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Rue89 Strasbourg à Hautepierre : si loin, si proche

Après un mois passé à Hautepierre, notre petite rédaction a retrouvé ses locaux habituels de La Plage Digitale. Nous sommes revenus avec la conviction, plus ancrée que jamais, que notre média local devait fournir plus d’efforts pour se brancher sur les quartiers populaires. Pourquoi ? Parce que les habitants ne nous connaissent pas et n’osent pas nous écrire. Mais aussi parce que ces quartiers reçoivent d’énormes sommes d’argent public sans déclencher la moindre enquête journalistique.

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Grâce aux Migrateurs, la rédaction de Rue89 Strasbourg a eu les bureaux les plus spacieux de son existence (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Grâce aux Migrateurs, la rédaction de Rue89 Strasbourg a eu les bureaux les plus spacieux de son existence (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
Grâce aux Migrateurs, la rédaction de Rue89 Strasbourg a eu les bureaux les plus spacieux de son existence (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Lorsqu’une bâtisse de la Robertsau doit être rasée, c’est le ramdam municipal, mobilisation citoyenne, montée au créneau des associations de quartier, vigoureuses prises de position des élus. Lorsque la place Érasme est entièrement refaite à Hautepierre, en concertation pendant trois ans avec les habitants, qui en entend parler, qui s’en empare ? La remarque est de Mathieu Cahn, adjoint au maire de Strasbourg, lors de sa participation à la première « causerie » de Rue89 Strasbourg à Hautepierre, mardi 9 mars.

Autrement dit, ce qu’il se passe à Hautepierre reste à Hautepierre. Un mur invisible de l’information sépare la cité de ses quartiers populaires. Pourquoi ? Peut-être parce que les corps intermédiaires de la société en sont absents, ou en proportion trop faible. Enseignants, journalistes, cadres, fonctionnaires… n’habitent pas Hautepierre. Et les médias locaux, comme le nôtre, ont bien du mal à s’adresser aux habitants des quartiers populaires. Dans une de ses interventions lors de nos causeries, Frédéric Simon, directeur du Maillon, a détaillé ce processus qui sépare les habitants des quartiers du reste de notre société. Pour Frédéric Simon, l’action culturelle peut aider, à condition qu’elle soit massive, lente, longue.

Frédéric Simon, directeur du Maillon, a détaillé durant trois soirées ses réflexions sur ce qui fait société (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
Frédéric Simon, directeur du Maillon, a détaillé durant trois soirées ses réflexions sur ce qui fait société (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Le lien avec les médias est inopérant

Du coup, le lien avec les médias ne se fait pas. Les journalistes n’y sont pas, ne reçoivent pas d’alertes et n’y développent aucun réseau fonctionnel. Mis à part les acteurs traditionnels, comme les éducateurs de rue, les centres socio-culturels et les élus, les habitants ont le sentiment que les journalistes participent à ce grand jeu qui se déroule sans eux. Lors d’une intervention au collège Érasme, un élève m’a demandé ce que je faisais de mes infos, il était évident pour lui qu’elles étaient destinées à la police.

Certes, en un mois de présence quotidienne sur place, nous n’avions pas pour ambition de changer ces rapports d’inintérêt, voire de défiance, qui peuvent exister vis à vis des médias à Hautepierre. Mais cette résidence nous a permis de nous confronter à cette réalité, d’en prendre la mesure et d’essayer de lutter contre ces mécanismes.

Et pour ça, on va s’appuyer et développer le réseau hérité du fantastique accueil que Rue89 Strasbourg a reçu à Hautepierre : Meriem, Josyanne, Saadia, Anne, Philippe, Ozer, Louis, Fatah, Paul, Valérie, Mireille, (j’en oublie)… Qu’ils soient ici tous remerciés pour avoir eu la patience de nous écouter, de passer outre notre naïveté et pour leur engagement quotidien.

Des équipes soudées et déterminées, mais oubliées

Car nous avons pu constater que si le travail des enseignants, par exemple, est difficile dans les établissements d’Hautepierre, les équipes en sont d’autant plus soudées et déterminées. Au gré de nos reportages, nous n’avons pas rencontré d’intervenants désabusés par la situation sociale à Hautepierre. Au contraire, les profs, les éducateurs, les associations que nous avons vus à l’œuvre, croient à leurs missions. Ils ont bien le sentiment d’être en première ligne sur un front républicain et que l’avenir de notre modèle social, c’est par eux qu’il passe.

Face à ça, le moins que l’on puisse faire, en tant que journalistes locaux, c’est de s’intéresser à eux. Pas seulement ce qu’ils font, mais dans quel environnement, avec quels soutiens, quels moyens et pour quels résultats. C’est notre promesse. Durant notre résidence, six articles ont été consacrés à Hautepierre. En quatre ans d’existence, nous n’en avons rédigés qu’une quinzaine liés à ce quartier de 15 000 habitants.

L'éducation aux médias a passionné les élèves du collège Erasme à Hautepierre (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
L’éducation aux médias a passionné les élèves du collège Erasme à Hautepierre (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Médias partout, journalistes nulle part

Nous reviendrons aussi régulièrement dans les établissements scolaires. Pendant un mois, nos journalistes sont intervenus devant sept classes des collèges Érasme, Truffaut et du lycée Marcel Rudloff. Avec à chaque fois ce même constat : les jeunes ont besoin d’aide pour faire le tri dans les informations qu’ils reçoivent, consciemment ou non. Mais leurs parents aussi.

Nous vivons dans une époque bénie pour l’accès à l’information, mais la viralité n’est pas l’alliée de la véracité et les réseaux sociaux n’ont pas pour ambition première la pluralité des sources. C’est pourquoi nous allons nouer un partenariat avec le collège Érasme, pour participer à un projet pédagogique global autour de l’éducation aux médias : liberté d’expression, différence entre rumeurs et informations, fabrique de l’info.

L’ensemble de cette opération a été financée sur nos fonds propres, ce qui représente en gros un millier d’euros pour nos repas sur place et les transports, sans compter évidemment nos sept interventions en milieu scolaire et les cinq soirées qui ont été réalisées bénévolement. L’opération a aussi été rendu possible grâce à la Ville de Strasbourg, qui a accepté de nous prêter gracieusement les locaux de l’ancienne bibliothèque de Hautepierre. Et évidemment, cette résidence n’aurait pas existé sans l’invitation et le soutien logistique et technique des Migrateurs, structure d’accompagnement des arts du cirque contemporain, basé au théâtre de Hautepierre.


#Hautepierre

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