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Tribune : Médecine prédictive, rêve ou cauchemar ?

Alors que s’ouvre le Forum européen de bioéthique le 2 février à Strasbourg, le professeur Israël Nisand explique comment la génétique ne servira plus à guérir, mais à prédire un cancer ou la réaction à certains médicaments. Une avancée qui changera fondamentalement les équilibres financiers de la santé.

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Tribune : Médecine prédictive, rêve ou cauchemar ?

(Photo Claude Truong-Ngoc)
(Photo Claude Truong-Ngoc)

TribuneDominique Foldscheid, professeur de philosophie, s’exprimant sur la médecine prédictive il y a une vingtaine d’années l’avait taxée de véritable « Hiroshima psychologique ». Connaître les 300 mutations géniques dont on est porteur sans avoir le premier début d’un traitement ou d’une prévention, la belle affaire…

Au bon vieux temps des cartomanciennes, elles pouvaient encore, par chance, se tromper. Mais désormais, la dure loi des probabilités s’apparentera plutôt à un véritable couperet. L’entreprise Myriad qui a lancé au début des années 90 les tests de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire (BRCA1 & BRCA2) étoffe actuellement son portefeuille. Ces tests ont été popularisés par Angelina Jolie qui, atteinte d’une mutation de l’un ces gènes qui l’expose plus qu’une autre au cancer du sein, a décidé de se faire retiré préventivement les deux seins.

Myriad a vendu pour 613 millions de dollars de tests génétiques en 2013, soit un doublement de ses ventes en 4 ans. Dans la mallette de cette Start-up, il y a toute une panoplie de tests de prédisposition pour le cancer et les maladies cardiovasculaires, mais aussi des médicaments sensés prévenir ces affections en cas de test positif. Au hit-parade des profits à venir, les tests de détection des hétérozygotes à utiliser avant le mariage pour voir la potentialité de maladie future sur les enfants à naître.

Connaître le génome des enfants sur une simple prise de sang

Le génome des embryons sera lisible sous peu dès le 1er trimestre de la grossesse. Mais jusqu’où peut-on aller dans la prédiction concernant un enfant à naître ? Il sera prochainement possible de connaître tout le génome d’un fœtus sur une simple prise de sang faite à sa mère en début de grossesse. On connaîtra alors, à la fin du 3ème mois de grossesse la prédisposition à certains cancers, à l’autisme, au diabète, à l’Alzheimer. Le droit des parents à ne pas savoir existe bien sûr. Mais qui le demandera quand ce type de « check up prénatal » aux conséquences redoutables sera disponible et chaudement recommandé par l’industrie… pour avoir un enfant en bonne santé ?

Tout cela est dans la boîte de Pandore. Et inutile de dire qu’il ne faut pas l’ouvrir ; elle est déjà ouverte. Et il sera très difficile, voire impossible, de démontrer que l’intérêt de ces tests outrepasse les risques de dérapage. De plus en plus de tests permettront de connaître les prédispositions d’une personne à diverses maladies comme les cancers, de caractériser les mutations d’une tumeur ou encore de prédire la réaction d’un patient à tel ou tel médicament.

Les médicaments sur-mesure plutôt que prêt-à-porter

Actuellement, dans un cas sur deux les médicaments qui sont prescrits pour le cancer n’ont aucun effet ou même des effets indésirables tels qu’ils outrepassent les bénéfices escomptés. La pharmacogénétique, qui explore l’influence des gènes sur l’efficacité des traitements, va bouleverser dans un proche avenir les thérapeutiques du cancer. Le sur mesure du médicament va l’emporter sur l’actuel prêt à porter.

Le marché des tests « grand public » va exploser dans les deux prochaines années au prétexte que les gens ont le droit de savoir ce que recèlent leurs gènes. Or, aujourd’hui personne n’est capable de dire les conséquences clinique d’un gène défectueux : la plupart des maladies mettent en jeu plusieurs gènes.  De plus, l’environnement révèle, ou non, une maladie génétique. La réponse de l’analyse génique sera donc probabiliste. Sur les 50 000 gènes de notre génome, 250 ont été reconnus comme responsables de retards intellectuels et 40 sont liés à l’épilepsie.

Prévoir l’avenir

Il y a aujourd’hui 1 500 maladies qui peuvent être diagnostiquées par un test génétique. Il y a 125 gènes identifiés comme ayant un rôle dans le développement d’une quarantaine de cancers et il y a 800 molécules anticancéreuses en développement visant souvent des mutations spécifiques. Il y aura donc une demande croissante pour des tests diagnostics spécialisés. La médecine va donc devenir de plus en plus sur-mesure, fondée sur le profil génétique du patient. La génétique va remplacer le stéthoscope dans le cabinet du médecin.

Avoir la connaissance signifiait jusqu’à présent que l’on comprenait le passé ; cela va bientôt vouloir dire qu’on est capable de prévoir l’avenir. Quand nous pourrons connaître, grâce à la médecine prédictive, tous les défauts potentiels de nos corps fragiles, croquant le fruit de l’arbre de la connaissance, nous aurons fait un pas de plus hors du paradis.


#Forum européen de bioéthique

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