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« Répétition » ou les méandres des relations humaines au TNS

Répétition, deuxième spectacle de Pascal Rambert accueilli cette saison après Clôture de l’amour, est présenté au TNS du 21 octobre au 7 novembre. L’occasion de continuer à présenter un certain nombre d’artistes associés au public strasbourgeois, tout en lui offrant une plongée rude et parfois drôle dans le système des relations humaines.

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"Répétition" de Pascal Rambert, ronde de paroles (Photo Jean-Louis Fernandez)

"Répétition" de Pascal Rambert, ronde de paroles (Photo Jean-Louis Fernandez)
« Répétition » de Pascal Rambert, ronde de paroles (Photo Jean-Louis Fernandez)

Pascal Rambert, auteur, metteur en scène et chorégraphe de Répétition, est considéré par certains comme une des étoiles les plus brillantes du théâtre contemporain français. Directeur du T2G-Théâtre de Gennevilliers depuis 2007, il travaille à manifester en permanence un attachement sans faille à ce qu’il y a de plus vivant dans le spectacle : auteurs contemporains, comédiens, danseurs, corps et voix. Cette connivence avec la vision du théâtre de Stanislas Nordey prend, pour ce début de saison, des allures de manifeste.

Pascal Rambert à la table de travail avec les acteurs de "Répétition" (Photo Jean-Louis Fernandez)
Pascal Rambert à la table de travail avec les acteurs de « Répétition » (Photo Jean-Louis Fernandez)

Dream Team

La liberté du texte naît de la matière : c’est en travaillant la langue en fonction de corps, de voix, d’identités précises de comédiens en chair et en os, que Pascal Rambert peut se défaire de chaînes académiques car sa langue trouve son ancrage dans les comédiens et non dans un texte de papier. Répétition est écrit pour un quatuor d’acteurs de haut vol : Stanislas Nordey himself, mais aussi Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart et Denis Podalydès.

Créé en 2014 lors du Festival D’Automne, Répétition s’inscrit dans le prolongement de Clôture de l’amour, créé trois ans plus tôt. Leur succession pour cette ouverture de saison au TNS tient donc d’une certaine évidence, d’autant que la plupart des protagonistes sont, d’une façon ou d’une autre, artistes associés de la vénérable maison strasbourgeoise (et de la Comédie Française). Pour toutes ces raisons, l’on a envie de dire : « attention événement » !

Denis Podalydès dans "Répétition" (Photo Jean-Louis Fernandez)
Denis Podalydès dans « Répétition » (Photo Jean-Louis Fernandez)

Implosion du système humain

Quatre amis, deux couples se retrouvent pour répéter leur nouvelle pièce, autour de Staline et du communisme, avec Tchekhov en arrière-plan. Un auteur, un metteur en scène, deux actrices : ils travaillent ensemble depuis longtemps, ils ont un passé de désirs et de vécus communs qui les lie et façonne. Ensemble, ils forment une « structure », une famille qu’ils se sont choisie.

La pièce commence au moment où l’on passe au présent, au moment où ce qui constitue et cimente cette histoire partagée est remis en question par un regard de Denis à Emmanuelle. Audrey Bonnet, bloc de rage et de colère, entame la pièce en attaquant les autres protagonistes, avec une puissance fulgurante.

La colère d’Audrey Bonnet laisse la place au plaidoyer très incarné d’Emmanuelle Béart sur le droit à la jouissance : « Moi aussi je veux voir et toucher. » L’histoire de cette pièce est avant tout la représentation d’un système, une mécanique presque mathématique où les comédiens se répondent tour à tour en symétries physiques, textuelles et intellectuelles. Ce système forme une ronde et donne à chacun une « fenêtre de tir », un droit d’exprimer son point de vue, son regard sur un instant T. Le texte est asséné, scandé à grands renforts d’interpellation des comédiens par leurs prénoms mais aussi d’adresses au public, aux enfants, à la jeunesse.

Emmanuelle Béart est "Emmanuelle" dans "Répétition" (Photo Jean-Louis Fernandez)
Emmanuelle Béart est « Emmanuelle » dans « Répétition » (Photo Jean-Louis Fernandez)

Le syndrome du théâtre dans le théâtre

Les mauvaises langues diront que Répétition est une énième représentation du théâtre se mirant dans son propre nombril… La mise en abyme est encore plus ostentatoire si l’on considère son écho à Clôture de l’amour, comme un prolongement et une augmentation d’une variation sur le même thème.

Cette mise en abyme répétée à l’infini se reflète aussi dans ce décor de salle de gym, qui n’en est pas vraiment un car il affiche ostensiblement tous les artifices de sa tromperie : hauteur nue au dessus du plateau, pendrillons traînant au sol en rouleaux, dénonciation volontaire du « quatrième mur » entre la salle et la scène par les allers-retours des comédiens.

Le territoire de la scène est celui de l’imposture, la « fabrication d’un hologramme collectif » selon le texte de Répétition. Denis Podalydès, qui joue Denis dans la pièce (car chacun est appelé, de façon troublante, par son propre prénom), l’affirme : « Le langage est là pour supporter l’abysse ». La fiction permet d’assumer la douleur, la déchirure, le drame, l’explosion.

Des rires arrachés par de brusques décalages

En ce sens le théâtre de Pascal Rambert est aussi classique qu’on puisse l’être : un reflet aigu, mordant et désespérément drôle de la vie, de relations humaines complexes entre des hommes, des femmes, des amis, des amours et des partenaires de travail. Et c’est par cet effet de distance et de catharsis qu’il arrache des rires à la salle, par ses décalages inattendus et ses brusques retournements.

Stanislas Nordey et Audrey Bonnet (Photo Jean-Louis Fernandez)
Stanislas Nordey et Audrey Bonnet (Photo Jean-Louis Fernandez)

Chacun use alors de toute l’énergie et des mots qu’il possède pour expliquer et justifier le basculement d’une structure commune à celle de quatre identités individuelles et singulières. Est-ce la fin de l’idée de la communauté ? La fin des idéaux, des utopies ? On préférera à cette lecture socio-historique celle, plus immédiate, d’une plongée en humanités troubles et grinçantes. Celle de Denis par exemple, qui dit : « L’artiste est un psychopathe qui n’hésite pas à tuer pour l’accomplissement de son œuvre ».

Il n’en reste pas moins que le message de la pièce, porté par des comédiens aussi chevronnés que convaincus, est une véritable interpellation à la salle, un appel au réveil et au mouvement. Stanislas Nordey le scande avec force, tendu et tremblant : « On va prendre la parole et la jeter à la figure des personnes ici présentes! » C’est, semble-t-il, pour éviter le désastre d’un monde sans idéal que la jeunesse doit être interpellée. Et le final du spectacle, s’il amène avec lui la magie et la légèreté tout à fait inattendue de Claire Zeller, ne suffit pas à remettre tout à fait le spectateur des interpellations dont il a fait l’objet auparavant. C’est peut-être aussi bien.

L’autre saison, en écho à Répétition

Saison parallèle, gratuite mais sur réservation, l’autre saison du TNS propose plusieurs événements dans le sillage du spectacle Répétition : une conférence sur « Marx, le communisme : aujourd’hui et demain » le 7 novembre, mais aussi un spectacle de et avec Denis Podalydès : Ce que j’appelle oubli, les 24 et 31 octobre. Dans la même période on aura aussi l’occasion de rencontre Claudine Galea, artiste associée, le 9 novembre. Tous les renseignements sont à retrouver sur le site de l’autre saison du TNS.

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