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L’ami, le collectionneur et le cuistot : mémoires de SDF morts à Strasbourg

Leur mort passe inaperçue. En 2014, 21 sans domicile fixe sont décédés à Strasbourg. Derrière cette triste réalité se cache des histoires humaines fortes. Un travailleur social et une bénévole se souviennent de trois personnes sans domicile qu’ils ont bien connus.

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L’ami, le collectionneur et le cuistot : mémoires de SDF morts à Strasbourg

21 SDF sont morts à Strasbourg en 2014 (Photo Benoit Theodore / Flickr / cc)
21 SDF sont morts à Strasbourg en 2014 (Photo Benoit Theodore / Flickr / cc)

Les personnes sans domicile fixe ont des parcours de vie souvent cabossés. Des cassures comme un divorce, la perte d’un proche ou encore le chômage les amènent un jour à vivre dans la rue et bien souvent, à y mourir. En 2014, au moins 21 personnes sont mortes dans la rue ou après des parcours d’exclusion. Le 1er novembre, pour la première fois, la Ville s’est associée à la commémoration en hommage aux victimes de la rue.

Créée en 2001, l’association l’Aumônerie de rue part à la rencontre des personnes ne disposant plus de domicile (SDF) dans les rues de Strasbourg. Le 28 novembre, une antenne strasbourgeoise du collectif national « Morts de la rue » va voir le jour. Cette initiative vise à améliorer l’organisation des funérailles pour les personnes à la rue. Elle doit aussi permettre de sensibiliser la population à cette question : en 2014, 21 personnes SDF sont mortes à Strasbourg.

Sophie Fauroux est à l’initiative de ces deux projets :

« L’Aumônerie de rue est une mission des églises chrétiennes. On ne fait pas du tout un travail social, c’est-à-dire qu’on ne propose pas de soins aux personnes de la rue. Nous, on développe simplement une approche humaine. »

Un binôme de bénévoles fait le tour de la ville tous les après-midi pour prendre des nouvelles de chaque personne SDF et s’assurer qu’ils sont en bonne santé. Avec le temps et les discussions, des liens se tissent. Sophie Fauroux les appelle par leur prénom et connaît des fragments de leur vie instable, ce qu’ils acceptent de partager, jusqu’à ce que celle-ci s’arrête. La mort des personnes contraintes de vivre dans la rue survient souvent plus tôt que la moyenne et de manière brutale. L’Aumônerie de rue est alors régulièrement sollicitée pour préparer les obsèques.

Annonce parue le 1er novembre (document Morts de la rue)
Annonce parue le 1er novembre (document Morts de la rue)

Guillaume Keller et Sophie Fauroux reviennent pour Rue89 Strasbourg sur les parcours de trois personnes qui ont perdu la vie à Strasbourg après un long passage par la rue. Une manière de mettre des noms et des visages sur ces disparitions qui passent inaperçues.

Gérard, un « vrai ami »

Gérard était devenu un ami pour Sophie Fauroux. Issu d’une famille de six enfants, il a très vite été confié à sa grand-mère. La mort de celle qui était son « pilier » dans la vie a été un véritable choc. Plus tard, Gérard travaillera jusqu’à ce qu’il se retrouve à la rue pour des raisons qui échappent à la fondatrice de l’Aumônerie de rue.

Après une rude période sans toit d’une quinzaine d’années, il est accueilli à l’Escale Saint-Vincent, à Strasbourg, pour d’importants problèmes de santé. L’établissement se charge de soigner les personnes défavorisées. À sa sortie, il trouve un logement mais Sophie Fauroux craignait qu’il ne supporte pas cette nouvelle vie :

« Pour m’assurer que tout allait bien, je lui rendais visite tous les mardis à 17 heures. Il m’attendait et quand on ne pouvait pas assurer ce rendez-vous hebdomadaire, on s’envoyait des cartes postales. C’est un homme qui avait beaucoup d’humour. On partageait une amitié très respectueuse. »

Dans son logement, Gérard avait gardé ses habitudes de la rue. Il ne dormait jamais dans ses draps et se contentait d’un repas par jour. Un soir de 2012, son matelas a pris feu. Un incendie sans doute causé par une cigarette mal-éteinte. Il mourra au service des grands brûlés à l’âge de 54 ans. Sa famille était présente à son enterrement, il y a deux ans.

Une commémoration était organisée le 1er novembre à l'église Saint-Pierre-Le-Vieux pour rendre hommage aux SDF morts dans la rue. (Document remis)
Une commémoration était organisée le 1er novembre à l’église Saint-Pierre-Le-Vieux pour rendre hommage aux personnes SDF morts dans la rue. (Document remis)

Dany, un « collectionneur d’objets »

Guillaume Keller sort une photo de Dany qu’il garde précieusement dans son sac. Un chapeau fixé sur la tête, Dany apparaît avec son chien au milieu d’une vaste collection d’objets. Il était très connu des passants pour sa passion des outils et des matériaux de récupération. Dany s’installait régulièrement sur les marches de l’église Saint-Pierre-Le-Vieux, au bout de la rue du 22 novembre. Jusqu’au jour où il a obtenu une caravane d’occasion qu’il a pu garer sur un terrain proche de la gare.

Né à Versailles, l’homme serait devenu orphelin. Dany a longtemps travaillé dans le secteur du bâtiment avant de se retrouver à la rue comme le raconte Sophie Fauroux :

« Il était très fier de son parcours professionnel. Dany se vantait souvent d’avoir participé à la construction du pont de l’île de Ré. Il est sans doute arrivé à Strasbourg pour l’installation de nouvelles lignes de tram. »

Une dame venait même le voir tous les jours pour lui offrir un morceau de viande chaud et un bout de pain. En 2010, Dany est retrouvé inanimé dans la caravane où il vivait depuis deux ans. Pour Sophie Fauroux, le corps a sans doute lâché, usé par les vingt longues années passées dans la rue. Des riverains et même une adjointe au maire de la ville se sont rendus à ses obsèques.

Stan, le cuistot de la bande

Stan est originaire de Pologne. Guillaume Keller raconte qu’il a quitté sa femme et ses deux enfants pour se rendre aux États-Unis et au Canada. Lors de ses voyages, il a travaillé dans le secteur de la chimie et aussi dans la restauration. Stan est arrivé à Strasbourg à la fin des années 90 comme d’autres expatriés polonais après la chute du communisme.

Il devient vite l’une des figures du groupe de Polonais présents dans la ville. À plusieurs reprises, ce cuistot a préparé de grands repas pour les sans abri. Des moments très forts et conviviaux se souvient Guillaume Keller. Mais Stan est aussi un homme malade, avec un comportement changeant :

« Il avait un comportement bipolaire voire une schizophrénie. Parfois, il ne buvait pas une seule goutte d’alcool et à d’autres moments son état se dégradait fortement. Cela pouvait durer plusieurs semaines. Mon rôle, en tant que travailleur social, est aussi d’accompagner les personnes à la rue dans les moments difficiles. »

Sauf qu’un soir tout a dérapé raconte Guillaume Keller. Stan avait beaucoup bu et s’est montré agressif envers les passants place Kléber. Un autre sans abri aurait alors tenté de le calmer mais d’une manière violente. Après avoir reçu plusieurs coups, l’expatrié polonais a fait une chute fatale. Dans le coma, il se réveillera à l’hôpital et les médecins envisageront même sa rééducation. Mais, il mourra « du jour au lendemain » des suites de ces blessures en octobre 2012 après une quinzaine d’années passées dans la rue.


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