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Face à l’automatisation, le blues des « dames pipi » de Strasbourg

On les appelle “dames pipi” et depuis quelques mois elles s’inquiètent. L’Eurométropole envisage d’installer des toilettes automatiques dans les faubourgs, tandis que le nettoyage dans l’hypercentre devrait rester manuel. La collectivité parle d’optimisation des toilettes publiques, mais les agents d’entretien parlent de « coup dur ».

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Face à l’automatisation, le blues des « dames pipi » de Strasbourg

Au parc de l'étoile, les toilettes publiques fonctionnent déjà en relais avec des toilettes automatiques. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasbourg)
Au parc de l’étoile, les toilettes publiques fonctionnent déjà en relais avec des toilettes automatiques. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasbourg)

Des nouvelles cabines publiques seront installées dans plusieurs endroits de Strasbourg, en particulier dans les faubourgs, mais elles seront automatiques. Il y a quelques mois, les syndicats et les 42 agents de propreté des toilettes publiques de la ville ont appris la décision de l’Eurométropole de modifier la gestion de ce service. Pour le moment, peu de détails ont été communiqués puisque le projet doit être présenté aux élus cet automne.

Mais les agents d’entretien sont inquiets. Trois d’entre elles ont accepté de raconter leur quotidien.

« Un bonjour, c’est plus humain »

À l’entrée des toilettes publiques place de l’Étoile, les gens se bousculent dans la queue, appareil photo autour du cou, plan à la main et lunettes de soleil. Quand on atteint enfin les cabines, c’est une odeur de propre qui envahit les narines, pas celle qu’on attend.

Sarah (tous les prénoms ont été changés) s’active avec sa serpillière dans les toilettes dont elle a la charge. Les gens passent devant elle, parfois sans la saluer. Elle délaisse son balais quelques instants et accepte, la cigarette au coin des lèvres, de parler :

« Ça fait des années que je nettoie dans les toilettes publiques. Il y a même des habitués, on revoit parfois les mêmes personnes. Je ne pense pas que les Strasbourgeois veulent que leurs toilettes deviennent automatiques. Ne serait-ce que pour le “bonjour”, c’est plus humain. »

Son travail lui tient à coeur. Pour elle, les toilettes de Strasbourg, c’est tout un “patrimoine” et son métier ne se résume pas qu’au nettoyage :

« On a beaucoup de contacts, avec les limites de la langue évidemment. On est aussi des guides pour les touristes, on fait vraiment de l’accueil. Parfois c’est dur comme boulot, il faut savoir gérer les gens, leur mentalité et leurs us et coutumes. Les Asiatiques par exemple, je ne sais pas comment elles font leurs besoins chez elles, mais ici on a toujours des traces de chaussures sur les toilettes ! »

« Dames pipi » en voie de disparition ?

Sarah se dit « chanceuse », ses toilettes ne risquent pas d’être automatisées grâce à leur situation géographique très touristique. Pour Mélanie et Carine, c’est la même chose. Leur emploi, elles vont le garder, du moins elles l’espèrent :

« On nous a toujours dit qu’il n’y aurait pas de toilettes automatiques et là, on nous en parle à l’extérieur du centre-ville. Mais on n’a pas d’informations, on ne sait pas ce qu’il va se passer pour nous, ni ce qui va être décidé pour l’accueil des gens. On entend parler de tout et de rien, même de privatisation. »

Karim Hadi, de la CGT de l’Eurométropole, confirme que le projet de la collectivité est une surprise « puisque lors de la dernière réunion sur les agents de propreté, il n’était question que des horaires. » Pour Laurence Siry, de la CFDT, l’enjeu des négociations à venir réside dans le reclassement des agents :

« On essaie de défendre les agents de propreté, de leur donner accès à des formations pour qu’elles choisissent un autre métier si elles en ont envie. Puis qu’on tienne compte de leur lieu d’habitation et de leur situation familiale. Car c’est une décision qui peut induire une mobilité qu’elles n’auront pas choisie. »

« On ne sent pas en sécurité »

Les horaires, la mobilité, ce sont des vrais problèmes pour Mélanie, Carine, et d’autres collègues, qui se déplacent en bus. Si elles terminent à 20h le soir, ce qui arrive une fois sur deux, elles doivent attendre plus d’une heure avant d’avoir un bus qui les emmènent chez elles, en première couronne de Strasbourg. Carine en a généralement pour 40 minutes de trajet. Avec ce projet d’automatisation en route, elle se demandent si elles ne vont pas devoir travailler encore plus tard.

Des conditions risquées puisque les agents de propreté doivent parfois faire face à des agressions verbales voire physiques :

« On ne se sent pas en sécurité. De temps en temps il y a la police municipale ou des agents de sécurité de la voie publique qui descendent. Mais c’est tout. Le reste du temps on est livrées à nous-mêmes. On a un bracelet avec un bouton qui alerte la police mais ils arrivent souvent trop tard. Certains mois c’est calme, d’autres on peut se prendre un coup de poing ou se faire bousculer. »

S’il leur arrive quelque chose, aucune chance qu’on les entende. « Et puis les gens ne bougent pas de toutes façons », assurent les deux agents. Selon Karim Hadi, la sécurité des employés chargés des toilettes revient régulièrement à l’ordre du jour des comités d’hygiène et de sécurité de l’Eurométropole. Mais rien n’y fait, les dispositions mises en place ne les protègent pas toujours.

Des risques pour la santé contre des « nouvelles savates »

Respirer les odeurs des toilettes toute la journée, faire les mêmes gestes tous les jours, risquer sa santé avec des produits qui ne sont pas adaptés, pour Mélanie, les conditions de travail sont « difficiles » et « précaires » :

« Par rapport à ce qu’on fait ou ce qu’on nous impose, on est mal payées, moi je suis à 1 300€ nets après des années de travail. Le dimanche, on gagne à peine plus que notre salaire de base. »

Karim Hadi explique que « le salaire des agents de propreté est indexé sur celui de la fonction publique de catégorie C ». Lorsqu’elles commencent, les agents de propreté gagnent le SMIC et la progression se fait par échelons et par années mais se résume à seulement quelques euros de plus.

Les agents d’entretien pensent que ça va aller de pire en pire. Avec leur situation actuelle, leur vie de famille en prend un coup. Elles travaillent 6h30 dans la journée et ont le droit à un jour de repos dans la semaine et un week-end de libre dans le mois. Finalement, Mélanie et sa collègue assurent qu’elles n’ont « aucune prime, aucun avantage ». « Si ! On a reçu des nouvelles savates », plaisantent-elles.

Une compensation « dérisoire » au vu des produits qu’elles manipulent au quotidien. Mélanie et Carine montrent deux de leurs produits avec tantôt une croix tantôt un point d’exclamation. Dans les explications des symboles, ce dernier est accompagné de l’inscription : « J’altère la santé ». Prendre des produits équivalents moins nocifs ? « Les produits moins dangereux sont plus chers, donc vous avez tout compris », conclut Mélanie.

Les agents de propreté utilisent des produits nocifs au quotidien. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasbourg)
Les agents de propreté utilisent des produits nocifs au quotidien. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasbourg)
Ce symbole présent sur plusieurs produits montre qu'ils sont dangereux pour la santé des agents. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasbourg)
Ce symbole présent sur plusieurs produits montre qu’ils sont dangereux pour la santé des agents. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasbourg)

« On est invisibles »

Avant de retourner à sa besogne, Sarah revient sur l’importance du lien social de son travail :

« Je crois que mes préférés ce sont les Allemands. Ils sont toujours sympas et puis ils sont marrants. Ils déconnent, font des blagues. C’est agréable de travailler comme ça. Mais après vous savez, il y a des imbéciles partout. »

Sarah remet une mèche grise derrière son oreille et regarde sa montre : « oh la la, j’dois y retourner moi ! » Elle s’empresse de partir avec un dernier sourire. Le contact positif avec les usagers est plus rare pour Mélanie et Carine qui se sentent inexistantes :

« Les gens ne sont pas agréables du tout, ils sont irrespectueux, ils ne nous voient pas. On est invisibles. »

Comme pour appuyer ses mots, des adolescentes gloussent et se prennent en photo devant les miroirs, d’autres laissent tomber des papiers sur le sol. Le panneau qui intime aux usagers de faire attention au sol glissant ne dissuade pas les enfants de chahuter.

Vers une optimisation du service des toilettes publiques ?

Françoise Bey, vice-présidente à l’Eurométropole, explique qu’il est « hors de question de mettre des agents de propreté à la porte » :

« Le projet est d’augmenter le nombre de toilettes publiques à Strasbourg et d’optimiser les existantes. Il y a une utilisation importante des toilettes à des moments de la journée mais certaines, comme à la Citadelle, qui sont beaucoup moins utilisées en hiver, auront des horaires d’ouverture plus restreints avec à côté des toilettes automatiques pendant d’autres horaires. »

C’est d’ailleurs à cause d’une fréquentation plus faible que les toilettes publiques de la place d’Austerlitz ont définitivement été fermées après les travaux de rénovation, selon l’Eurométropole. Une pétition créée par les syndicats pour les rouvrir circulent sur Internet.

Les toilettes publiques de la place d'Austerlitz ont été fermées définitivement à la fin des travaux. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasboug)
Les toilettes publiques de la place d’Austerlitz ont été fermées définitivement à la fin des travaux. (Photo Nadège El Ghomari/Rue89 Strasboug)

Karim Hadi affirme que les syndicats de l’Eurométropole veulent avant tout que les Strasbourgeois bénéficient du même service partout :

« Il faut maintenir le service public de manière égalitaire sur l’ensemble de la ville. L’égalité de traitement c’est la base des services publics. Lorsque les toilettes automatiques seront installées, on ne sait pas encore si ces cabines seront payantes ou non. »

Ce à quoi Françoise Bey répond que la question de toilettes automatiques payantes n’est pas à l’ordre du jour :

« Il n’est pas question que les toilettes automatiques soient payantes pour le moment. On veut aussi permettre aux personnes sans domicile par exemple de pouvoir faire leurs besoins dans des toilettes et non pas dans la rue. C’est quelque chose qui fonctionne bien à Paris. »


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