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Pataquès dans les examens, quand la fac de droit oublie le droit

En confirmant l’obligation de la tenue d’une session de rattrapage des examens à l’Université de Strasbourg, la cour administrative d’appel de Nancy a plongé la fac de droit dans une situation bien embarrassante.

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Pataquès dans les examens, quand la fac de droit oublie le droit

Les étudiants en droit ont appris qu'ils bénéficieraient d'une session de rattrapage, deux semaines à peine avant le début des épreuves.
Les étudiants en droit ont appris qu’ils bénéficieraient d’une session de rattrapage, deux semaines à peine avant le début des épreuves. (Photo TM / Rue89 Strasbourg / cc)

Début mai, les étudiants en droit posaient leurs stylos et rendaient leurs copies. Partiels terminés, rendez-vous mi-juin pour les résultats. Moyenne des deux semestres supérieure à dix, passage dans l’année supérieure, et place à l’été. En dessous-de dix, au pire redoublement, au mieux passage tout en reprenant les matières ratées l’année d’après… et place à l’été. Pas de rattrapage, pas de seconde chance !

Sauf que le 7 mai, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg qui, suite à une plainte de l’Unef, avait considéré en janvier 2014 que tous les étudiants inscrits en licence à l’Université de Strasbourg (Unistra) ont le droit à une session de rattrapage. Un accroc de taille pour l’université qui ambitionne depuis 2013 d’instituer le contrôle continu intégral.

Politique de l’autruche

La décision était attendue, presque évidente, tant l’arrêté licence de 2011 et le règlement de l’université lui-même sont très clairs sur la question. Mais bizarrement, la fac de droit et son doyen Christian Mestre ne l’ont pas anticipée et se trouvent aujourd’hui dans l’obligation d’organiser des examens de rattrapage en catastrophe. De quoi faire ironiser, Pascal Maillard, enseignant à la faculté de Lettres et élu Snesup-FSU au conseil d’administration :

« Alors qu’ils sont juristes, donc au fait du fonctionnement de la justice, les responsables de la fac de droit ont pris le risque de ne pas mettre en place cette session dans les temps, dans des conditions acceptables pour les étudiants et les enseignants comme le personnel administratif. C’est incompréhensible. »

Pour sa défense, Christian Mestre argue que la fac de droit n’est pas la seule concernée. En théorie, c’est juste puisque cette obligation s’applique à tous les UFR de l’université qui, par ailleurs, aurait saisi le Conseil d’État pour tenter de casser le jugement, d’après Pascal Maillard. Mais dans les faits, les autres UFR ont pris leurs dispositions à temps pour organiser ces examens.

Ainsi, lundi 15 juin, le jour où les étudiants en droit de première année apprenaient leurs résultats, ceux de la faculté de sciences de la vie, plutôt bonne élève en matière d’application du contrôle continu, passaient leurs rattrapages. Le doyen de la faculté scientifique a pourtant eu le même temps réduit que son homologue juriste pour les organiser.

Seuls les étudiants en droit se trouvent aujourd’hui à devoir réviser en catastrophe quelques jours seulement avant les épreuves qui se tiendront du 29 juin au 11 juillet. Même pas deux semaines de révision. En effet, l’annonce aux étudiants n’a été faite que le 9 juin, plus d’un mois après la décision de la cour d’appel, une semaine à peine avant la publication des résultats. « Pourquoi avoir prévenu les étudiants si tard  ? », s’interroge Pascal Maillard.

Une politique de l’autruche que ne s’expliquent ni Christian Mestre, un doyen qui se définit lui-même comme enseignant chercheur plutôt qu’en gestionnaire administratif et logisticien d’examens, ni la direction de l’université qui n’a pas trouvé le temps de répondre à nos sollicitations.

Des QCM à la place des analyses

Devant le tableau d’affichage des résultats, les quelques étudiants qui n’ont pas obtenu la moyenne n’y comprennent pas grand chose, malgré les affiches jaunes et saumon placardées par la direction de la faculté. Mais dans l’ensemble, malgré le flou, ils sont plutôt contents à l’idée d’avoir une nouvelle chance.  « Au rattrapage, c’est plus facile, ils veulent nous faire passer », croient même savoir Marie et Élodie, en première année.

De fait, comme les professeurs aussi ont été tardivement prévenus, il leur est difficile d’établir des sujets dignes de ce nom. Comme ces rattrapages sont synonymes de travail supplémentaire imprévu, il n’est pas question de perdre trop de temps à lire des dissertations et des commentaires. Ainsi, nombre d’épreuves devraient être de simples questionnaires à choix multiples (QCM). Une habitude peu commune en droit, où l’on valorise l’écrit, mais surtout d’un intérêt pédagogique nul, attaquent en chœur le Snesup-FSU et l’Unef.

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La teneur des futures épreuves n’est de loin pas le seul problème. Certains étudiants, en stage, en emploi d’été ou en vacances, comme les étudiants étrangers déjà rentrés dans leur pays d’origine, ne pourront tout bonnement pas y assister. À l’image de Khadijah :

« Je travaille toute l’année comme hôtesse de caisse, l’été j’augmente mon temps de travail. Je me vois mal demander tout à coup à mon patron de me libérer plusieurs jours. Je ne pense pas pouvoir assister à toutes le épreuves. »

De l’égalité des universités à l’égalité des étudiants

Ce qui n’est pas sans conséquence, les absents étant considérés comme « défaillants », donc dans l’impossibilité d’obtenir une moyenne sur le semestre et sur l’année, par conséquent dans l’obligation de redoubler, quitte à ne devoir repasser que deux ou trois matières seulement. Quant aux étudiants boursiers, ils sont dans l’obligation de rembourser la totalité de leur bourse annuelle, s’ils n’assistent pas aux examens sans justification.

Malgré sa victoire judiciaire, l’Unef locale, à l’origine indirecte de ce pataquès, ne peut que déplorer cette situation, par l’intermédiaire de sa présidente Flavie Linard, étudiante en ethnologie :

« Nous avons attaqué l’Unistra au nom de l’égalité entre les universités. Strasbourg ne peut pas être la seule en France à ne pas organiser une session de rattrapage. L’ennui c’est qu’à cause du retard pris par la fac de droit, il y a rupture du principe d’égalité devant les examens cette fois puisque certains étudiants n’auront pas la possibilité matérielle d’y assister. »

De son côté, Christian Mestre promet de tout faire pour limiter les dégâts :

« Nous nous engageons à ne pas dénoncer les boursiers absents au Crous. »

Pas de risque de perte ou de remboursement en cas d’absence donc. Une mesure dont le doyen revendique la paternité mais qui a été négociée avec l’association des étudiants en droit, membre de l’Afges, le syndicat concurrent de l’Unef, majoritaire à l’Unistra, et ultra-majoritaire en fac de droit. « Aucun étudiant, boursier ou non, ne devrait être pénalisé », a estimé mercredi l’un de ses représentants, Ilyas Kenadid, à la sortie d’une réunion entre doyen, enseignants et étudiants.

Une autre réunion est déjà programmée le 30 juin afin de préparer et fixer les modalités d’examen pour l’année prochaine, une année potentiellement chamboulée par la tenue de cette session de rattrapage. En effet, plus ou moins de réussite, et les effectifs étudiants, fruit d’un savant dosage, déjà chargés le seront encore plus.

Au delà de la fac de droit, de « cette situation ubuesque » selon Pascal Maillard, c’est la question du mode d’évaluation des étudiants inscrits à l’université qui est reposée. Alors que l’Unistra avait été la première à adopter le contrôle continu en France et qu’elle voulait le pérenniser et le généraliser, cette décision de justice pourrait la contraindre à revoir sa stratégie.

Il faudra de toute façon sortir de la contradiction actuelle. En effet, l’idée directrice de l’évaluation continue – noter les étudiants plusieurs fois tout au long du semestre plutôt qu’une seule fois à la fin – est pédagogiquement incompatible avec celle des rattrapages, synonymes d’examen terminal couperet.


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