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Les Héritiers : y a-t-il un prof pour sauver la galère de l’enseignement ?

À l’occasion de la sortie de Les Héritiers, un film de Marie-Castille Mention-Schaar, inspiré de l’incroyable aventure d’une classe en zone prioritaire, j’ai décidé de vous livrer ma confession de prof « engagée », un brin désappointée…

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A l'occasion du film de Marie-Castille Mention Schaar, inspiré de l'incroyable aventure du cours d'histoire d'une classe de Zep, j’ai décidé de faire enfin ma confession de prof "engagée" un brin désappointée... Je m'étais promis de ne pas y aller! Je suis bien consciente que depuis que je suis prof (une dizaine d’années maintenant), j’ai une sainte horreur de tous ces films qui parlent des miracles qui s'accomplissent au sein de l'école ou des ravages que fait l'institution prestigieuse qui m'emploie. Ce n’est plus un scoop, j'ai tendance à crisper dès que mon hobby pour le cinéma se mêle à mon activité professionnelle, et à vouloir boucher mes cages à miel face à tous ceux qui dissertent sur le pouvoir qui est donné à « tous ces gens » qui participent à la grande aventure de l'Education Nationale. Le Prof, cette catégorie socio professionnelle inclassable Le Prof est grognon ; pléonasme. Il est syndiqué, roule en 2 Chevaux (oh mais zut, il n’y en n'a plus !), il passe sont temps à compter les jours qui lui restent à travailler dans l'attente de ses prochaines vacances. Le Prof est souvent infantile pour être resté trop longtemps à l’école, pour ne l’avoir pas assez quittée depuis le temps où il était « de l’autre coté de la barrière ». Mais son cœur d’enfant en fait un enthousiaste : il croit profondément en sa mission, pardon en son métier. Il a besoin d'être reconnu comme celui qui sauve la nouvelle génération des affres d'une modernité sans issue, de ces promotions dégénérescentes où les enfants ne lisent plus, ne baignent que dans la non-culture des mangas et dans l'univers du "prêt à consommer sur place et sans modération" du SnapChat. Le Prof est donc enjoué et aime qu'on apprécié l'effort qu'il déploie à cultiver, pardon à civiliser les hordes d'enfants sauvages munis de I-Phones et DocMarten's, qui lui sont confiés. Il y a bien sur le Prof qui prend son rôle avec un peu plus de sérieux que les autres, et qui vire à la véhémence. Vous le repérerez assez vite, il est celui qui, pour combattre la sauvagerie naturelle de l'élève n'hésite pas à rappeler qu'ils sont « tous les mêmes à se fiche de la gueule du monde ». Mais il est au-dessus de cet affront, et analyse les circonstances exténuantes en tout genre que les élèves évoquent pour se débiner de la tyrannie quotidienne de l’école. Le Prof-Grincheux rappelle le nombre d’absences injustifiées dont l’élève s’est rendu coupable, il se sent fort d’ironiser sur la mauvaise foi de ceux qui enterrent 8 grands-mères chaque année, et qui participent 4 fois à LA Journée d'Appel annuelle obligatoire à 18ans… Y a-t-il un prof pour sauver la Grande Galère de l’Education Nationale ? Tel aurait pu être le titre du film Les Héritiers, qui rappelle qu’il existe le Prof-Sympa, avec des idées et des projets pour sa classe, et même de l’affection pour ses rejetons. Il est animé d’un véritable souci pour leur avenir. Il croit en l'humain qui se cache derrière l'élève qui a démissionné de toutes les conventions de la politesse et de toutes les règles officielles de la langue française. Il est le fervent avocat de la défense de ses âmes qui n'attendent que son secours pour vivre le miracle de l'éducation, et témoigner de la rédemption par le savoir. Ce Prof c'est l'empêcheur de tourner en rond du système usé qui pose le verdict de l’échec irréversible sans autre pièce à conviction que la moyenne trimestrielle divisée par le nombre d’heures de colles reçues. Sa foi en l’élève en fait l'oxygène de se vase clos ou trainent encore des traces de la période jurassique fossilisées en condamnations à perpétuité inscrites en pied de bulletin. Dans le miroir grossissant des Héritiers Je redoutais ce film car je craignais d’être confrontée à tous ces clichés d'élèves types, à toutes ces blagues déjà classées, mais surtout pour ne pas à savoir à subir ma propre image de Prof-Croyante, 25 fois grossie à la loupe. Je crois en mon métier que je pratique le plus souvent dans la joie et la bonne humeur, et j’ai même une foi inconditionnelle dans pouvoir salvateur de la matière que j'enseigne. Pour me le prouver j’anime un atelier de philo en prison, sur le compte de l’Education Nationale qui semble adhérer à mes convictions de « Prophète en Terres Brulées ». Je revendique l’idée que faire confiance aux élèves est le meilleur moyen de conjurer la crainte sourde inspirée par tout ce qui souligne si cruellement l'inutilité de l'enseignant et du système très lourdement balisé dont il participe. J’espère surtout être un peu originale et réfractaire à ce qui ferait de moi la Prof-Rabougrie que je croise le Lundi matin dans les couloirs avec la jupe qu'elle porte très régulièrement depuis 10ans... Nous sommes tous des Profs-Clichés ! A mesure que la fameuse expérience de cette classe de Seconde qui préparait un concours national avec la Super-Prof d’histoire qui avait décidé de dépasser les limites du Lycées et de ses condamnations , avançait , je m’enfonçais dans mon fauteuil. Au lieu de me réjouir de la consécration d'une Prof- Hors-Norme, je me suis vue dans ce film, moi la Prof -Houtspa, twitteuse et blogueuse de cinéma, pseudo drôle et branchée, telle une caricature de plus dans le panel pourtant déjà bien fourni de l’Education Nationale. J’ai eu le sentiment étrange de me transformer en banderole de la CFDT-Enseignants avec pour slogan « Libérez l’école et les élèves du joug du conformisme » (Sic). Je le pressentais d'avance, et c'est pour cela que je freinais de mes quatre fers à l’idée de voir ce film. Alors que j’entendais les héritiers se chamailler, et que je notais la banalité des répliques toutes faites de la fameuse Prof qui leur a donné l’occasion et la chance de gagner ce concours national, je me suis progressivement sentie anéantie. Je réalisais que le Prof-Révolutionnaire, celui qui se prend pour un prophète, ou mieux encore l'anti dote nécessaire aux rouages rouillés du système, est en un certain sens encore plus barbant que le Prof -Usé, désabusé, cynique et parano ! Le Prof –Miracle est un fantasme Non seulement L’Anti-Prof est conforme dans sa façon de défier les préjugés, mais en plus il se prend pour Zorro! Il saoule de sa conviction au final très bien pensante sur les ressorts positifs cachés du cancre, il vous bassine de tous les miracles dont sa critique de la posture de courroie-de transmission-du-savoir, est porteuse. Il n'hésite pas à ressasser le projet d'une école plus libre, où les élèves viendraient de leur plein gré, où les Profs reconnaitraient que ce sont eux qui ont tout à apprendre de leurs élèves... Bref, disons-le franchement : il milite ! Il sauve non pas la société en crise économique et identitaire et sa progéniture en perdition, mais pire: l'institution elle-même. Par son attitude pseudo-non-conforme, il dénonce une profession rongée par ses principes et tous les profs dévastés par la gangrène de leur préjugés et la flémingite aigue du début de Trimestre. Le temps des aveux Le film de Marie-Castille Mention Schaar, qui raconte comment une classe de Zep a miraculeusement remporté un concours est certainement magnifique, constructif et plein d'espoir sur la profession d'enseignants. Mais j'avoue que je n'ai pas tenu jusqu'au bout. Encore une gorgée de ces phrases clichées qui sauvent le monde et prônent la tolérance et j'étouffais. Encore une série de la musique que font les chaises au moment où tous les élèves sympathiques et plein de vie prennent place, et j'attrapais un hoquet pour toutes les vacances de fin d'année. Le Prof -Idéal est un cliché, un Méta-Prof, une caricature de lui-même en train de se s'arracher aux stigmates de ceux qui "sont en vacances toutes les 6 semaines", et qui ne travaillent qu'un mi-temps de 18heures par semaine... Je n'ai jamais supporté les films avec des salles de classes, des cours de récré, ou des sonneries qui interrompent le moment fatidique de la prise de devoirs ; je sais maintenant pourquoi je redoute encore davantage ces histoires qui mettent en scène des Profs-Géniaux qui viennent au secours de l'image jaunie et racornie du Prof-Aigri.

Les Profs sont-ils capables d’accomplir le miracle de la rédemption par le savoir? (Photo Guy Ferrandis)

BlogJe m’étais promis de ne pas y aller, mais j’ai craqué !  Depuis que je suis prof (une dizaine d’années maintenant), j’ai une sainte horreur de tous ces films qui parlent des miracles qui s’accomplissent au sein de l’école ou des ravages que fait l’institution prestigieuse qui m’emploie. Ce n’est plus un scoop, j’ai une fâcheuse tendance à crisper dès que le cinéma se mêle de mon activité professionnelle pour disserter en images sur le rôle de ceux qui participent de la grande aventure de l’Education Nationale.

Affronter les élèves libres, fougueux, sauvages et incultes...
Affronter les élèves libres, fougueux, sauvages et incultes… (Photo Guy Ferrandis)

 Le Prof, cette catégorie socio-professionnelle inclassable

Le Prof est grognon. Il est syndiqué, roule en 2 chevaux, il passe son temps à compter les jours qui le séparent des prochaines vacances. Le Prof est souvent infantile pour être resté trop longtemps à l’école, pour ne l’avoir presque jamais quittée depuis le temps où il était de l’autre coté du bureau. Mais son cœur d’enfant en fait un enthousiaste : il croit profondément en son métier, pardon en sa mission.

Il a besoin d’être reconnu comme celui qui sauve la nouvelle génération des affres d’une modernité sans issue où les enfants ne lisent plus, et ne baignent que dans la non-culture des mangas et dans l’univers du « prêt à consommer sur place et sans modération » du Snapchat. Le Prof est donc enjoué et aime qu’on apprécie l’effort qu’il déploie à cultiver, pardon à civiliser, les hordes d’enfants sauvages munis d’ iPhones et déboulant en Timberland, qui lui sont confiés.

Il y a bien sûr le prof qui prend son rôle avec un peu plus de sérieux que les autres, et qui vire à l’aigreur. Vous le repérerez très vite. Il combat courageusement la sournoiserie naturelle de l’élève n’hésite pas à rappeler qu’ils sont « tous les mêmes à se fiche de la gueule du monde ». Mais il est au-dessus de cet affront, et analyse les circonstances exténuantes en tout genre, que les élèves évoquent pour se débiner de la tyrannie quotidienne de l’école. Le Prof-Grincheux rappelle le nombre d’absences injustifiées dont l’élève s’est rendu coupable, il se sent fort d’ironiser sur la mauvaise foi de ceux qui enterrent 8 grands-mères chaque année, et qui participent 4 fois à la Journée d’Appel annuelle obligatoire à 18 ans…

La bande-Annonce

Le Prof sympa existe également

Y a-t-il un prof pour sauver la galère de l’Education Nationale ? Tel aurait pu être le titre de ce film qui rappelle que le Prof-Sympa existe également, qu’il aime ses « poussins » et qu’il déborde d’idées et de projets pour sa classe. Il est animé d’un véritable souci pour leur avenir. Il croit en l’humanité de l’élève qui a démissionné des conventions du savoir-vivre et de toutes les règles officielles de la langue française. Il est le fervent défenseur de ces âmes qui n’attendent que son secours pour vivre le miracle de l’éducation, et témoigner de la rédemption par le savoir.

Ce Prof-Dévoué est l’empêcheur de tourner en rond du système qui pose le verdict de l’échec sans autre pièce à conviction que la moyenne trimestrielle divisée par le nombre d’heures de colles reçues. Sa foi en l’élève en fait l’oxygène de ce vase clos où trainent encore des traces du Jurassique, fossilisées en condamnations à perpétuité inscrites en pied de bulletin.

Le Prof idéal aime ses élèves, leur avenir lui appartient
Le Prof idéal aime ses élèves, leur avenir lui appartient (Photo Guy Ferrandis)

Dans le miroir grossissant des Héritiers

Je redoutais ce film car je craignais d’être confrontée à tous ces clichés d’élèves-type et à toutes ces blagues déjà recensées en salle des profs. Mais j’appréhendais surtout de subir ma propre image de Prof-Croyante, 25 fois grossie à la loupe. Je crois en mon métier que je pratique le plus souvent dans la joie et la bonne humeur, et j’ai même une foi inconditionnelle dans le pouvoir salvateur de la matière que j’enseigne.

Je revendique l’idée que faire confiance aux élèves est le meilleur moyen de conjurer l’angoisse de l’enseignant qui se sent inutile et parfois handicapé par le système trop rigide dont il participe. J’espère surtout être un peu originale et réfractaire à ce qui ferait de moi la Prof-Rabougrie que je croise le lundi matin dans les couloirs avec la jupe qu’elle porte très régulièrement depuis 10 ans…

Nous sommes tous des Profs-Clichés

À mesure que la fameuse expérience de cette classe de Seconde avançait, je m’enfonçais dans mon fauteuil. Au lieu de me réjouir de la consécration d’une Prof- Hors-Norme, je me suis perçue, à travers ce film, moi la Prof-Houtspa, twitteuse et blogueuse de cinéma, telle une caricature de plus dans le panel pourtant déjà bien fourni de l’Education Nationale. J’ai eu le sentiment étrange de me transformer en banderole de la CFDT-Enseignants avec pour slogan « Libérez l’école et les élèves du joug du conformisme ».

Le savoir contre les préjugés, et l'égalité des chance contre la haine
Le savoir contre les préjugés, et l’égalité des chances contre la haine (Phot Guy Ferrandis)

Je l’avais pressenti.  Alors que j’entendais Les Héritiers se chamailler, et que je notais la banalité des répliques toute faites de la Super-Prof qui leur a offert l’occasion de remporter ce concours national, je me suis progressivement sentie anéantie. Je réalisais que le Prof-Révolutionnaire, celui qui se prend pour un prophète, ou mieux encore l’antidote nécessaire aux rouages grippés du système, est en un certain sens encore plus barbant que le Prof -Usé, désabusé, cynique et/ou parano.

Le Prof-Miracle est un fantasme

Non seulement l’Anti-Prof est conforme dans sa façon de défier les préjugés, mais en plus il se prend pour Zorro ! Il nous bassine de sa conviction -au final très bien pensante- sur les ressources cachés du cancre, et de sa critique de la posture de courroie-de transmission-du-savoir que les enseignants empruntent trop naïvement. Il n’hésite pas à ressasser le projet d’une école plus ouverte où les élèves viendraient de leur plein gré, où les profs reconnaitraient que ce sont eux qui ont tout à apprendre de leurs élèves.

Bref, disons-le franchement : il milite ! Il sauve non pas la société en crise économique et identitaire ainsi que sa progéniture en perdition, mais l’institution éducative elle-même. Par son attitude pseudo-non-conforme, il dénonce une profession rongée par trop de principes ainsi que ses collègues gangrénés  par les préjugés et la flémingite aiguë de fin de trimestre.

Le Prof-phète n'a jamais dit son dernier mot
Le Prof-phète n’a jamais dit son dernier mot (Photo Guy Ferrandis)

Le temps des aveux

Le film de Marie-Castille Mention-Schaar est certainement magnifique, constructif et plein d’espoir sur la vocation d’enseignant. Mais j’avoue que je n’ai pas tenu jusqu’au bout. Encore une gorgée de ces phrases clichées qui sauvent le monde et prônent la tolérance, et j’étouffais. Encore une série de la cacophonie que font les chaises au moment où tous les élèves sympathiques et débordants de vie prennent place, et j’attrapais un hoquet pour toutes les vacances de fin d’année.

Le Prof-Idéal est le summum du cliché qui nous hante tous depuis Le Cercle des Poètes Disparus. Il est en définitive un Méta-Prof, une caricature de lui-même en train de se s’arracher aux stigmates de ceux qui « sont en vacances toutes les 6 semaines », et qui ne travaillent « qu’à mi-temps ».

J’ai toujours eu du mal avec les réalisateurs qui baladent leur caméra dans les salles de classes, les cours de récré, et qui font retentir la sonnerie au moment fatidique de la prise des devoirs. Je sais maintenant pourquoi je redoute encore davantage ces histoires qui mettent en scène des Profs-Géniaux qui viennent au secours de l’image jaunie et racornie du Prof-Aigri.

Les Héritiers est programmé à Strasbourg aux cinémas Star Saint-Exupéry et à l’UGC Ciné Cité.


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