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Opinions variées à la marche contre l’expérimentation animale

Environ 430 personnes étaient rassemblées pour la fermeture du centre de primatologie de Niederhausbergen samedi 16 mai. Derrière ce terme, plusieurs regards sur la condition animale.

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Opinions variées à la marche contre l’expérimentation animale

Il y avait de quoi s’y perdre dans les slogans lors de la marche du samedi 16 mai dans les rues de Strasbourg. Fermeture totale ou manifestation « contre l’extension » du centre de primatologie de Niederhausbergen ? Un élevage ? 1 600 singes ? Le terme d’élevage est imparfait. Deux tiers des occupants arrivent d’Asie et de l’Ile Maurice et gardés quelques semaines en quarantaine. Ils sont ensuite revendus à des laboratoires. L’autre tiers se reproduit sur le site mais sert pour l’observation de leur comportement, une science appelée l’éthologie. Il existe un seul autre centre similaire d’import/export en France et deux autres d’éthologie à Rennes et Marseille.

L’autorisation d’extension date du 1er juillet 2014. Lors de notre article en février, les responsables du centre indiquaient que les bâtiments avaient été construits en 2013 et que le décret d’application avait traîné du côté de la Préfecture du Bas-Rhin. De plus, l’extension doit permettre d’avoir plus d’espace pour les singes, mais ne vise pas à en accueillir davantage. Vendredi 15 mai, le chiffre de 687 singes présents sur les site a été donné aux médias, nombreux à réaliser des demandes d’interview au Fort Foch. Mais cela ne convainc pas Cyril Ernst, membre de l’association Animalsace :

« Ce sont les chiffres qu’ils donnent. Qui est allé dans le site vérifier ? Je ne vois pas pourquoi ils s’embêteraient à réaliser des procédures aussi lourdes si cela ne changeait rien à leur fonctionnement. »

La question de la confiance dans les chercheurs est sous-jacente. Cyril Ernst reconnaît lui-même que le chiffre de 1 600 fait écho à la « ferme des 1000 vaches« . Un centre près de Strasbourg et « l’actualité » de son extension permet aussi de mobiliser au niveau local. Trente-cinq personnes sont venues grâce à un car affrêté par Pro Anima. Avec plus de 400 participants, chiffre des organisateurs comme de la police, on peut parler d’un des plus grand rassemblement en France sur ce thème, bien que 3100 personnes étaient annoncés sur Facebook ou qu’une pétition en ligne (qui s’opposait à l’extension et non l’existence du centre) a recueilli plus de 61 000 signatures.

Une die-in devant la préfecture, des quelque 430 participants, place de la République (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Une die-in devant la préfecture, des quelque 430 participants, place de la République (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Un débat scientifique

Dans la sphère scientifique, les débats sont toujours intenses. Dans la communauté des chercheurs certains estiment qu’on peut se passer de l’expérimentation animale, aujourd’hui obligatoire, avant de commercialiser un médicament. Ils estiment que d’autres méthodes sont plus sûres et moins coûteuses : les modèles cellulaires (in vitro), biomathématiques (in silico), cellules souches, organes bioartificiels. Et chaque clan déclare que l’autre manipule les chiffres ou est malhonnête intellectuellement. Le comité scientifique Pro Anima est à la pointe avec son programme Valitox.

Pour le grand public, difficile de trancher. Mais certains éléments interpellent les participants samedi. Des chercheurs français de l’Institut de Recherche et du développement ont par exemple plublié une étude dans une revue américaine montrant que le virus du SIDA venait des singes, qui peuvent porter le VIH sans être affecté. Au bord de la route, un passant se sent plus rassuré d’avoir des médicaments testés sur des animaux et se demandent si les manifestants souhaiteraient être cobayes. Un autre trouve ce combat décalé, à l’heure où l’on massacre des individus en Syrie ou que d’autres se noient dans le Méditerranée.

Au-delà de la fermeture du centre de singes de Niederhausbergen, les revendications sont bien plus larges. L’expérimentation animale, de toutes les espèces, sont dénoncées (les 6 000 singes utilisés en Europe ne représentent que 0,05% des sujets de laboratoire d’après les statistiques officielles). Si le centre fermait demain, d’autres feront ce travail d’import/export notamment aux Pays-Bas et en Allemagne. Les vétérinaires devraient trouver du travail ailleurs. Quant à l’activité d’éthologie, elle devrait trouver d’autres moyens de se financer.

Du côté de la colline de Niederhausbergen on se passerait bien de ce mauvais coup de pub’ explique une responsable :

« Nous avons répondu aux interrogations de la pétition et nous n’avons reçu aucune demande directe, bien que tout contact nous a été déconseillé. Il y a aussi une directive européenne entrée en vigueur le 1er janvier 2013 qui est très contraignante. Elle s’inspire de la règle des 3R (c’est-à-dire Remplacer l’expérimentation animale dès que possible, et à défaut, à Réduire le nombre d’animaux utilisés et à Raffiner les procédures, c’est-à-dire optimiser les méthodologies employées pour diminuer la douleur animale tout en garantissant un niveau de résultats scientifiques élevés). Les chiffres du nombre d’animaux utilisés sont évalués tous les trois ans donc on pourra en mesurer les premiers effets prochainement. »

Autour du centre strasbourgeois, la sécurité a été renforcée. Aux États-Unis, le LA Times raconte qu’un scientifique a reçu des lames de rasoirs dans sa boîte aux lettre. Il est aussi question de scientifiques assassinés, bien qu’il soit difficile de recouper l’information. S’ils dénoncent les violences, des participants se demandent si ce n’est pas aussi une manière d’agiter des peurs pour les décrédibiliser et dévier le débat. Dans la manifestation du samedi 16 mai, pas de slogan haineux ou d’appel à la violence.

Le comité scientifique Pro Anima souhaite que d'autres méthodes que l'expérimentation animale soit essayées pour les médicaments. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Le comité scientifique Pro Anima souhaite que d’autres méthodes que l’expérimentation animale soit essayées pour les médicaments. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

« L’expérimentation animale est aussi utilisée dans des cosmétiques »

Xavier est pharmacien, dans son magasin, il veille à ce que des cosmétiques testés sur les animaux soient le moins possible mis en vente. La transparence accrue lui parait importante :

« Pour les cosmétiques, je fais attention à ne plus commercialiser ceux qui ont été testés, car cela n’est pas obligatoire, contrairement aux médicament et aucune raison. Les marques qui pratiquent l’expérimentation le dissimulent et les autres communiquent dessus. L’expérimentation animale un sujet légèrement abordé dans les études, mais plus du tout après. C’est important que l’on sache désormais un peu ce qui se passe dans ce centre, tout près de chez nous. Plus de personnes Ca pousse les scientifiques à être plus transparents, mais les chercheurs ont des habitudes de travail, qui pouvaient se justifier à une époque, mais moins aujourd’hui et la remise en question doit se faire dans les formations. Mais pour que ça bouge vraiment, c’est au niveau européen qu’il faut agir. Pour les médicaments, le consommateur n’a pas le choix entre ceux testés sur les animaux ou non. D’ailleurs, avant leur commercialisation, il y a aussi une expérimentation sur les hommes, à très faible dose, mais pour tester les effets secondaires (phase 3 sur 4 de la mise sur le marché, la quatrième est un suivi après la commercialisation). »

Ces expérimentations humaines sont bien payées, mais plafonnées à 4 500 euros par an par individu. Cet article de nos confrères de Rue89 raconte bien les avantages et inconvénient pour un testeur. Étant donné que ces expérimentations sont volontaires, les organisateurs ne prennent pas position dessus bien que le fait « des personnes soient en situation d’accepter pose question » pour Clément Ernst.

Boris, venu de Belfort est sensible à la sur-utilisation des médicaments :

« Un rhume dure cinq jours, avec ou sans traitement. Pourquoi commercialiser des médicaments ? Cela sert les intérêts d’industries pharmaceutiques. »

Un débat éthique

L’autre plan sur lequel se passe ce débat est éthique, moral, quasi-philosophique : « peut-on imposer cela à des animaux ? » Du côté des chercheurs on estime ces procédés comme un mal nécessaire, bien qu’à limiter le plus possible. Air France, seule grande compagnie aérienne à organiser du transport d’animaux et aussi dans le collimateur des manifestants, avance les mêmes arguments des vies sauvées.

Les deux arguments sont bien sûr liés, mais quand bien même l’efficacité de l’expérimentation animale serait acceptée de tous, des participants s’y opposeraient. Le moine bouddhiste Matthieu Ricard ou le psychiatre Boris Cyrulnik on pris position dans ce sens. Animalsace considère que les humains et les animaux ont les mêmes droits, comme nombre des manifestants. Autre activité, plus subtile, l’éthologie. Le débat se corse et les positions sont plus nuancées. Des éthologues estiment leur travail légitime, car il ne fait pas souffrir les animaux, mais s’opposent à l’expérimentation médicale. « L’étique ne dépend pas de l’objet. » estime de son côté Sandra, venue depuis Paris avec une association.

Anne, est réservée sur ces travaux scientifiques :

« On isole les animaux, ce qui atteint leur psychisme. Le cerveau se développe différemment en milieu naturel et en captivité. Ces travaux comme l’ont fait certains chercheurs, doivent se passer dans les forêts. Certaines expériences isolent les singes, ce qui est aussi une souffrance. De manière générale, il faudrait que les comités d’éthiques intègrent des scientifiques de toutes les sensibilités. On y met des représentants religieux ou des personnes qui ne connaissent rien à la scient »

Cyril Ernst d’Animalsace ne met pas sur un pied d’égalité expérimentation et éthologie en semi-liberté, mais son opposition concerne tout ce que les animaux subissent contre leur volonté à cause de l’Homme. Il pousse son raisonnement à l’enfermement dans les zoo ou le fait d’être végétarien par soucis de cohérence. Sylvia Hecker, déléguée interérgionale de Pro Anima est plus nuancée :

« Chacun doit évoluer à son rythme sur ses questions, nous n’avons pas de leçon à donner. Nous-mêmes nos positions ont changées avec les années. Mais je pense que nous serons forcés à devenir végétarien à l’avenir, car produire de la nourriture pour engraisser les animaux consomme beaucoup de ressources pour notre planète, dont la population augmente. »

Reçus par la préfecture le 21 mai

Pour Strasbourg et son agglomération, le seul moyen de se mêler du centre de Niederhausbergen est par la biais des financement à l’Université. Lors de notre entretien avec son président, Alain Beretz disait que la hauteur des financements des collectivités, leur permettait difficilement de donner des ordres. Par ailleurs, un master d’éthique et de droit des animaux sera ouvert à la rentrée, mais ses responsables n’ont pas souhaité s’exprimer sur cette manifestation. Le débat continue uniquement à travers des échanges dans la presse.

Mercredi 21 mai, des représentants des organisateurs doivent remettre la pétition en ligne à un représentant du préfet. Sylvia Hecker compte demander pourquoi la société, filiale de l’Université de Strasbourg, n’est pas déposée aux registres de commerce et des sociétés. Au Parlement européen, une « pétition » a atteint le seuil des un million de signatures pour être présentée aux institutions. Elle demande d’abroger la récente directive de réduction du nombre d’animaux, fruit d’un travail d’une dizaine d’années et stopper toute expérimentation animale. La Commission doit répondre avant le 3 juin.


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