Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Pour briser une grève, L’Alsace de mardi a été imprimé en Allemagne

C’est une première dans l’histoire de la presse française. Michel Lucas, le patron du Crédit Mutuel, propriétaire du journal L’Alsace, a fait imprimer l’édition de mardi en Allemagne pour contourner une grève du syndicat du Livre. Les ouvriers sont sous le choc, les journalistes moins.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

La fameuse "édition spéciale" imprimée en Allemagne (doc remis)

La fameuse "édition spéciale" imprimée en Allemagne (doc remis)
La fameuse « édition spéciale » imprimée en Allemagne (doc remis)

Michel Lucas, président du Crédit Mutuel et de tout un tas d’organes du groupe CM-CIC, ne supporte pas qu’on lui résiste. Propriétaire de L’Alsace depuis 1972, le Crédit Mutuel de Michel Lucas a racheté les journaux régionaux de l’ensemble de l’est de la France en 2011 pour les regrouper au sein du groupe Ebra. Alors quand le Syndicat du Livre (Filpac-CGT), qui représente la trentaine d’ouvriers imprimeurs du journal L’Alsace, a débuté une grève la semaine dernière aboutissant à deux non-parution jeudi 20 et vendredi 21 novembre, Michel Lucas a modifié son emploi du temps pour venir à Mulhouse prendre les choses en mains.

Devant les salariés de L’Alsace lundi, il a tenu une première assemblée générale à 16h au cours de laquelle il a discouru sur l’état, catastrophique, du journal. Une dette de 60 millions d’euros, des pertes de 6 millions d’euros par an, une diffusion (90 000 ex.) en baisse, etc. Et par conséquent a-t-il rappelé, c’est bien le Crédit Mutuel qui paie les charges de cette maison.

À l’assemblée générale, « c’est moi le patron »

À 22h, il a tenu une nouvelle AG, cette fois nettement plus courte et destinée aux ouvriers du Livre, 17 minutes selon certains observateurs, mais où il a eu le temps d’indiquer que l’impression du journal et l’encartage pouvaient être réalisés « ailleurs », que des essais avaient d’ores et déjà été réalisés le week-end précédent, qu’il était hors de question de rouvrir des négociations salariales et que c’était lui « le patron ». Douche froide pour les ouvriers qui pensaient qu’un accord était en voie de finalisation depuis vendredi pour une nouvelle « prime de panier », ils commencent à se demander s’ils ne doivent pas à nouveau bloquer les rotatives.

Mais peine perdue, car le journal était au même moment imprimé en Allemagne. Des instructions avaient été données à la rédaction pour « bater » (c’est à dire valider) les pages à 17h30, afin qu’elles soient imprimées ailleurs, probablement par l’imprimerie d’un journal du Bade-Wurtemberg. Les exemplaires ont ensuite été ramenés dans la nuit près de Mulhouse, un rendez-vous a été donné aux employés de L’Alsace en charge de la distribution pour qu’ils les récupèrent.

Une meilleure qualité qu’habituellement

L’exemplaire imprimé mardi est donc une « édition spéciale » de 48 pages toutes en couleurs, unique pour toute la zone de diffusion et comprenant deux pages de chaque édition locale. Du côté des ouvriers du Livre, c’est la consternation. Brahim Bouchareb, délégué syndical Filpac-CGT, prévient :

« Michel Lucas nous a fait le coup une fois mais il n’y en aura pas deux. On sait très bien où les journaux ont été imprimés et comment ils sont arrivés à Mulhouse pour être distribués. Nous avons des relations avec les ouvriers des journaux en Allemagne et nous en appellerons à leur solidarité le cas échéant. La grève est un droit constitutionnel. Ce coup de force de Michel Lucas montre bien quel personnage il est. Ce qu’il a fait doit servir d’avertissement à tous les journaux du groupe Ebra, car ça pourrait arriver à n’importe lequel. »

De leur côté, les journalistes apprécient à mots couverts de voir le monopole de la Filpac-CGT sur l’impression battu en brèche. Comme le résume l’un d’entre eux :

« On avait l’habitude de voir les ouvriers du Livre réclamer quelque chose, la direction négociait pour le principe et à la fin les ouvriers obtenaient ce qu’ils avaient demandé. S’ils perdent leur capacité de blocage, ils arrêteront peut-être de tirer contre tout un journal à 30 ! L’ironie de l’histoire est que les retours des abonnés ont été très bons pour ce journal tout en couleurs et qu’il s’agissait du journal-anniversaire pour les 70 ans de L’Alsace. »

La Filpac-CGT est encore sous le coup et n’a pas réagi à ce contournement. Mais Michel Lucas a prévenu dans un email que si les ouvriers se mettaient à nouveau en grève, il fermerait purement et simplement le centre d’impression de L’Alsace.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur L’Alsace


#Ebra

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options