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Prof athée dans un établissement privé, un brin schizophrène

Au cours de leur carrière, les professeurs qui enseignent dans le privé doivent s’adapter à des pratiques et modes de pensée différents. Pas toujours facile pour ceux qui se disent « athées ». Deux d’entre eux livrent quelques anecdotes et réflexions issues de leurs expériences dans des établissements juifs et catholiques de Strasbourg, sous contrat avec l’État.

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Prof athée dans un établissement privé, un brin schizophrène

Dans les établissements juifs, la grande difficulté est de gérer le rapport avec les garçons. (AF/Rue89Strasbourg)
Dans les établissements juifs, la grande difficulté est de gérer le rapport avec les garçons (AF/Rue89Strasbourg)

D’emblée, le directeur lui a demandé : « Êtes-vous prête à enseigner dans une école juive ? ». Caroline – les prénoms ont été changés – avait été prévenue, un nouvel univers l’attendait. Mais elle a répondu oui, contrairement à d’autres avant elles qui n’avaient pas accepté de se plier au règlement particulier de l’établissement. Elle admet aujourd’hui avec un sourire en coin avoir secrètement pensé : « Pourvu qu’ils ne tentent pas de me convertir ».

Alors jeune professeure, elle a ainsi découvert une école où les élèves sont exclusivement issus de la communauté israélite, les filles et garçons restent séparés en classe, les professeurs doivent veiller à ce que les garçons gardent leur kippa et les enseignantes, surtout, adopter un code vestimentaire distinct : cacher les jambes jusqu’au-dessous des genoux et les bras au-delà des coudes.

Pour respecter ce dernier des quatre commandements, la plupart des femmes portent une jupe. Caroline, quant à elle, comme ce n’était pas trop son truc, a opté pour la blouse. Marie, aussi passée par cet établissement, avait trouvé une autre combine, dont elle s’amuse encore aujourd’hui :

« Une année, j’enseignais à mi-temps entre une école catholique et cette école juive. Je remontais ma jupe devant les premiers élèves, car je trouvais ça austère, et en arrivant dans la deuxième école, je la descendais. Parfois, quand j’étais en retard et en pantalon, et que je n’avais donc pas eu le temps de récupérer ma blouse, je gardais mon manteau. »

Les profs, ces bêtes curieuses

Ici, la religion rythme la vie des élèves. Le matin, les enfants arrivent entre 6h30 et 7h pour une prière en hébreu, avant le début des cours à 8h. À 17h, place à une deuxième session de prière. Dans ce cadre bien réglé, Caroline, la professeure athée, est devenue un objet de curiosité :

« C’est malheureux à dire, mais j’ai senti que j’étais leur seule ouverture sur le monde et je crois qu’ils étaient contents voire excités de me retrouver à chaque fois. Certains élèves m’ont demandé ce que ça faisait de manger à McDo. J’ai toujours répondu avec franchise à leurs questions, mais je devais néanmoins faire attention à ne pas me mettre en porte-à-faux avec les interdits imposés par les parents. D’autres m’ont aussi demandé comment c’était d’entrer dans une église. Dans ces moments, c’était plus difficile, je bottais toujours en touche, disant que la religion n’était pas de mon ressort, comme le directeur m’avait conseillé de le faire. »

Caroline a vraiment senti les limites du communautarisme quand elle a dû aborder l’histoire des religions au programme des classes de 6e et de 5e :

« Je leur ai par exemple enseigné l’architecture des églises et des mosquées. À l’occasion des journées du patrimoine, je leur avais conseillé d’aller voir des monuments, non pour les endoctriner, mais pour qu’ils puissent visualiser ce qu’on avait appris en cours. Mais personne n’est allé dans ces lieux parce que c’est interdit par la Torah, c’est dommage parce que ça les coupe d’une partie de la culture. »

Besoin de confidentes

À la fin des cours, les lycéennes sollicitaient souvent ces professeurs pour trouver des réponses à des questionnements plus intimes, parfois liés à la sexualité, qu’elles n’osaient désamorcer en famille, car leur avenir était déjà tracé : avoir leurs premiers enfants entre 18 et 20 ans et poursuivre des études bien déterminées. Marie se souvient d’une élève effondrée en sanglots :

« Elle voulait aller en filière L, mais ses parents la poussaient à aller en S. Elle sentait qu’elle n’avait pas le niveau. Mais dans sa famille, ce n’était pas discutable, car elle devait devenir médecin ou avocate. Dans ces moments, je me devais de les inciter à dépasser le dogme, à ne pas laisser la communauté décider à leurs places, mais à penser par elles-mêmes. C’était mon job quand même de leur enseigner la liberté de pensée. »

Quand elles ont dû asseoir leur autorité devant une classe remplie de garçons, Caroline et Marie ont ressenti de plein fouet la place réduite de la femme parmi les juifs les plus pratiquants :

« Ce fut le plus difficile, nous devons reconnaître. Les garçons nous considéraient comme des êtres inférieurs et ne nous écoutaient pas. L’intervention du directeur était parfois nécessaire pour qu’il sermonne les élèves et qu’on arrive à se faire respecter. »

Quant à la crainte d’endoctrinement, à laquelle avait initialement songé Caroline, elle a vite été balayée :

« Personne n’a questionné mon appartenance à telle ou telle croyance, là-dessus, aucune indiscrétion n’est à relever, et personne ne m’a forcée à quoi que ce soit. De toute façon, même si les professeurs sont gentils, t’expliquent à quoi correspondent les fêtes religieuses, pour que tu ne sois pas trop perdu vu qu’il y en a beaucoup, la pratique de la religion est très exclusive. Toutes les cérémonies sont en hébreu et quand ils lisent la Torah, nous ne sommes pas censés écouter. Donc si tu n’es pas juif d’entrée, tu ne le deviendras pas là-bas. »

Dans les établissements catholiques, la religion est parfois intrusive.
Dans les établissements catholiques, la religion est parfois intrusive (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Faire semblant de croire

Dans les écoles privées catholiques, Marie et Caroline pensaient se retrouver dans un environnement plus familier. Pourtant, si la religion y est beaucoup moins omniprésente, elles l’ont jugée parfois intrusive.

La veille de sa première rentrée dans le privé, Marie se réunit avec ses collègues pour planifier l’année scolaire à venir. À la fin de la discussion, tous se lèvent et se donnent la main avant de réciter, ensemble, la prière du Notre-Père. Prise de cours, la nouvelle recrue doit s’inventer un masque :

« J’ai marmonné quelques mots, parce que je ne connaissais pas les paroles. Intérieurement, j’ai souri. J’ai repensé à une amie musulmane qui avait enseigné ici auparavant et je me suis demandé comment elle avait réagi. »

« Êtes-vous mariée ? »

Pourtant, son entretien avec le directeur aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. « Seriez-vous capables d’enseigner la religion dans votre cours de langues ? », lui avait-il demandé, alors que tous deux savaient très bien que ce n’était pas du ressort de sa mission. Caroline, elle, était ressortie choquée de cette première rencontre :

« Quelle religion pratiquez-vous ? Êtes-vous mariée ? Avez-vous des enfants ?, avait-il voulu savoir, sans jamais me questionner sur ma façon d’enseigner. »

Caroline s’était sentie obligée de répondre, le plus succinctement possible :

« Etait-ce de la curiosité mal placée ? Je crois que oui, car normalement, il n’avait pas le droit de me poser ces questions. Mais, je me suis dit, réponds, sinon, il va mal le prendre. »

À d’autres reprises, elle s’est agacée de l’insistance de certains collègues :

« Oh, mais si tu es baptisée, pourquoi tu n’es pas croyante ? »

En arrivant dans les établissements catholiques, toutes deux savaient bien que des croix trônaient dans les salles de classe, que des religieuses dispensaient parfois les cours de religion, que des cérémonies se tiendraient au cours de l’année à l’attention des élèves, mais elles pensaient pouvoir rester en-dehors de tout ça. Finalement, elles n’ont guère eu le choix :

« Au moment des fêtes surtout, on ne peut pas y déroger. Tu dois emmener les élèves aux cérémonies à la chapelle ou à la cathédrale, si c’est sur ton heure de cours. C’est compréhensible car on sait qu’on doit s’y attendre en étant dans le privé mais ce n’est pas tout à fait normal car nous sommes des employés de l’Éducation nationale, ce n’est pas l’école qui nous paie. Donc peut-être que le personnel éducatif devrait rester en dehors de tout ça. »

La religion, une façade ?

Les deux enseignantes admettent que derrière les grandes portes métalliques des écoles catholiques, le public s’est diversifié avec des enfants de toutes confessions, catholiques, athées ou encore musulmans. Marie se demande si le rapport à la religion ne devrait pas évoluer aussi :

« Lors d’une cérémonie pour commémorer un saint, nous nous sommes quand même retrouvés à chanter le magnificat en latin. Je me sentais ridicule, j’avais envie de rigoler comme les élèves. Je ne comprenais pas pourquoi on les forçait à faire des choses à contre-cœur. Mais c’est difficile de parler de ces sujets avec les collègues, surtout ceux qui enseignent la pastorale. Ils sont à fond dans leur truc. Moi je pense, vu la pluralité des élèves, qu’il faudrait solliciter des intervenants plus neutres, comme des sociologues. »

Pour elle, certaines écoles se sentent néanmoins « obligées » de véhiculer un cadre religieux pour ne pas être vues comme de simples alternatives à l’enseignement public que les parents remplissent à coups de frais de scolarité :

« J’ai le souvenir d’une réunion parents-profs programmée dans un lycée à 10h du matin. Finalement avant que la rencontre ne commence, les parents ont dû assister à une célébration pendant ¾ d’heure. Ils ne le savaient pas à l’avance. Moi, oui, alors je suis arrivée après la petite messe. »

Malgré leur contrat avec l'Etat, les établissements appliquent un règlement intérieur de leur choix. (AF/Rue89Strasbourg)
Malgré leur contrat avec l’Etat, les établissements appliquent un règlement intérieur de leur choix (Photo AF/Rue89Strasbourg)

Avant de rejoindre le privé, Marie a passé une année difficile dans un collège public en zone d’éducation prioritaire. En changeant, elle pensait qu’elle pourrait mieux exercer son métier. Finalement, elle a troqué un lieu où elle luttait pour enseigner un savoir-être pour l’opposé, une usine à savoir :

« Nous devions faire des élèves des bêtes à concours. Les enfants ne manquaient de rien, donc humainement parlant, c’était moins gratifiant. Les chiffres de réussites au bac étaient les seuls objectifs. »

Caroline complète :

« On dit que le privé est une filière d’élite, mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois on se retrouve avec des classes de 33 et des élèves qui participent une fois tous les trois mois. »

Ces professeurs n’ont pas retrouvé de telles conditions dans tous les établissements. Elles ont d’ailleurs apprécié travailler dans des collèges et lycées plus petits, moins anonymes, dans la filière professionnelle aussi, où la convivialité, l’éthique et le bien-être des élèves comme celui des professeurs, quelles que soit leurs croyances, prévalent.

Le yoga comme thérapie

Quand elles racontent leurs nombreuses aventures à leur entourage, des rires s’échappent, de la curiosité aussi, de l’incompréhension parfois. « Comment tu fais ? Pourquoi tu continues dans le privé, si tu ne partages pas ces positions ? » Marie reconnaît, avec beaucoup d’humour, qu’elle se sent un brin schizophrène. Il lui a fallu apprendre à doser entre « s’écouter et mettre de l’eau dans son vin ».

S’écouter, c’est-à-dire, rester fidèle à sa manière d’être pour enseigner et ne pas aller à l’encontre de soi-même, ne pas se conformer seulement aux préceptes de l’établissement. Et aussi, apprendre à se taire, quand des choix pris ne la concernent pas directement. Pour gérer cette dualité, ajoute-t-elle, elle a trouvé une thérapie : le yoga !

Toutes deux se sont finalement habituées aux différents fonctionnements internes. Elles expliquent que leur rôle est avant tout d’enseigner, elles sont là pour remplir la mission de l’Education nationale, qui ne s’ingère en rien dans les politiques des chefs d’établissement. Elles ne se prétendent pas non plus des « infiltrées de la République » mais elles tiennent à ouvrir les esprits, à lutter contre les préjugés, ce qui constitue un défi même au sein des communautés.

Chaque jour que Dieu fait…

Ces expériences les ont enrichies à beaucoup d’égards, elles ont appris autant des pratiques que leur différence ont apporté aux élèves. Caroline s’est surtout étonnée des effets positifs que la foi peut avoir sur les relations entre les individus :

« C’était plaisant de voir combien, au sein de l’école juive, l’entraide régnait. Tous, professeurs et parents, faisaient le maximum pour que personne ne reste à l’écart des activités, et c’est très agréable. Je me souviens qu’une fois le directeur a décidé de payer la moitié des frais de scolarité d’enfants dont la mère était seule. Les parents vont jusqu’à mettre une cagnotte en place pour accorder un piano. Et puis, le personnel est toujours de bonne humeur. Chaque jour est prétexte à la fête. »

A contrario, elles ont pu aiguiser leur avis sur la place que devrait occuper la religion dans la vie des élèves. Marie, surtout, a beaucoup changé, elle qui jadis aurait presque banni la religion des établissements :

« Dans l’école juive, c’est trop communautariste. Les enfants vivent en vase clos et c’est regrettable. Mais les écoles catholiques, si elles enseignent bien les valeurs humaines qu’elles brandissent, de paix, de tolérance, d’union entre les gens, c’est un bon compromis, surtout car les élèves sont de confessions différentes. Dans l’établissement où j’enseigne cette année, le directeur a bien rappelé l’importance du cadre laïc de notre société, et qu’ici, nous devions apprendre à vivre ensemble, c’était notre rôle, ça m’a beaucoup plu. Finalement l’enseignement dans le public est extrême à sa façon. Dès qu’un signe religieux apparaît, c’est la hantise. Il faut tout de suite le cacher et surtout ne pas en parler. Peut-être faudrait-il justement chercher à expliquer, oser expliquer. »


#Éducation nationale

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