Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Aux Départementales, ambitions locales des uns et nationales des autres

Avec leur mode de scrutin binominal, les élections départementales sont un peu l’ovni politique du début d’année 2015. Mais avec les élections régionales en décembre, certains partis ont déjà la tête ailleurs. Revue d’effectifs.

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Aube sur les campagnes alsaciennes... (Photo La Belle Lumière / Flickr / cc)

Aube sur les campagnes alsaciennes... (Photo La Belle Lumière / Flickr / cc)
Aube sur les campagnes alsaciennes… (Photo La Belle Lumière / Flickr / cc)

Cantons redessinés, obligation de trouver un binôme homme-femme, ainsi qu’un suppléant et une suppléante, incertitude sur les pouvoirs futurs du Département en tant que tel et sur le terrain de la métropole et même nouveau nom (on parlait jadis de « cantonales »)… Les inconnues ne manquent pas au moment de s’engager dans la campagne électorale des départementales de mars 2015.

Trouver des candidats n’a pas été aisé au début, particulièrement à gauche. L’actuel président, Guy-Dominique Kennel (UMP), devenu sénateur en septembre, laisse sa place, tout comme Robert Herrmann (PS), président de l’Eurométropole. Pour les partis politiques, la grande élection de 2015 est davantage celle des régionales, repoussées à décembre en raison du regroupement Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne qui sera effectif le 1er janvier 2016. Alors que faire ? Se réserver ou déjà marquer des points ?

À droite, quelques hommes s’effacent, d’autres s’accrochent

Très puissant en Alsace, l’UMP présente beaucoup de conseillers généraux sortant… chez les hommes. Il est vrai que l’assemblée bas-rhinoise ne comptait que 8 femmes sur 44, soit 18%, à peine mieux que la moyenne nationale de 14%. Lors des regroupements de cantons, quelques messieurs on dû laisser leur place au nom de la parité.

Bien que souvent alliée avec l’UDI, les redécoupages n’ont pas fait que des heureux. À Hoenheim, le binôme Eric Amiet et Laurence Crosnier investi officiellement par l’UMP trouvera sur sa route Vincent Debès et Cécile Van Hecke, soit un affrontement de deux vice-présidents issus de… la même majorité à l’Eurométropole au sein de la grande coalition gauche-droite. À Sélestat, les deux conseillers généraux sortants se battent désormais pour le même siège, Gérard Simler est passé à l’UDI et Marcel Bauer, maire (UMP) de Sélestat fait figure de favori, confortablement réélu en mars (51% dans une triangulaire). Même scénario à Molsheim où deux binômes UDI/UMP s’affrontent, avec trois sortants sur quatre.

À dix mois des élections régionales, les conseillers régionaux d’Alsace de droite sont forts discrets. Seule Nicole Thomas se présente à Bischwiller. Les députés le sont tout autant. En Alsace, seul Éric Straumann se présente dans le Haut-Rhin où son ambition de prendre la présidence du Département 68, laissée libre par Charles Buttner, n’est pas un secret.

Pendant ce temps, les têtes de listes pour les régionales se décident

À l’UMP, on insiste pour préciser que les élections départementales et régionales sont très différentes et qu’un bon résultat en mars ne saurait garantir une place sur la liste régionale en décembre. Pour autant, les premières places sont déjà à prendre. Philippe Richert, actuel président de la Région Alsace, et seul président de droite des trois régions, a reçu l’investiture de l’UMP et il a débuté ses consultations pour constituer ses listes départementales, il en faut 10. La question est s’il arrivera s’entendre avec de l’UDI pour une alliance, si possible dès le premier tour, les départementales semblant montrer que ce n’était pas si simple.

Pour figurer sur la liste de 189 candidats, dont 33 Bas-Rhinois (voir encadré), les premières négociations doivent commencer “mi-mars” dixit la secrétaire départementale de l’UMP Bernadette Thiebaut, sans entrer davantage dans les détails. Autrement dit, quand les futurs conseillers départementaux seront en pleine campagne. À gauche, Jean-Pierre Masseret, actuel président de Lorraine, a été élu future tête de liste par les militants socialistes jeudi 5 février. Les jeux seront serrés, les deux nouvelles régions sont actuellement à gauche, mais le contexte est plus favorable à la droite.

Sur les cantons strasbourgeois, on note plus de renouvellement à droite. Les trois sortants (sur dix possibles) de droite et du centre (Jean-Philippe Maurer, Pascale Jurdant-Pfeiffer et Yves Le Tallec) repartent pour un tour, tandis que les autres cantons, la droite n’aligne que des candidats avec bien moins d’expérience.

On retrouve ainsi Jean-Emmanuel Robert, président du groupe d’opposition UMP à Strasbourg et élu à l’Eurométropole (des maires UMP ont rejoint la majorité gauche-droite, mais pas le parti UMP en tant que tel) et plusieurs candidats souvent sans mandat, pour une moyenne d’âge d’environ 40 ans tels Geoffroy Lebold, Zaza Menad, Mireille Abate, Claudine Bastian ou encore Éric Senet, PDG de Flam’s et conseiller municipal d’opposition depuis mars, sa première expérience en politique.

Le benjamin de ces binômes est Geoffroy Lebold, 37 ans :

« Certes, nous avons beaucoup de nouveaux candidats, de personnes récemment engagées. Aujourd’hui, entre tous les mandats possibles et souvent une activité professionnelles, il faut choisir. C’est aussi une manière d’anticiper le non-cumul des mandats. Les candidats PS de Strasbourg devront, eux, assumer  leur bilan et les hausses d’impôts récentes à Strasbourg, donc le contexte nous est plus favorable qu’en 2008 et 2011. L’Eurométropole veut prendre toutes les compétences au Département rentrant dans une logique d’affrontement entre institutions. Ce conflit sera au cœur de la campagne, nous pensons que le Département doit être présent à Strasbourg pour être une capitale régionale efficace, et la conforter comme capitale européenne. »

Mais dans ce renouveau, ne figure pas Elsa Schalck, 27 ans, également au conseil municipal, conseillère régionale et devenue responsable du Grand Est au bureau national des jeunes UMP en janvier. Alors que ses responsabilités augmentent, il serait étonnant de ne pas la retrouver dans la future liste de la région ALCA. D’autres élus strasbourgeois de l’actuel conseil régional comme Lilla Mirabet ou Pascal Mangin sont aussi absents.

EELV et PS séparés partout

À gauche, pourtant unis à la Ville de Strasbourg, écologistes et socialistes ne font pas campagne commune. Une décision des militants écologistes, après de longues discussions et qui n’a pas fait l’unanimité comme l’a fait savoir Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire et première élue écologiste au Département en 2011, qui estime que le contexte est beaucoup moins favorable que 2011.

Un débat tout aussi vif au niveau national, mais depuis qu’Europe Écologie Les Verts a quitté le gouvernement, les dirigeants lorgnent plus vers la gauche de la gauche que vers le PS. Dans ce choix de concourir seul aux départementales, la perspective des régionales a pesé comme l’indique la secrétaire régionale Patricia Gueguen :

« Il est important de nous présenter en tant qu’écologistes, pour certaines valeurs à cette élection. Pour les régionales, ce sera un choix que l’on fera avec les militants, mais pour l’instant, il y a une volonté d’avoir une liste autonome d’EELV. »

Mais pour des alliances avec le Front de gauche, comme cela se voit ailleurs en France, il n’y a pas de terrain d’entente possible en Alsace. Manque de temps et de coordination explique le parti écologiste, mais aussi des positions opposées sur la centrale nucléaire de Fessenheim. Sans alliance électorale, le risque de ne plus avoir d’élu écologiste dans l’assemblée départementale est réel. Il y a cependant un point commun : Front de Gauche et EELV regrettent ce mode de scrutin sans aucune dose de proportionnelle.

Le Front de gauche compte de son côté présenter une douzaine de binômes et faire passer l’idée « qu’une autre politique que l’austérité est possible » en faisant place aux jeunes. Cette alliance d’extrême gauche est attachée à l’importance du Département et son rôle social dans les territoires.

Éric Schultz, l’un des meilleurs espoirs pour les écologistes sur le canton 1 de Strasbourg (Centre et Neudorf) où il se présente avec Martine Aday (sans étiquette), complète :

« Lors des municipales, on nous a souvent répété que de toutes façons nous allions rejoindre le PS au second tour et que ça ne servait à rien de voter pour nous. Cela nous a fait réfléchir et interpelle. Nous ne nous présentons pas contre le PS. Nous avons des points communs par exemple dans les solidarités ou le soutien à la vie associative, mais aussi des divergences sur la place de l’Eurométropole, qui ne doit pas assécher le département d’après nous ou sur le GCO. Il est donc plus cohérent de se présenter seuls. »

Un choix que dit « regretter, mais respecter » Mathieu Cahn, premier secrétaire du PS du Bas-Rhin et lui-même candidat sur le canton 1 de Strasbourg qui estime avoir fait « des propositions honnêtes » à ses alliés. Une vision que conteste la secrétaire régionale écologiste, à la fois au niveau du programme, « pas assez ambitieux », et avec la contrepartie de soutenir le PS sur tous les cantons strasbourgeois, quand ceux laissés à EELV ne garantissaient pas au parti écologiste de continuer à être représentés.

Le PS envoie des têtes connues

Face à l’impossibilité de présenter des liste PS/EELV, le parti socialiste a présenté des pointures à Strasbourg. Tous ses candidat(e)s ont au moins un mandat de conseiller municipal, mais souvent aussi des responsabilités d’adjoint, à la métropole, voire dans d’autres assemblées. Mathieu Cahn, premier secrétaire du PS67, Alain Fontanel, premier adjoint au maire de Strasbourg, Olivier Bitz, adjoint au maire de Strasbourg en charge des finances, se présentent alors qu’on pourrait penser qu’ils ont déjà beaucoup à faire. « Des candidatures pour s’affirmer sur le terrain » estiment leurs adversaires.

Quelques personnalités ont d’ailleurs dû leur laisser le champs libre, comme Syamak Agha Babaei ou Paul Meyer qui ont finalement retiré leurs candidatures avant les primaires internes de janvier. Mathieu Cahn justifie le choix de présenter des personnes à haute responsabilités à Strasbourg par le contexte local :

« Cela nous paraît important dans le contexte actuel, où le département du Bas-Rhin tourne le dos à la ville, avec une baisse du contrat triennal, de subventions à des associations strasbourgeoises, la diminution de postes dans la prévention spécialisée. Il faut donc des des personnes qui peuvent défendre les intérêts de Strasbourg pour que l’Eurométropole soit traitée à sa juste valeur.”

Malgré des candidats de premier plan à Strasbourg, Matthieu Cahn concède que l’élection ne sera pas favorable et que le PS n’a pas pour ambition de renverser la majorité au conseil départemental. Candidate pour être tête de liste dans le Bas-Rhin aux régionales, Pernelle Richardot a indiqué sur RBS ne pas se présenter aux départementales pour ne pas s’éparpiller.

Pour le FN, ce n’est que le premier des 3 temps nationaux

Premier parti du Bas-Rhin aux élections européennes, le FN présentera un binôme dans tous les cantons du Bas-Rhin, malgré la règle des quatuors paritaires qui a posé quelques difficultés. Laurent Gnaedig, chargé de mission, est très remonté contre le mode de scrutin, qu’il juge défavorable au FN :

« En Allemagne, au Royaume-Uni ou en Italie nous aurions des sièges, voire la majorité. Cette année, il sera quasiment impossible d’avoir des triangulaires et nous devrons faire face à des “fronts républicains”, même s’ils sont moins assumés que par le passé. »

Le nombre de sièges importe peu pour le parti frontiste, l’élection doit envoyer un message pour l’avenir :

« Nous voulons continuer sur la lancée des élections européennesSi nous arrivons à avoir 18 binômes au second tour, ce sera une réussite. Aux élections régionales, il y aura une part de proportionnelle donc nous pourrons avoir des sièges. L’objectif final, c’est l’élection présidentielle de 2017 pour laquelle nous devons encore convaincre environ 15% de Français pour l’emporter. »

Le FN fera donc campagne sur les thèmes nationaux, parfois adaptés aux cas du département. En premier lieux, les dépenses sociales en distinguant les « bonnes »des « mauvaises », respectivement celles pour les mineurs étrangers ou le RSA contre celles pour les personnes âgées « bien que les prix deviennent exorbitants car une trop grande part du logement des seniors est confiée au secteur privé ». Dans le domaine de l’Éducation, « l’ouverture sur le monde est parfois excessive » toujours d’après Laurent Gnaedig.

Contrairement à d’autres partis, le FN croit à un lien entre les deux élections selon Laurent Gnaedig :

« Si l’on a pas mouillé la chemise aux départementales, on a moins de chance d’être bien placé lors des régionales. »

Et le parti frontiste espère même créer la surprise. Sur le canton 6 (Meinau, Neuhof, Port du Rhin, Neudorf Est et Sud), le plus favorable au FN d’après ses projections, deux candidats assez jeunes sont investis depuis décembre : Laurent Husser (42 ans) et Julia Abraham, 22 ans et arrivée en 12eme position lors des élections au comité central du parti en novembre. La jeune conseillère municipale de Strasbourg doit faire des allers-retours entre Caen, où elle enseigne à temps partiel dans un collège le temps de terminer son Master 2. Pour elle, cet éloignement n’est pas une difficulté :

« Je fais beaucoup d’aller-retours depuis le début de l’année scolaire pour mes engagements politiques. Mon activité me permet d’avoir du temps libre. Après le mois de juin, je serai de retour à plein temps. Les vacances scolaires tombent à pic pour la campagne. »

Les vacances de la zone de Caen se termineront pourtant le 22 février, soit un mois avant le jour de vote. Quoiqu’il en soit, il ne serait pas étonnant de retrouver ces deux jeunes figures bien placées sur les listes régionales en décembre, même si Florian Philippot reste favori pour être numéro 1.

Le facteur X Unser Land à la campagne

Moins ambitieux, le parti régionaliste Unser Land compte présenter entre 17 et 19 binômes dans toute l’Alsace, mais il pourrait faire concurrence au FN puisqu’il vise aussi les cantons ruraux, où il est plus implanté. En 2011, le parti régionaliste avait décroché un siège (David Heckel sur le canton de Sarre-Union) et d’autres scores autour de 5% qu’il qualifiait déjà de « percée historique« . Les manifestations contre la réforme territoriale lui ont donné une visibilité sans précédent.

Pour Jean-Jacques Trouillet, vice-président et porte-parole, c’est l’occasion ou jamais pour son parti :

« Il y a une perte de confiance de manière générale dans le personnel politique en France, mais encore plus en Alsace depuis le Conseil unique et de nombreux revirements sur la réforme territoriale. Les élus de droite se sont affichés contre, mais parce que c’était un projet du parti socialiste, le projet du comité Balladur en 2009 était assez similaire. Et aujourd’hui, Philippe Richert veut diriger cette région, alors qu’il est vu comme celui qui a trahi, bien qu’il essaie de faire croire le contraire. Nos militants historiques sont mobilisés, mais des jeunes nous ont aussi rejoint depuis cet épisode, car ils ont l’impression de ne pas avoir été consultés. Des lois votées, mais non-appliquées ça s’est déjà vu. Si nous réussissons à obtenir un beau score, cela enverra un message au gouvernement qui nous permettra de faire de ce découpage un sujet pour les élections présidentielles de 2017. »

Difficile de se projeter ensuite pour ce parti et rassembler sur une même liste des lorrains et champenois, même si des contacts sont déjà lancés « avec les Mosellans » d’après Jean-Jacques Trouillet.

Alsace d’Abord attend 2017

Un dynamisme régional que ne partage plus l’autre parti régionaliste Alsace d’Abord, plus à droite sur l’échiquier politique, mais surtout très effacé. Seulement deux binômes doivent être présentés. Son président Jacques Cordonnier s’est résolu à aller sur le canton 6 de Strasbourg, « car c’est celui de la Grande Mosquée » auquel son parti est farouchement opposé. Pourtant, aucun fonds public ne participe au financement et le département ne délivre pas de permis de construire.

Pour lui, la réforme territoriale n’est plus un sujet, du moins pas tout de suite :

« Je ne pense pas que la réforme territoriale soit un sujet pour cette campagne. Dans l’esprit des gens, c’est plié. On touche un peu aux limites du légitimisme alsacien. Désormais, l’enjeu c’est de faire pression pour l’abrogation de cette loi et pour 2017. Il faut que le futur président souhaite revenir sur cette réforme et nous misons désormais sur les élections législatives pour envoyer des députés qui voteront contre cette loi. Un des thèmes principal pour nous dans cette élection c’est la régionalisation du système éducatif. »

Mais pour autant, pas question pour autant de faire d’alliance ou d’appeler à voter pour un autre parti aux départementales :

« Le FN est anti-européen et anti-régionaliste contrairement à nous, tandis qu’Unser Land souhaite l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. »

La prochaine élection départementale est prévue pour 2021. Après cette phase test, moins d’incertitudes pèseront, à moins qu’un nouveau gouvernement ne défasse ce qui est en train d’être réalisé. Pour l’instant, ces élections prennent l’allure de troisième tour des élections municipales ou de premier test pour les prochaines échéances.


#Bas-Rhin

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