Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Face aux attaques, l’opaque centre de primatologie entre-ouvre sa porte

Sur la colline de Niederhausbergen, se trouve un centre d’étude sur le comportement des singes. Discret sur ses travaux pour des raisons de sécurité, rumeurs et doutes sur ses activités reviennent régulièrement. Sa dernière extension illustre cette situation. Les dirigeants répondent.

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Des Lémuriens. Cette espèce étant protégée, elle n'est soumise qu'à des études comportementales et plus bio-médicales. (doc. remis)

Dans le Fort Foch, les visages sont fermés. Sur Internet, une pétition est apparue mi-novembre contre sa future extension, pourtant autorisée par la préfecture le 4 juillet 2014. Ce lundi 2 février, elle a déjà recueilli près de 48 000 signatures électroniques. Un chiffre impressionnant, mais qui stagne après avoir très rapidement approché ce nombre. À l’origine de la pétition, l’association européenne Pro Anima qui défend des méthodes d’expérimentations médicales autres que celles sur les animaux.

Sylvia Hecker membre du Comité scientifique de l’association européenne Pro Anima explique cet emballement :

« Nous avons eu connaissance de l’arrêté électoral récemment. C’est le genre de document public qui passe très facilement inaperçu. Immédiatement, nos réseaux ont été activés. Il s’agit de scientifiques, de juristes spécialisés dans le droit de l’environnement, de défenseurs de la cause animale. Ce sont des personnes très mobilisées. Maintenant, nous cherchons à porter connaissance de nos actions au plus grand nombre près d’ici. »

Il est vrai qu’autour du Fort Foch une certaine opacité règne. Pas de site Internet, pas de communication extérieure, autant de raisons de s’interroger sur les activités qui s’y déroulent. Des mesures jugées nécessaires pour protéger le personnel qui y travaille. « Étant donné le contexte » le nom des responsables de la structure ne doit pas être divulgué dans cet article.

À Niederhausbergen, éthologie et import/export

Les activités du fort Foch sont gérés par le Silabe, une filiale autonome de l’Université de Strasbourg, qui s’occupe des animaux. Elles sont divisés en deux secteurs distincts : d’un côté l’éthologie, c’est à dire l’étude du comportement des singes, en semi-liberté, de l’autre, une activité de quarantaine où sont gardés les primates avant une revente à l’exportation vers l’Union européenne.

Les primates arrivent de l’Île Maurice et d’Asie pour environ six semaines avant d’être exportés vers des laboratoires qui effectuent de la recherche bio-médicale. Cela concerne deux tiers des 800 anthropoïdes présents à Niederhausbergen au maximum, bien que ce chiffre varie avec l’activité. Un singe en bonne santé se revend autour de 5 000 euros.

Une séance d'épouillage (doc remis)
Une séance « d’épouillage »  social pour resserrer les liens entre individus (doc remis)

Cette activité commerciale permet au Silabe d’être indépendant financièrement de l’Université et de réaliser son activité première. La structure compte 20 salariés, dont 3 vétérinaires, 10 soigneurs et un responsable bien-être, « l’avocat des animaux » comme on le surnomme. En France, seuls Marseille et Rennes accueillent un centre similaire. Les chercheurs, doctorants ou étudiants qui effectuent un travail scientifique sont, eux, des salariés ou membres de l’Unistra.

Comment se comportent les singes ? Qu’est-ce qui les différencient des hommes ? Agissent-ils différemment quand ils se savent observés ou non ? Pourquoi certains respectent les consignes des jeux et d’autres non ? Voilà les types d’études menées derrière les remparts du fort. Une des méthodes de recherche avec des écrans tactiles donnés aux singes en cours de développement pourrait d’ailleurs bientôt déboucher sur un brevet.

Le président de l’Université pour la transparence

Si certains personnes sont réfractaires à tout type d’expérience avec les animaux, c’est principalement l’activité d’import/export à destination des laboratoires d’expérimentation médicale qui cristallise l’opposition. Un rôle de facilitateur assumé par la directrice :

« Nous ne faisons pas d’expérimentation animale ici, car nous ne sommes pas équipés, mais nous pensons que l’expérimentation médicale est nécessaire et une bonne chose. Bien sûr, là-bas le traitement réservé aux singes n’est pas agréable, mais cela permet de sauver des vies, on a tendance à l’oublier. Les groupes sanguins ont été découverts ainsi. Vu le prix d’un singe, les laboratoires y réfléchissent à deux fois avant de leur faire prendre des risques. Les expériences se font toujours dans le cadre éthique. Ici aussi nous avons de nombreux contrôles très exigeants. Nous avons un suivi sur la manière dont sont accueillis les singes que nous vendons et nous pouvons conseiller les structures d’accueil. À ce jour, nous n’avons arrêté de travailler avec aucune structure partenaire. »

Face aux critiques, les deux dirigeants du fort Foch, la directrice du Silabe et le directeur du centre de primatologie, ont accepté recevoir Rue89 Strasbourg, un peu lassés que les projecteurs se tournent vers la structure seulement lors de polémiques et non pour leur travaux :

« Nous avons toujours intérêt à accepter les demandes d’informations et d’expliquer nos activités qui peuvent paraître opaques de l’extérieur. Cela permet de répondre à aux idées fausses qui circulent à notre encontre, que les singes seraient maltraités ou qu’il s’y déroule de l’expérimentation médicale. »

Un accueil qui fait écho à la position du président de l’Université de Strasbourg. Rencontré, il y a quelques semaines, Alain Beretz avait alors souhaité une nécessaire transparence sur ce questions :

« Je souhaite convaincre tout le monde que la recherche animale est utile. Il ne faut pas qu’il y ait d’abus chez nous et la meilleure manière de convaincre les gens, c’est de leur montrer comment on fait, leur expliquer pourquoi, combien  ça coûte, qu’il n’y a pas de souffrance et que si on tue des animaux (en l’occurrence, des souris et non des singes, ndlr), c’est qu’on a le sentiment que ça va sauver des vies. Qu’il y ait des défenseurs des animaux ne me choque pas, bien qu’on puisse se faire attaquer avec des termes exagérés, peu réfléchis, voire dans certains cas, pas encore en France, par des menaces réelles. Ce n’est pas une raison pour balayer cela du haut de “l’Olympe universitaire”. »

Une extension qui n’en serait pas une

Pour le directeur du centre de primatologie, la pétition d’opposition contre l’extension du centre part d’un malentendu :

« Ce n’est pas parce que nous doublons la capacité d’accueil, que nous aurons deux fois plus de singes. C’est un aménagement pour que les animaux accueillis aient justement plus de place et donc des meilleures conditions de vie. C’est un investissement en une fois, pour 30 ou 40 ans si l’activité si jamais l’activité devait augmenter un jour. »

Les dirigeants rappellent aussi qu’en plus des standards légaux européens, le fort Foch s’est imposé deux agréments additionnels : Aaalac (qualité des soins apportés aux animaux) et ISO 901 (qualité du management).

Des étudiants en séance d'observation dans l'un des 8 enclos du fort Foch. (doc remis)
Des étudiants en séance d’observation dans l’un des 8 enclos du fort Foch. (doc remis)

La direction répond aux accusations

La structure a une réponse pour chacune des douze critiques formulées dans la pétition en ligne. Cet agrandissement participerait à une augmentation du nombre de singes pourtant contraire à une directive européenne ? La directrice rétorque :

« Même s’il devait y en avoir plus ici, il faut prendre ce chiffre à l’échelle de l’Union européenne et pas sur un centre. Améliorer la qualité de nos singes va donc dans le sens de cette directive des 3R (Réduction Raffinement et Remplacement). Entre 2008 et 2011, nous sommes passés en Europe de 9 569 à 6 095 singes, soit 0,05% des animaux, grâce au progrès technique comme l’imagerie ».

Près de 140 000 hospitalisations et 13 000 décès suite aux effets secondaires de médicaments d’après l’assurance maladie ? Cela viendrait d’une mauvaise utilisation de médicaments. D’après les directeurs, il y a toujours des risques, même minimes, lors de l’utilisation de médicaments. « Et combien de cas évités ? », rajoute l’un d’eux.

Des espèces menacées d’extinction seraient désormais autorisées ? Les Lémuridés étaient présents sur le site avant la convention CITES, qui les interdit et ils s’y reproduisent, tandis que pour les Callithricidés, il s’agirait d’une erreur d’appellation dans l’arrêté préfectoral, qui aurait utilisé l‘ancien nom scientifique des ouistitis. « Ce ne serait ni la première ni la dernière fois », soupire la directrice.

Un projet de grand centre d’élevage (3 000 singes) à Holtzheim avait finalement été annulé en 1999, car le primate n’est pas un modèle biomédical ? « C’était une décision politique liés au coûts de l’établissement, mais pas sur son intérêt ou sa dangerosité. », répond-on du côté du Silabe. Dans les archives de la presse, difficile de retrouver un motif clair sur ce revirement soudain, mais une opposition citoyenne avait alors fait pression.

Quid des souffrances et du mal-être ? Il n’y a pas de privation de nourriture indique le centre, mais des récompenses pour inciter les animaux. Les douleurs liées aux piqûres sont similaires à celle que subissent les humains lors des vaccins.

Des déchets polluants seraient rejetés dans la nappe phréatique ? Ceux de l’activité normale sont rejetés dans les égouts comme ceux des humains et ceux jugés particulièrement dangereux sont expédiés dans des boîtes jaunes sécurisées vers les centres de traitement des déchets.

Des réponses qui ne convainquent pas Sylvia Hecker, qui regrette que les que les animaux soient comparés à des objets technologiques et juge certaines réponses « incompréhensibles » :

« Le problème des effets secondaires vient de l’évaluation non scientifique des risques chimiques toxiques sur le modèle animal, qui n’est pas un modèle pour l’homme. Pour une maladie comme Alzheimer, des technologies novatrices permettraient de mieux comprendre le cerveau humain : caméras à positrons , imagerie de résonance magnétique, non invasives… »

« Plus les recherches en in-vitro seront fiables, moins il y aura d’expérimentation animale »

Le directeur nie d’ailleurs une opposition frontale avec Pro Anima :

« Après les expériences sur les bactéries, la recherche in-vitro précède les expérimentations animales, qui se déroulent d’abord sur les souris, puis sur d’autres animaux, voire des humains. Les singes sont la dernière espèce testée, notamment les macaques. Entre le stade initial de la recherche et la certification d’un médicament, il y a aujourd’hui 90% de pertes. Plus les recherches in-vitro seront fiables, moins il y aura d’expérimentation animale, ce qui est un objectif. Mais arrêter cette étape est, d’une part illégal, mais aujourd’hui trop dangereux. »

D’anciens collaborateurs de la structure contactés ont aussi indiqué que le fort était victime de rumeurs infondées et régulières. D’autres ont aussi fait part de désaccords avec la direction sur la manière de traiter les singes, ainsi que sur leur provenance, toujours sous couvert d’anonymat. Il est vrai qu’en 2008, une enquête sous couverture de l’ONG britannique Buav accusait Vanny Bio, un fournisseur cambodgien du fort Foch, de capturer des singes en liberté, ce qui est interdit et diminue leur « fiabilité ». Des travaux qui ne sont pas considérés avec sérieux du côté du Silabe, l’ONG étant jugée subjective et aux informations sujettes à caution.

Lors d’une question au gouvernement de la député UMP du Haut-Rhin Arlette Grosskost, le ministère de l’Agriculture a insisté sur les textes et codes qui encadrent l’autorisation. Une rencontre avec deux représentants de l’Eurométropole, Éric Schultz (EELV) et Christel Kohler, est aussi bientôt prévue. La député Geneviève Gaillard (PS) a également écrit aux ministères de l’Écologie, de la Santé, de l’Agriculture et de la Recherche pour « arbitrer » ce dossier auquel elle se dit opposée. L’argumentaire du Silabe est, lui, déjà prêt.


#centre de primatologie

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