Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Les mots des maux d’amour

Dans les couples, les mots détruisent parfois autant que les actes. Est-il alors encore question d’amour ? Pour ces victimes, il est difficile de voir un médecin seule, sans leur bourreau. Doc Arnica en reçoit régulièrement en consultation.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Image doc Arnica

Image doc Arnica
Les violences psychologiques au sein d’un couple sont un délit punissable d’un peine maximale de trois ans de prison et 75 000€ d’amende. (Illustration « La Femme qui pleure » de Pablo Picasso)

BlogMyriam n’est jamais venue en consultation chez moi. C’est sa sœur qui est ma patiente qui me l’amène.  Myriam est silencieuse. Je m’adresse à elle avec précaution. Comment allez vous ? Dites moi pourquoi vous venez me voir ? Questions qui la font s’effondrer aussitôt . Elle a du mal à dire . Elle met quelques minutes avant de dire. Dire les mots qu’elle entend tous les jours quand son mari rentre du travail. Dire la peur au ventre en l’attendant, alors qu’elle est femme au foyer depuis 5 ans.

Myriam a fait des études de droit, a réussit sa maîtrise et a rencontré l’homme qui est devenu son mari. Elle a travaillé au début, vu ses amis au début, puis il lui a demandé de rester à la maison pour élever les enfants et lui a dit qu’il ne supportait plus ses amis à elle. Puis très vite ont commencé les mots durs, les humiliations devant les enfants, le dénigrement permanent. Les « tu es moche », « tu sais rien faire », les « le repas est dégueulasse », les « tu as foutu quoi aujourd’hui, la maison n’est même pas rangée ! » ….

Il ne l’a jamais frappée, oh non. Mais elle raconte le mari brillant au travail, aimé de tous et l’enfer à la maison. Myriam me dit qu’elle aime son mari ….

Leïla n’a ni chéquier, ni espèce

Leila m’amène son petit garçon de 2 ans qui est malade. Il a un petit rhume et de la fièvre. La consultation est simple. Je me rends compte que la maman est fatiguée, elle ne supporte plus son petit qui est plutôt sympa. Je lui en parle en terminant la consultation de celui-ci. Je lui demande ce qui lui arrive.

Elle me dit ne plus supporter d’être à la maison en permanence avec l’enfant. Elle a choisi d’arrêter de travailler à sa naissance, mais elle veut reprendre le travail. Son mari ne veut pas. Elle me dit ne pas avoir d’argent à elle. Elle me paye le tiers-payant pour son fils avec un chèque pré-rédigé par son mari de 2,60€. Et elle raconte. Plus d’amis, sa famille est loin en Algérie. Elle dépend entièrement financièrement de son mari qui ne lui donne pas un euro. Il fait les courses avec elle et paye à la caisse. Elle n’a ni chéquier ni espèces. Leila était secrétaire avant…

« La consultation m’est pénible devant la manière qu’à Julie de ne pas laisser Dominique exister »

Dominique est malade. On lui a diagnostiqué une fibromyalgie. Elle vient avec un gros dossier médical quand elle vient signer la déclaration de médecin traitant. Elle ne vient pas seule, mais avec sa compagne Julie qui est un peu plus jeune qu’elle. Je pose des questions sur son histoire médicale à Dominique qui a l’air épuisée, voire dépressive au premier abord. J’essaye quand même de ne pas avoir d’à priori.

Elle dit avoir des douleurs quotidiennes, mais Julie ne la laisse pas terminer ses phrases. Elle répond à sa place. Tout le temps. J’essaye d’inverser la situation, j’interromps à plusieurs reprises Julie pour laisser Dominique s’exprimer. La consultation m’est pénible devant la manière qu’a Julie de ne pas laisser Dominique exister. Julie reproche à sa compagne ses douleurs, son incapacité à réagir. Pas un mot de soutien, ni d’encouragement. Un bulldozer qui démolit petit à petit en avançant inexorablement .

Johan boit, Hélène picore

Johan a 78 ans, il est alcoolique. Sa femme a le même âge que lui. Dès la première consultation (ils viennent en couple), elle l’humilie devant moi en parlant de lui comme s’il était absent. Cela fait plus de 50 ans que cela dure. Marie est terrible. Johan a renoncé depuis longtemps. Il ne lui reste plus que l’alcool… Redonner l’envie de vivre à Johan a été un challenge pour moi pendant des mois. Un jour, il a arrêté de boire et a su dire « ça suffit »à son épouse .

Hélène est une dame âgée et toute frêle. Elle a eu 8 enfants. Elle vient en consultation avec son mari. Toujours. C’est lui qui sort sa carte vitale, et qui paye. Il dirige la consultation, ne la laisse jamais dire un mot sans lui couper la parole. Aujourd’hui Hélène m’inquiète. Elle n’a plus que 38 kilos. Quand je le lui fais remarquer, son mari explose en lui reprochant sa manière de picorer au lieu de manger. C’est lui qui cuisine évidemment. Devant la tournure que prend la consultation je demande à voir Hélène en tête à tête. Il amènera sa femme au rendez-vous et voudra rentrer avec elle en consultation. Devant mon refus, il ira même jusqu’à écouter à la porte… Laisser sa victime dire les choses lui paraissait insoutenable et pour cause.

 Une violence qui démolit à coups de mots

Bien sûr, il y a la violence qui donne des coups qui fait des bleus qui meurtrît la chair. Bien sûr il y a les viols entre époux . Mais il y a l’autre violence qui insinue la peur, qui humilie, qui démolit à coups de phrases, de mots, de privation de liberté.

Les violences psychologiques dans le couple sont terrifiantes. Je vois souvent le résultat chez la victime d’années d’intimidation, de privation progressive de liberté, d’humiliation et de reproches incessants. Il s’agit d’un rapport de domination sur la victime qui peut aller à des extrêmes impensables et qui peuvent durer toute une vie. Les attaques vont au physique de la victime, à ses capacités intellectuelles, à sa sexualité.

Il y a de nombreuses justifications qui ne sont que des manipulations de la victime. Paradoxalement, il s’agit de l’amour, de la jalousie, du bien-être de l’autre ( « Je sais mieux que toi ce dont tu as besoin », « C’est pour ton bien ») (sic).

Rien n’échappe au bourreau

La difficulté qu’ont ces victimes est qu’elles ne voient quasiment jamais un soignant seules. Le bourreau manipulateur les accompagne le plus souvent. Notre rôle de soignant est de pouvoir négocier une psychothérapie dans notre consultation, l’accès au psychiatre ou au psychologue leur étant barré par le conjoint maltraitant. Si la victime vient seule, les choses sont plus facile à faire évoluer. Les pires manipulateurs ne laisseront jamais leur victime venir sans eux. Il faut profiter des consultations des enfants, quand il y en a, pour poser la question toute bête : comment allez-vous, vous ?

Les violences psychologiques au sein du couple sont un délit punissable d’une peine maximale de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, depuis 2010. Elles sont définies comme des actes qui peuvent être constitués de paroles et/ou d’agissements, d’une dégradation des conditions de vie de la victime, entraînant une altération de sa santé physique ou mentale.

Et 2 ans plus tard…

Post scriptum : Myriam a réussi à divorcer 2 ans après cette première consultation.
Leila a divorcé à l’amiable (oui 🙂 ) 2 ans plus tard.
Julie a quitté Dominique pour une autre victime.
Les relations entre Johan et Marie se sont considérablement améliorées.
Hélène a été libérée par la mort rapide de son mari d’une maladie foudroyante.


#couples

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options