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Hausse des loyers : big bang social à la Cité Ungemach

Avec l’instauration tardive du supplément de loyer de solidarité (SLS), le loyer de quelques familles des maisons de la Cité Ungemach, au Wacken, a triplé. Un changement jugé brutal, mais justifié par un renouvellement du quartier.

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La cité Ungemach, un emplacement de choix pour des pavillons très agréables (Photo Google Maps)

La cité Ungemach, un emplacement de choix pour des pavillons très agréables (Photo Google Maps)
La cité Ungemach, un emplacement de choix pour des pavillons très agréables (Photo Google Maps)

Entre le Parlement européen, le futur quartier d’affaires du Wacken et le Tivoli, la cité Ungemach est un cas unique en Europe. Construite en 1923 et 1928 par l’industriel et philanthrope alsacien Léon Ungemach (1844-1928), aussi élu au conseil municipal de Strasbourg depuis 1911, cette cité-jardin sur un terrain mis à disposition par la Ville, vise à donner des maisons avec jardins aux employés de son entreprise, la Société alsacienne d’alimentation.

Des spécialistes estiment aussi que ce patron voulait racheter sa conscience après avoir réalisé de grands profits en spéculant sur la nourriture lors de la Première Guerre mondiale, bien que son personnel ait toujours été bien traité. En 1950, ces logements sont donnés à la Ville de Strasbourg, qui s’occupe de la gestion des 140 pavillons à travers l’un de ses bailleurs sociaux, Habitation moderne. Le seul bâtiment non-résidentiel est la petite école maternelle au cœur des lotissements, à côté du parc de jeux. La cité est gérée via une fondation, c’est-à- dire qu’il s’agit d’une ligne à part dans le budget d’Habitation moderne et que l’argent doit y être réinjecté.

Le courrier du 12 mai

Le 12 mai 2015, une partie des habitants reçoit une lettre qui leur indique qu’à partir du 1er janvier 2016, ils devront s’acquitter du supplément de loyer de solidarité (SLS). Une disposition issue de la loi Boutin sur le logement, en vigueur depuis 2006, mais qui n’était pas appliquée sur ces logements jusqu’ici.

Ce surloyer concerne ceux dont les revenus (pondérés par le nombre d’enfants) dépassent désormais de 20% le montant qui permet de postuler à un logement social. L’argent perçu alimente un fonds national qui aide les bailleurs sociaux à réalimenter leurs fonds propres, lorsqu’ils construisent ou rénovent des logements.

Dans la Cité Ungemach, 31 familles sont concernées. Pour celles aux revenus les plus importants (environ 4 000€ par mois à deux), ce supplément se chiffre quand même à plus de 1 000€ par mois. Près du triple des 4,58€ le mètre-carré (hors charges) pour ces maisons unifamiliales à un étage de 100 à 165 m² (458 à 756€ par mois)

Un bras de l'AAr sépare la cité Ungemach des maisons luxueuses du Tivoli (photo Wilfred Helminger / Archi Wiki / CC°
Un bras de l’AAr sépare la cité Ungemach des maisons luxueuses du Tivoli (photo Wilfred Helminger / Archi Wiki / CC)

Philippe Bies, député PS et conseiller municipal de Strasbourg, en qualité de président d’Habitation moderne depuis 2008, assume la décision :

« Avant mon mandat, il y avait des règles qui n’étaient pas toujours respectées. À l’occasion de renouvellement de la convention de gestion avec l’État qui date de 1997, nous nous mettons en règle. À Strasbourg, le SLS concerne 400 foyers sur 20 000 vivants dans le parc social. Les cas où l’augmentation est significative sont les familles dont les enfants ne vivent plus avec. Seules 7 familles ont déménagé à ce jour. »

Pour le président de l’association des habitants de la cité Ungemach (Ahcu), Michel Vigneron, il faut remonter la chronologie de ces dernières années pour comprendre la situation, qui a causé beaucoup de tensions et de larmes dans le quartier.

En 2013, des questionnaires sur les revenus

En septembre 2013 et 2014, des questionnaires sur la situation de chaque foyer sont envoyés. Les revenus et le nombre d’habitants sont demandés. C’est une première pour des habitants, qui vivent parfois dans le quartier depuis 1960, voire 1948. Autre nouveauté, les jardins de 6 ares sont désormais aussi loués, à 25€ par mois. À la fin de l’année, ce sont 300€ de plus qui peuvent faire la différence entre rester ou non dans le quartier. Une hausse, justifiée par la loi, peu appréciée en regard des locations d’un jardin partagé à la Ville pour 50€ l’année.

En fait, Habitation moderne s’est aperçu que les conditions d’admission dans ces logements n’étaient pas revues régulièrement. Les familles nombreuses des débuts se sont parfois transformées en un couple de retraités ou d’actifs au niveau de vie plus confortable que lors de leur arrivée.

Pour Michel Vigneron, président de l’association des habitants de la cité Ungemach, la décision a été une surprise :

« Tout le monde s’estimait chanceux de payer si peu. Mais c’est le genre de décision que l’on prépare et annonce des mois, voire des années à l’avance, avec des réunions et une information régulière. Là, on ne s’y attendait pas et cela vient de la part d’un élu que l’on n’a jamais vu dans le quartier. Six communes des Yvelines comme Trappes, Montigny, la Verrière ou encore Marne-la-Vallée (Seine Saint-Denis) ont décidé d’exonérer certains foyers de SLS pour préserver la mixité sociale. Et à Strasbourg, c’était possible dans le cadre du Plan local de l’habitat. Habitation moderne aurait aussi pu passer la Cité en parc privé et mettre des loyers à mi-chemin entre ceux actuels et ceux futurs. On accepterait de payer plus, si l’argent était ensuite redépensé dans la Cité, qui n’a jamais fait de vagues. Où va le million d’euros de loyers estimés versé tous les ans ? Nous n’avons pas la réponse, mais ce n’est pas ici. »

Des rénovations à 30 000€ par pavillon

Philippe Bies répond, qu’Habitation moderne a dépensé 30 000 euros par pavillon lors de la rénovation énergétique :

« Nous n’avons pas augmenté les loyers. Une participation est demandée le temps du prêt de 15 ans, comme le permet la loi, de 15€ pour les 2 ou 3 pièces et de 20€ pour les 4 pièces et plus, mais ces travaux se compensent largement dans la baisse des charges. C’étaient de vrais passoires énergétiques. »

En 2011/2012, les relations entre l’Ahcu, qui rassemble 100 des 140 familles du quartier, et Habitation moderne étaient encore très bonnes. Le bailleur, sur demande de l’association accepte de s’engager dans la rénovation des maisonnettes pour la cinquantaine de foyers volontaires. Une requête « par sensibilité écologique » et pour diminuer les factures de chauffage.

Autre changement, la durée des baux passe à 3 ans, là où elles se comptait en dizaines d’années avant. Surtout, Michel Vigneron et son association ne digèrent pas « le manque de considération pour leur quartier ». D’après une enquête de l’Ahcu, les familles ont dépensé à titre privé en moyenne 14 086 euros en travaux, toujours avec l’accord du bailleur social :

« Au tout début, les chambres étaient sans chauffage ou certains appartements sans toilettes. Aujourd’hui, le bailleur récupère des appartements dans un bien meilleur état, car cela a été payé par les locataires. Avec des baux courts, les occupants ne seront pas incités à engager des travaux privés. »

La place des Acacias, l'un des centre du quartier (photo Wilfred Helminger / Archi Wiki / cc)
La place des Acacias, l’un des centre du quartier (photo Wilfred Helminger / Archi Wiki / cc)

Philippe Bies : « faites preuve de civisme »

Certains auraient même revendu tout le matériel prévu pour des travaux le lendemain de la réception de la fameuse lettre du 12 mai. Philippe Bies répond que le délai de notification était supérieur à 6 mois, donc plus favorable que dans le privé. Il ajoute que les cuisines équipées peuvent-être emmenées et que les travaux n’étaient pas toujours signalés à Habitation moderne.

Michel Vigneron a rencontré le maire de Strasbourg, Roland Ries (PS), qui se serait dit « sensible » à la situation, mais a renvoyé le dossier par délégation à Philippe Bies. Lors d’une demande de conciliation par lettre, Philippe Bies, a demandé aux habitants de « faire preuve de civisme ».

Michel Vigneron, démissionnaire comme l’ensemble de son association, est pessimiste sur l’équilibre futur du quartier qu’il quittera le 1er janvier :

« Les charges sont en moyenne de 260€ et la taxe d’habitation de 145€ par mois, car nous sommes dans une zone résidentielle. Ce sont 405€ par mois qui sont incompressibles. Nous payons notre eau, ce qui a surpris certains nouveaux arrivants. On ajoute le loyer et les dépenses alimentaires et on est rapidement au-dessus de 1 600€ par mois. On va se retrouver dans une situation où à la fois les plus modestes ne pourront pas payer leur loyer et où des personnes aux revenus moyens ne pourront plus y rester. La solidarité, on la vivait ici, car il y avait tous les corps de métier et que l’on s’entraidait, en échangeant des compétences. Il n’y aura aucune mixité, ce qui est pourtant le mot d’ordre en France et à Strasbourg. On avait senti que le vent commençait à tourner, mais on pensait que l’esprit de la Cité serait plus fort. »

En revanche, Philippe Bies considère ces aménagements justifiés :

« Je comprends le sentiment d’attachement et d’appropriation de la part de ceux qui sont là depuis des générations, mais il ne faut pas oublier que ces personnes étaient locataires et pas propriétaires. La mixité sera la même que lorsqu’eux ont pu entrer dans cette cité, avec leurs ressources de l’époque. La vocation de ce quartier est d’accueillir des familles de 3 enfants, aux revenus modestes. »

Les rumeurs d’une vente de l’ensemble du quartier à un promoteur privé, pour les transformer en de luxueuses maisons à côté des institutions européennes et du futur quartier d’affaires du Wacken rejaillissent régulièrement. Philippe Bies coupe court à toute spéculation. Strasbourg compte préserver la fonction de ce quartier.

Aller plus loin

Sur Strasbourg.eu : la fiche de la Cité Ungemach
Sur L’Alsace.fr : Comment Léon Ungemach s’est racheté une conduite


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