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L’open data strasbourgeois est-il en panne ?

Lancé en grande pompe, il y a un peu plus d’un an, la page open data de la CUS n’a pas bougé depuis. En cause, les exigences de qualité que s’est donnée la CUS, et aussi les verrous propres à l’administration. Mais à force de stagner, ces données risquent de n’intéresser qu’une poignée de professionnels et non plus les citoyens.

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L'open data à Strasbourg ? Pourquoi si peu d'intérêt ?

L'open data à Strasbourg ? Pourquoi si peu d'intérêt ?
L’open data à Strasbourg ? Pourquoi si peu d’intérêt ?

Que penser d’un service dont la newsletter mensuelle s’est brusquement arrêtée au second numéro ? C’est peut-être la question que se sont posée les abonnés aux dernières nouvelles de la page Open Data de la CUS, mise en ligne début septembre 2013. En publiant certaines de ses données, Strasbourg emboîtait le pas à des communes comme Paris, Nantes ou Montpellier, avec l’objectif affiché d’encourager les réutilisations et de favoriser la connaissance de la collectivité par ses usagers.

Mais depuis la fin d’été 2013 et surtout après la clôture du concours d’applications lancé peu après, il n’y a eu qu’une dizaine de nouveaux jeux de données (dont les résultats des élections européennes et municipales), et seul un tiers du stock a été mis à jour après la première publication. Avec environ 70 jeux de données publiés, on est très loin du portail mis en ligne par Montpellier par exemple, qui propose 201 jeux de données à ses utilisateurs.

De plus, les jeux de données sont pour beaucoup très orientés « services », avec par exemple le top 50 des documents empruntés à la médiathèque Malraux ou la localisation des conteneurs de tri. Et très peu sont des données mises à jour en temps réel. Si on enlève les horaires de la CTS, il ne reste guère que les taux d’occupation des parkings.

Dernier budget disponible : 2012

Certes, on trouve aussi sur cette page open data des infos plus sensibles, comme les budgets primitifs de la CUS ou ses comptes administratifs. Mais là encore, la comparaison avec les mêmes données diffusées par Montpellier est sévère : la CUS diffuse uniquement ses comptes administratifs de 2012 quand Montpellier met en ligne ceux de 2005 à 2013, la CUS tarde à mettre à jour le budget de cette année quand Montpellier met déjà à disposition les budgets de 2013 et de 2014.

Malgré ce constat, Sandrine André, chargée du développement numérique à la CUS, en tire un bilan très positif :

« Un des objectifs espéré dès les premières mises en ligne de données de la CUS était la réutilisation par des “early adopters”. De ce côté-là, le concours d’applications a été très concluant, et on a vu de très bonnes réutilisations à cette occasion. Désormais, on prépare de grosses mises à jours sur les jeux de données disponibles, ce qui est la moindre des choses. »

Cette orientation  du catalogue de données est soutenue par Jean Melounou, chef de projet informatique à la CUS :

« Chaque collectivité qui libère ses données aborde la problématique sous un angle qui lui est propre. À la CUS, le portage de l’Open Data a été initié par le service du développement économique, et c’est sous cet angle précis que les premières publications de données se sont faites. »

Moins de données, la faute à la recherche de qualité

Ce projet open data est à la croisée des services économique, informatique et multimédia de la CUS. Les porteurs ont mobilisé les directions disposant de données, ce qui a nécessité beaucoup de pédagogie interne. Il n’a pas été évident de convaincre de l’intérêt pour les services de publier leurs infos. Pour Jean Melounou, les freins provenaient souvent d’une volonté de bien faire :

« Beaucoup de producteurs de données chez nous connaissent bien les limites de leurs fichiers, ce qui a été un frein important. Et ils craignent qu’une réutilisation publique n’en tienne pas compte. Par exemple, si on publie les horaires “théoriques” des différents services publics de la CUS, on sait d’emblée qu’on ne prend pas en compte les jours fériés.

Une application basée sur ce fichier pourrait des services ouverts un jour férié comme si c’était n’importe quel jour de la semaine. On doit donc fournir un travail qualitatif supplémentaire pour éviter ce genre de malentendu ».

Autre exemple : chaque nuitée d’hôtel dans l’agglomération est comptabilisé dans une base de données puisque la CUS applique une taxe de séjour. Mais publier ces données nécessite de bloquer les niveaux de filtres disponibles, comme l’explique Sandrine André :

« Si on veut publier ce type de données touristiques, on doit bien s’assurer qu’on ne puisse pas identifier précisément les établissements car ça pourrait être une atteinte au commerce ou à la concurrence. Mais dans certaines communes, même si vous ne publiez pas le nom d’un hôtel, le nombre d’étoiles suffit à deviner lequel est concerné. Donc il faut publier les données avec un niveau de détails qui ne permet pas l’identification. On essaie de fournir le maximum de données exploitables, à condition d’assurer l’anonymisation de ces données. »

Simon Chignard, auteur de Open Data : comprendre l’ouverture des données publiques, a exploré en détail les données fournies par la CUS avant de répondre à nos questions. Et il confirme cet aspect qualitatif :

« Le positionnement de la CUS me paraît en phase avec les données qu’elle propose. Par exemple, elle fournit avec le “métacatalogue” de ses données des informations qualitatives très pointues, comme des marges d’erreur statistiques. Ce souci de précision colle avec l’orientation professionnelle de ce stock open data. On trouve également des jeux de données peu répandus mais très intéressants et complets, comme celui des marchés publics de la communauté urbaine. »

Zones grises avec les données de l’Insee

Tenir un portail Open Data comme celui de la CUS implique également de ne publier au possible que les données qui appartiennent à l’institution. Les données IRIS du recensement publiées sur le site de l’Institut national de la statistique (Insee) en sont un exemple. Théoriquement, la CUS n’a pas le droit de les publier, même si certaines d’entre elles concernent directement Strasbourg. On trouve donc parmi les jeux de données de la communauté urbaine une table de correspondance entre les quartiers de Strasbourg et ces fameuses zones IRIS.

Une passerelle plutôt astucieuse pour contourner le problème sans risquer de froisser l’Insee. Simon Chignard expose les limites juridiques actuelles :

« Ce qui pose le cadre en matière d’Open Data en France, c’est la loi CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs). Mais cette dernière n’est adaptée que dans l’optique d’un citoyen faisant valoir ses droits face à une institution. Mais l’arsenal juridique n’est pas du tout à jour dans le cas d’une institution qui voudrait faire valoir ses droits face à une autre institution. Ceci dit, je n’ai jamais entendu que l’Insee ait poursuivi qui que ce soit, d’autant qu’un certain nombre de ses données sont publiées avec une licence Open Data. »

De toutes façons, le problème de la CUS est plutôt de continuer à produire des données malgré des moyens inexistants. Aucun agent n’est chargé de récupérer les données auprès des directions par exemple, ce sont ces mêmes directions qui sont priées d’avoir l’open data en tête, et de se mettre en rapport avec le service multimédia. Bref, du travail en plus des deux côtés, ce qui explique qu’après les premiers efforts de production, centrés sur les données les plus évidentes à collecter, aucun nouveau jeu n’ait été publié. Néanmoins, d’autres données devraient prochainement retrouver la liberté, on parle par exemple des taux d’occupation des piscines.

Échanges inexistants avec les utilisateurs

Autre problème du portail open data de la CUS, l’absence d’un espace d’échange entre utilisateurs et producteurs de données. Pour Simon Chignard, cet aspect social est trop souvent négligé dans les portails locaux :

« Prévoir un espace où les utilisateurs peuvent facilement faire part de leurs retours ou interrogations avec les producteurs de données réhausse la qualité des données tout en montrant aux producteurs quelles utilisations en sont concrètement faites. Le risque quand on offre qu’une interface technique, c’est que les producteurs de données mettent assidûment en ligne des fichiers pendant un moment, avant de baisser les bras en se disant “de toute façon, à quoi et à qui ça a servi ?”. »

Ce constat est d’autant plus pertinent que l’utilisateur est désigné à l’entrée du catalogue de la CUS comme « médiateur de la donnée » avec le citoyen… Car c’est bien tout l’enjeu au final, donner des clés pour que les citoyens puissent suivre, comprendre, et éventuellement juger de l’efficacité de l’administration publique. Obtenir de nouveaux utilisateurs ne serait guère difficile, la CUS pourrait commencer par référencer tous ses jeux de données sur le portail open data national, data.gouv.fr. Seuls une trentaine le sont. Peut-être alors sur le portail open data de la Région Alsace ? Ça n’a pas été fait non plus.

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