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Régionales : Jean-Pierre Masseret, le marathonien lorrain

La tête de liste socialiste pour les Régionales en ALCA aurait pu être qualifiée pour l’équipe de France d’athlétisme. Sa passion pour la politique l’a emportée. Jean-Pierre Masseret est un professionnel des batailles électorales. Et il adore ça. Fils de mineur, inspecteur des impôts, marathonien, l’homme est à la tête du conseil régional de Lorraine depuis 2004.

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Jean-Pierre Masseret lors du lancement de sa campagne des régionales à Toul en septembre (Photo Campagne Masseret)

Jean-Pierre Masseret lors du lancement de sa campagne des régionales à Toul en septembre (Photo Campagne Masseret)
Jean-Pierre Masseret lors du lancement de sa campagne des régionales à Toul en septembre (Photo Campagne Masseret)

Il avait bien fait rire l’assistance lors du débat des têtes de liste le 10 novembre. Quand, lancé dans une démonstration aussi complexe qu’abstraite, avec son ton professoral et son air convaincu, Jean-Pierre Masseret expliquait son plan pour concilier centralisation et décentralisation, grande région et proximité, il est coupé net par Florian Philippot. « Excusez-moi Monsieur Masseret y a un problème qui me… ». Jean-Pierre Masseret, du tac-au-tac, posant la main sur le bras de son adversaire frontiste : « Qu’est-ce qui vous chipote mon ami ? »

Et voilà le frontiste, désarçonné, bredouillant, devant un public qui ne l’acclame plus mais qui ricane : « Oui il y a quelque chose qui me chiffonne… » Florian Phillipot se ressaisit rapidement, reprend ses roulements d’yeux exaspérés, parle de priorité régionale pour la viande dans les cantines scolaires, mais continue à donner du « Monsieur Masseret », quand le socialiste balance du « rassure-toi, rassure-toi Philippot, j’ai pas de crainte à ton endroit ».

Terroir socialiste

Voilà donc Jean-Pierre Masseret. Le socialiste à l’ancienne, qui campe volontiers le sage à côté du frontiste turbulent. Cheveux gris, lunettes noires, indéfectible sourire en coin. Né en 1944 à Cusset, dans l’Allier, il vient d’un milieu modeste sur lequel il ne s’étend pas. Masseret est fils d’un mineur de charbon du bassin de Commentry :

« Ce fut la première commune du monde à élire un maire socialiste, Christophe Thivrier, un ancien mineur, en 1882. Et il devint le premier député socialiste. Mon père devait être syndiqué mais j’ai été le premier de la famille à m’encarter dans un parti. C’est l’école de la République qui m’a donné envie de m’engager. J’y ai appris la citoyenneté, ses valeurs, et découvert de ce qu’a pu représenter la révolution de 1789 pour les libertés individuelles, les droits. »

Après une maîtrise de droit international à la faculté de Clermont-Ferrand, il rejoint l’école nationale des impôts à Paris et devient inspecteur « parce qu’à l’époque, on était rémunéré pour présenter un concours. Et il y avait plus de places que de candidats. Une fois reçu, on devait s’engager à rester dix ans dans l’administration sinon il fallait rembourser. Alors je suis resté et j’ai été nommé à la direction de l’enregistrement à Metz en 1967 ».

Voilà comment Jean-Pierre Masseret atterrit en Lorraine, une région qu’il ne quittera plus.

« À l’époque, on en parlait comme du Texas français. J’ai vu l’effroyable disparition de la sidérurgie et des mines de fer, de la chimie. J’ai vécu le choc de la désindustrialisation, la mondialisation. Alors je me suis engagé aussi pour défendre les intérêts des Lorrains et des Mosellans. »

36 ans de mandats divers et variés

Il est élu pour la première fois en 1979 conseiller général dans le canton de Montigny-lès-Metz. Et depuis, il a toujours été titulaire d’un mandat. Sénateur de Moselle en 1983, il est alors le plus jeune élu du palais du Luxembourg à 39 ans. Cette même année, il devient conseiller municipal d’opposition à Metz et trois ans plus tard, il siège dans l’opposition au conseil régional de Lorraine.

En 1995, il est parachuté à Hayange, où il conquiert la mairie, avant de laisser son fauteuil deux ans plus tard à son premier adjoint Philippe David. Masseret rejoint en effet le gouvernement de Jospin en tant que Secrétaire d’État à la défense en charge des Anciens combattants où il initie le Mémorial Alsace-Moselle de Schirmeck. Il exerce différents mandats au niveau européen, fait partie des instances dirigeantes du PS.

En fait, Masseret est de presque tous les combats : voir la liste longue comme le bras ici. Pour les primaires socialistes de 2006, il soutient Ségolène Royal et en 2011, son choix se porte sur Hollande :

« Royal était d’avant-garde, sur la démocratie participative, l’ordre juste. Elle défendait des choses particulièrement fines et très intéressantes. Ensuite, Hollande était le plus apte à réunir le contenu des propositions socialistes dans un monde très ouvert. Aujourd’hui, si j’ai une critique à formuler à l’égard du gouvernement, c’est sur l’absence de formulation pédagogique. Il faut inscrire la politique dans une histoire, une réalité, une perspective. Il faut la raconter et la décrire, être dans la pédagogie de l’action pour s’opposer à l’impatience du citoyen. »

Jean-Pierre Masseret, lors du débat des têtes de liste du Grand Est, à la Librairie Kléber en novembre. (Photo Pascal Bastien)
Jean-Pierre Masseret, lors du débat des têtes de liste du Grand Est, à la Librairie Kléber en novembre (Photo Pascal Bastien)

Vercingétorix et Tarzan

Quand on lui demande pour quelle personnalité politique il a le plus d’admiration, il répond « Vercingétorix », « le Gaulois qui a mis la pâté au Romain Jules César et qui, trahi par les siens, a fini par croupir à Alesia ». Dans la fiction, c’est Tarzan. En 2004, Masseret rafle la Lorraine à Gérard Longuet, réélu en 2010 et il candidate aujourd’hui, à 71 ans, à la présidence de l’ALCA. Philippe David, ex-maire d’Hayange, décrit « un grand politicien » :

« Je le connais depuis les années 1970, il était secrétaire fédéral du PS. C’est un bon animateur, quelqu’un de très intelligent, qui capte très vite. Puis c’est un vrai battant, il n’aime pas la politique, il l’adore. Et s’il n’y a pas de bataille, ça ne l’intéresse pas. On a gagné de 11 voix sur nos adversaires et ensemble nous avons aménagé le centre-ville d’Hayange. C’est un homme chaleureux, humaniste. Il avait un très bon contact avec les Hayangeois alors que c’était un parachuté ! »

Philippe David perd la ville en 2014, qui bascule aux mains du FN. Il suffit de prononcer « Hayange » pour entendre Jean-Pierre Masseret soupirer :

« J’ai beaucoup de regrets et d’amertume. Je constate que lorsque la gauche est divisée, elle ouvre la porte au FN. Nous avions repris cette mairie à la droite grâce à une liste d’union composée à pour moitié de socialistes et pour moitié de communistes. La division a été fatale. Il faudrait que les électeurs portent aujourd’hui un regard critique, regardent les choses comme elles sont. La gauche respecte toujours les valeurs républicaines, ce que la droite ne fait pas. Le citoyen aujourd’hui est à la fois dans une démarche d’affirmation individuelle tout en désirant plein de choses immédiatement. Cette absence de recul et d’analyse de l’opinion publique sur les réalités vécues pénalisent la gauche et le PS car on attend toujours plus d’eux. On en exige tellement qu’on ignore ce qui a été fait. C’est frustrant et parfaitement injuste. »

L’épisode douloureux de la gare de Vandières

En tout cas, une chose n’a pas été faite en Lorraine : la gare d’interconnexion TER/TGV de Vandières. Une gare de la LGV Est promise à chaque campagne, jamais construite. Une gare qui fait couler beaucoup d’encre. L’ensemble des collectivités de droite et de gauche s’étaient engagées à la construire en signant un protocole additionnel en 2000. En attendant, une gare provisoire à Louvigny est sortie de terre, implantée en rase campagne, non connectée aux rails du TER.

Et puis, le provisoire s’est éternisé jusqu’à ce que soit remis en question l’investissement nécessaire à la construction de Vandières. Jean-Pierre Masseret rappelle :

« Sur ce dossier, la droite s’est mise dans une attitude politicienne, elle a voulu bordéliser le sujet en parlant de gaspillage. J’ai donc décidé qu’il serait tranché par les électeurs. »

Jean-Pierre Masseret a organisé une consultation publique début 2015. Et comme pour le référendum loupé de Philippe Richert sur la collectivité unique d’Alsace, ils ne furent pas assez nombreux à voter et le peu qui se sont exprimés, étaient contre. Jean-Pierre Masseret a d’abord annoncé qu’il se rangeait à cet avis avant de revirer : s’il remporte l’ALCA, il promet encore une fois de la construire. Une annonce qui a surpris ses amis mais pas tant que ça, explique l’un d’entre eux, Dominique Bossuat :

« Je n’imaginais pas qu’il dirait cela… En même temps, Jean-Pierre, s’il mûrit ses décisions longtemps, est capable d’être déconcertant. Il est un rien provocateur et il aime ça, prendre son interlocuteur à contre-pied. »

Increvable et gaga

Les deux hommes se sont rencontrés au stade messin en 1969. Masseret a été dix fois champion Lorraine du marathon, a dirigé la ligue d’athlétisme. « À 40 ans, il faisait 2h20 sur le marathon, c’est un excellent athlète. Il a donné un nouvel élan à la Ligue, l’a modernisée. Il est toujours égal à lui-même, ne se perd pas en palabres et en réunions interminables », se souvient son successeur à la présidence du club, René Comoretto.

Pour Dominique Bossuat, la politique a pris le dessus bien après ses meilleures années sportives en 1982-83 :

« À cette époque, il était presque invaincu en Lorraine. Il a gagné le marathon de Paris en vétéran. Quand il a été élu en 2004, il m’a demandé de le rejoindre au cabinet pour le conseiller sur les questions d’éducation en tant qu’ancien cadre de l’Éducation nationale. Il a besoin d’être entouré d’un petit cercle de proches qui l’aiment. C’est un ami fidèle, quelqu’un de simple, un humaniste viscéralement de gauche, attaché aux personnes… Et ça ne l’empêche pas d’être un fonceur, un bourreau de travail, un vrai compétiteur ! Il a l’habitude de dire que s’il s’arrête un jour, il meurt. Aujourd’hui, il est complètement gaga de ses deux petits-enfants. »

Le candidat confirme. « Oui, pour eux, je modifie mon emploi du temps. Ils sont ma priorité. je pourrais tout abandonner ». Pour l’heure, hors de question d’abandonner cependant. Même en queue de peloton, Jean-Pierre Masseret se maintiendra dans le cas d’une triangulaire au deuxième tour :

« La droite est phagocytée par les idées d’extrême-droite, on ne peut pas compter sur elle pour résister à l’extrême-droite. Il faut que le peuple soit défendu par des hommes de progrès, il doit y avoir des hommes et des femmes de gauche dans l’hémicycle. »

En campagne, l’homme va au contact, les électeurs « exposent leur quotidien ». Les attentats sont dans toutes les bouches mais Jean-Pierre Masseret estime qu’ils « devraient logiquement amener un regain de participation » lors du scrutin :

« Nous appelons le citoyen à marquer son refus des actes terroristes en allant voter. C’est l’affirmation d’un mode de vie, de valeurs. »

Ce fan de musique classique et de chants grégoriens goûte assez peu au plaisir de la table. Hygiène de vie de sportif oblige. Grand lecteur, il aime la philosophie, les policiers, les romans. Son ami Joël Berger, ancien directeur général des services du conseil régional de Lorraine, qui l’a rencontré aux impôts à Metz, révèle l’existence d’un livre jamais publié. « Je l’ai écrit il y a longtemps, quand j’étais au gouvernement, confie Masseret. Je voulais que la République soit appréciée des citoyens, qu’elle appelle l’engagement. C’était comme un appel à l’intelligence collective ». Le titre ? La République attentionnée.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : Qui est vraiment Philippe Richert
Sur notreregion-avecjpm.fr : la biographie de Jean-Pierre Masseret
Sur Rue89 Strasbourg : Richert / Masseret : ce qu’ils ont fait

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