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L’ovni « Forbidden di sporgersi » se pose au TJP du 25 au 27 novembre

Après un franc succès en Avignon cet été, l’ovni Forbidden di sporgersi se pose sur la grande scène du TJP du 25 au 27 novembre. Fruit de la rencontre de l’équipe joyeusement aventurière de la compagnie La belle meunière avec la jeune auteure autiste auto-baptisée Babouillec, Forbidden di sporgersi est une lutte jouissive contre les normes et les mises en case (ou cage). Heureusement subversif.

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"Forbidden di sporgersi" (Photo Jean-Pierre Estournet)

"Forbidden di sporgersi" (Photo Jean-Pierre Estournet)
« Forbidden di sporgersi » (Photo Jean-Pierre Estournet)

Ce n’est pas la première fois que Pierre Meunier et sa compagnie La belle meunière sont accueillis au TJP (cette fois ci le spectacle est même coproduit par le TJP), et pourtant c’est toujours une rencontre un peu surnaturelle. Surnaturelle parce que le théâtre de Pierre Meunier, et de sa complice Marguerite Bordat, ne correspond à aucune des cases dont on a l’habitude dans le spectacle vivant.

Allez, on peut lui reconnaître un lointain cousinage avec la performance peut-être, s’il le faut. Surnaturelle aussi, cette rencontre, parce qu’elle induit à chaque fois une résonance singulière entre une scène résolument habitée par des objets (blocs de pierre, machines, matières organiques) et un théâtre vraiment ancré dans le langage. Ce n’est pas du théâtre d’objet, pas du théâtre de texte : c’est autre chose. La belle meunière propose un théâtre du « trouble et de l’ouverture » comme Pierre Meunier le dit lui-même.

La beauté de l’inutile

Il ne s’agit pas ici d’en mettre plein la vue (même si c’est un peu ce qui se passe au final quand même). La proposition que Forbidden di sporgersi fait au spectateur est plutôt en humilité et en travail : les mécaniciens de la scène fabriquent, à vue et petit à petit, une machine grande, complexe, en mouvement et non-productive.

Comme chez Jean Tinguely (pour ceux qui ne connaîtraient pas, un petit tour au Musée Tinguely à Bâle s’impose !), référence revendiquée pendant le spectacle, la machine faite de bric et de broc semble être un système créé avec réflexion et détermination pour célébrer la beauté de l’inutile. C’est beau, car ce n’est ni nécessaire, ni productif : c’est au contraire générateur d’humour, de décalage, de poésie et de plaisir. La jouissance par la création inutile est au cœur de la logique Meunier, et on s’en réjouit avec lui.

Machine extraordinaire en cours d'élaboration (Photo Jean-Pierre Estournet)
Machine extraordinaire en cours d’élaboration (Photo Jean-Pierre Estournet)

Babouillec, autiste « sans paroles » et auteure « galactique »

Babouillec, de son nom civil Hélène Nicolas, jeune femme autiste et auteure « sans parole » puisqu’elle ne parle pas, a commencé à écrire au moment où elle a révélé sa capacité à lire et à écrire à sa mère, c’est à dire lorsqu’elle avait une vingtaine d’années. De façon fulgurante, celle qui semblait enfermée dans un silence sans mots est devenue auteure. Et elle a beaucoup de choses à dire.

Plusieurs de ses textes sont déjà édités chez Christophe Cromant. Son écriture est sensible mais hors normes, d’une lucidité sans complaisance : « Et nous les faiseurs du monde dans ce dédale arbitraire, sommes-nous libres, amicalement reliés, ignorants des autres ou dans la file d’attente des cerveaux débranchés ? »

Dans Algorithme éponyme, le message que nous envoie Babouillec depuis son univers, – « d’une immensité galactique » selon Pierre Meunier- , est un message de compassion et d’éveil, un appel à dépasser et à refuser les limites étriquées d’un monde sans rêves. En ces jours sombres où les sondages annoncent une arrivée en tête du Front National pour les élections régionales à venir dans la grande région ALCA, le texte de Babouillec a quelque chose de prophétique : « arrêtez la montée en puissance des têtes endormies. »

La pari de la complexité, la distance jouissive de l’humour

Pierre Meunier et Babouillec se retrouvent autour de plusieurs éléments fondateurs : une poésie un peu délirante, une infinie tendresse, un humour cinglant et surtout un authentique refus de simplifier, par facilité, la réalité d’un monde complexe. Le spectacle Forbidden di sporgersi c’est ça : cette interdiction de se pencher au dehors par la vitre du train, prise à contre-pied, et transformée en une incitation à se pencher, cette prise de risque étant la seule façon de voir « la lumière au bout du tunnel ». Comme le dit le proverbe anglais : « no pain no gain« .

Pierre Meunier et Marguerite Bordat expliquent leur démarche dans une vidéo lors de leur résidence à la Comédie de Clermont avant leur passage en Avignon :

Algorithme éponyme n’est pas un texte de théâtre, et Forbidden di sporgersi n’est pas une mise en scène de ce texte. Il s’agirait plutôt d’un spectacle construit avec ce texte comme matériau de base, comme un tas de pierres, des tuyaux et des ressorts : une matière à travailler. C’est ainsi que le spectacle résonne de ce texte plutôt qu’il n’en donne une version fidèle et complète. C’est un écho en mouvement perpétuel.

On pourrait résumer les choses ainsi : le monde va mal, mais il est beau aussi pour toutes sortes de raisons. L’humanité est en déroute, mais toujours sur le point de laisser arriver un immense éclat de rire, nous sommes toutes et tous des gouffres de contradictions permanentes, mais cela nous rends drôles et touchants. C’est pour se persuader que non seulement tout n’est pas figé, mais qu’en plus cela est potentiellement matière à rire et à rêver, qu’il faut aller voir Forbidden di sporgersi.

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