoire vraie de Christian Rizzo à Passion selon Saint-Jean (titre provisoire) de Laurent Chétouane, en passant par Antigone Sr./Twenty looks or Paris is burning at the Judson Church(L), Antigone pop, masculine, antique et américaine, le divin semble être un objectif, une direction pour des humains qui luttent pour rassasier notre besoin de consolation.

Inclassable toujours, des formes hybrides viennent aborder des sujets graves en y insufflant grâce, légèreté et mystère. Daral Shaga de la Cie Feria Musica, opéra circassien contemporain autour du mur de l’immigration, raisonnera dans les frimas de décembre. Angélica Liddell et son Atra Bilis Teatro viendront faire trembler le Maillon avec Todo el cielo sobre la tierra (El sìndrome de Wendy), entre haine des mères et refus de grandir.

Gisèle Vienne nous inquiétera dans Showroomdummies#3 avec ses humanoïdes hypnotiques. Hallo, de Martin Zimmermann, présenté avec les Migrateurs, reprendra sa fascination des vitrines et jonglera avec les objets qui s’y entassent. Enfin Les limbes de Etienne Saglio nous inviteront à une plongée dans les profondeurs.

Et bien sûr, du théâtre, du théâtre, du théâtre ! Revisitant des auteurs majeurs comme Flaubert et Bergman autour des thèmes de vanité, d’amour et de mort, les pièces de cette saison invitent à la déraison tout en clamant haut les inévitables conséquences de la passion.

Du « théâtre de province » ?

Du tragicomique Huis de Josse de Pauw aux Trois sœurs de Jean-Yves Ruf, le monde regrette une brillance perdue. C’est aussi le cas de Charles Bovary dans Bovary, pièce de Province, de Mathias Moritz, aussi atteint de « bovarisme » que sa célèbre épouse, sinon plus ! La compagnie TG STAN, accueillie pour deux pièces d’Ingmar Bergman, nous plongera dans les affres des désirs intimes de personnages en quête de lumière. C’est le désir immense d’une vie vécue tout de suite, en hommage à Paul Morrissey, qui animera avec humour et tendresse Little Joe : Hollywood 72 du Théâtre des Lucioles.

Attention événements ! Le Maillon accueille cette saison, en collaboration avec Pôle Sud, la nouvelle création de la sulfureuse et immense Maguy Marin, avec BIT en mars 2015. Pour avoir la chance de jouer les figurants en décembre 2014 pour la première française, toujours en collaboration avec Pôle Sud, dans Vader de Peeping Tom, pensez à contacter le Maillon au plus vite. Enfin, il sera possible d’apprécier le meilleur de la musique Klezmer avec le concert de Oy Division en janvier.

Rendez-vous est dores et déjà pris pour terminer la saison, comme de coutume, avec la dixième édition du festival Premières, qui se tiendra à Karlsruhe. Le programme de ce festival invitant les jeunes metteurs en scène européens sera disponible début mai 2015.


#Bernard Fleury

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