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Au « Café Contact Emploi », dernier recours des chômeurs qui ont tout essayé

Le « Café Contact Emploi », où employeurs et demandeurs d’emploi se retrouvent autour d’un café, a eu lieu pour la première fois au Neuhof jeudi. Une solution de dernier recours pour beaucoup, jeunes ou vieux, pour qui Pôle Emploi et candidatures spontanées ne débouchent sur rien.

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Près de 150 demandeurs d'emploi ont tenté leur chance au "Café Contact Emploi". (Photo : Rue89 Strasbourg)

Près de 150 demandeurs d'emploi ont tenté leur chance au "Café Contact Emploi". (Photo : Rue89 Strasbourg)
Près de 150 demandeurs d’emploi ont tenté leur chance au « Café Contact Emploi ». (Photo : Rue89 Strasbourg)

« Ça fait deux ans que je cherche. Je prends tout, même l’armée ! » Son CV serré contre lui dans une pochette plastique, bien droit dans sa chemise et sa veste de costume, Sabri, 24 ans, a un diplôme dans la maçonnerie « qui ne lui a servi à rien » et quelques petits boulots comme concierge ou agent d’entretien. Ce « Café contact emploi », c’est un peu son dernier recours après l’échec de Pôle emploi et des boîtes d’intérim.

Après 158 éditions dans différents quartiers, le « Café contact emploi » s’est installé jeudi au Neuhof. Quartier pudiquement dit « sensible », 10 000 habitants, taux de chômage : 27%, 46% chez les jeunes de 15 à 24 ans.

Entre deux grandes barres HLM, les locaux un peu défraîchis de la Maison de l’insertion et du développement économique ont été réquisitionnés pour la matinée. Une feuille placardée à l’entrée liste les 17 entreprises présentes et les 80 potentielles offres d’emploi : service à la personne, restauration, vendeur, assistant commercial, gendarmerie et armée de terre…

Mais avant de l’apercevoir, il faut se faufiler à travers les files d’attente devant les stands et la foule qui déborde jusque dans le hall. L’atmosphère embaume plus la sueur et le stress que le café, servi à tous à tour de bras. Paul Landowski, fondateur du « Café contact » :

« J’ai créé ce concept quand j’étais au chômage. Je trouvais le système français pour trouver du travail peu ouvert par rapport aux anglophones. Pour augmenter mes chances, j’ai demandé à avoir un entretien dans un café, dans un contexte plus informel, plus humain. »

L’idée n’est pas nouvelle mais elle révèle les dysfonctionnements du recrutement en France

« La majorité des employeurs ne répondent même pas »

Quand d’un côté les patrons interrogés parlent de « qualifications », « fidélisation des équipes », « pénurie de l’emploi », les chômeurs racontent « le découragement », la complexité des démarches, les offres « à côté de la plaque ». Deux mondes qui peinent à communiquer, alors se rencontrer…

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Pour Julianna, 23 ans, le pire, c’est le silence qui suit l’envoi des candidatures :

« Quand la réponse est non, la majorité des employeurs ne vous répondent même pas. Ici, j’ai pu faire plusieurs entretiens d’affilée et on m’a déjà proposé un boulot en période d’essai avec CDI ensuite. »

Lionel Wurms, responsable à Chefs & Stratégies, qui ouvre plusieurs restaurants par an, l’admet : « Sans ce dispositif, on n’aurait sans doute pas spontanément reçu toutes ces personnes ». Pour autant, cette rencontre vient pour lui seulement en complément :

« On recrute sinon par le web, par Facebook, on fait ponctuellement des annonces dans la presse. Et puis il y a aussi Pôle Emploi et le bouche à oreille. Ici il y a beaucoup de monde mais peu de personne qualifiées. On a du mal à recruter dans la restauration. Les gens ont pris l’habitude d’un certain confort de vie et ils ont du mal à accepter de travailler tard le soir, le week-end… »

Faut-il dire oui à toutes les conditions de travail ?

Dans la file devant un des stands, Walid, 27 ans, casquette hip-hop noire sur la tête et chaussures de ville vernies, pense au contraire que ce sont les employés « qui disent oui à tout » qui finissent par le regretter :

« Quand je suis arrivé ici, j’ai cherché les failles dans les offres proposées. Dans celle-là, pour distribuer les prospectus, il faut travailler avec son véhicule personnel : pas rentable sur le long terme. Là, c’est du conseil par téléphone : j’ai déjà fait ça et franchement le management dans ces sociétés est intenable, tout est chronométré, on te met la pression. Et là, en chargé clientèle, ils te font passer trois entretiens et une initiation pour décrocher seulement six mois de CDD ! »

Face au manque de métiers épanouissants, son objectif est maintenant de monter sa propre boîte. « Dès qu’on a les compétences, il faut commencer tout seul. Pas la peine de compter sur Pôle Emploi ! »

« Chez Pôle Emploi, tu n’es qu’un numéro »

Pôle Emploi en prend d’ailleurs pour son grade dans les couloirs du « Café Contact Emploi ». « Chez eux, tu n’es qu’un numéro, que l’on peut radier à chaque faux pas », regrette Cyril, jeune diplômé dans l’informatique, dreads sur la tête. « Et les conseillers sont injoignables, il faut passer par un standard central dès qu’on a un problème. »

Même mauvaise expérience pour Julianna :

« En deux ans, je n’ai jamais rencontré mon conseiller et mon CV en ligne n’a servi à rien. Et je n’ai jamais eu de nouvelles des offres auxquelles j’ai postulé. »

Les employeurs eux-mêmes ont parfois de mauvaises surprises, comme A2micile, société de services à la personne :

« Pôle Emploi nous envoie des gens pas qualifiés – on a même reçu une fois un boulanger ! – ou qui arrivent en disant : “Je viens parce que Pôle Emploi m’a dit de venir”. Ça ne peut pas marcher. »

« Il faut connaître les bonnes personnes, ça marche comme ça »

Il faut dire que Pôle Emploi ne capte pas toutes les offres disponibles, mais souvent celles qui ont du mal à trouver preneur. Ce qui laisse hors de la boucle beaucoup de demandeurs d’emploi. Paul Landowski fait la chasse à ces « offres cachées », qui représenteraient « 50% du marché selon lui » :

« Quand un chef d’entreprise cherche un comptable, il prend son téléphone, il appelle ses contacts… Et il en trouve un. »

C’est aussi l’avis de Sabri, qui ne donne pas cher de son CV : « C’est le système D. Il faut connaître les bonnes personnes, c’est comme ça que ça marche. »

Gilles Castel, jeune chargé de mission sur le quartier, rôde en costume-cravate impeccable parmi les tables de la rencontre. Son diagnostic est différent : ce sont les habitants du quartier qui « ont peur des institutions » et finissent par se détourner de l’emploi :

« Pour attirer les gens ici, il a fallu mobiliser les médiateurs, les associations… Certaines personnes, si elles n’étaient pas accompagnées par leur aidant aujourd’hui, ne passeraient pas d’entretien. »

Et si c’était plutôt les institutions qui avaient peur du quartier ? Elisabeth – c’est le prénom qu’elle donne quand elle cherche du travail pour ne pas se faire discriminer – 42 ans, s’est vu refuser deux fois un emploi en raison de ses origines algériennes :

« Elle m’a demandé où j’étais née. Je lui ai dit “À Strasbourg.” Et vos parents ? “À Strasbourg”. Elle est remontée comme ça jusqu’à ma grand-mère ! Puis elle est allée voir sa responsable dans l’arrière-boutique et quand elle est revenue elle a dit que ça n’allait pas être possible. »

Au Neuhof, « des accidentés de la vie »

Derrière les 27% de chômage du Neuhof se cachent aussi des personnes marginalisées, pour qui un retour dans la vie active est très difficile. Ce sont « des accidentés de la vie. Comment se poser dans l’existence en ayant vécu une telle insécurité ? », se questionne Pascal Migné. Responsable d’une entreprise de Service à la Personne, il a collecté ce jeudi une épaisse pile de CV, mais peu vont retenir son attention :

« Je le dis honnêtement : la plupart des personnes que j’ai vu aujourd’hui étaient trop éloignées du travail. J’ai vu des gens qui donnaient des réponses totalement décalées, immatures, des gens très peu confiants, des gens qui ne présentaient pas bien, qui sentaient mauvais. Elles peuvent prétendre à des tâches simples, très encadrées, mais pas à un travail où on leur demande d’être responsable de personnes ».

Le « Café Contact », à défaut d’être une solution magique au chômage, permet au moins à certains de remettre le pied à l’étrier, commente Alain, au chômage depuis peu :

« Quand on a envoyé 100 CV en trois mois, sans réponse, on reste chez soi à déprimer, on perd confiance. Là on sort, on est dans l’action, on tente notre chance. »


#Neuhof

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