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Patrice Leconte : « Le cinéma d’animation s’est libéré de l’enfance »

Sur la terrasse d’un hôtel se situant au bord de l’eau, cadre idyllique, Patrice Leconte se laisse interviewer, attendant d’abord le passage de la péniche afin « de ne pas avoir le bruit des moteurs » plaisante-t-il. Il revient sur sa carrière et la sortie de son nouveau film Le magasin des suicides prévue à Strasbourg le 26 septembre.

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Patrice Leconte : « Le cinéma d’animation s’est libéré de l’enfance »

Patrice
Patrice Leconte et Jean Teulé au festival du film d'animation à Annecy en 2012

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Son premier film est sorti en 1976, Les vécés étaient fermés de l’intérieur, il a plus d’une trentaine d’années de carrière cinématographique derrière lui, un peu moins d’une trentaine de longs métrages réalisés, des films de genre assez variés. Bien entendu, son nom reste rattaché aux Bronzés dont les retrouvailles en 2006 ont tout de même fait pas moins de 10 millions d’entrées au box office français, ce qui n’est pas rien.

M.G. – Aujourd’hui, avez-vous toujours cette image que vous avez pu avoir à vos débuts de réalisateur de comédie populaire ?

Patrice Leconte – Sincèrement… Oui et non. On me cite tout le temps, ça me fait plaisir parce que j’ai adoré faire les Bronzés, le 1 le 3 le 12… Enfin c’est des films que je revendique, je ne suis pas en train de dire « non non j’ai changé, arrêtez de me parler des Bronzés ». Le fait que les Bronzés aient eu ce côté inusable et qu’ils traversent les générations, c’est magnifique. Mais le grand public ne connaît pas toujours les réalisateurs et ce qu’ils ont fait; cela dit, je sens bien que mon image -si tentée que j’en ai une- s’est beaucoup diversifiée avec des films très différents comme vous le notiez, au point que je ne crois pas qu’on me considère de manière définitive comme un auteur de comédie populaire. Et puis j’ai fait quand même suffisamment d’autres films à succès pour qu’on me considère au moins comme un mec très éclectique.

M.G. – Oui justement car il y a eu Tandem, Monsieur Hire, Le mari de la coiffeuse, et surtout Ridicule qui vous a permis d’obtenir le César du meilleur réalisateur…

Patrice Leconte – Oui c’est vrai que ces films là sont quand même très éloignés des Bronzés ou Viens chez moi j’habite chez une copine, encore une fois. Je ne dis pas ça pour renier ces films là, du tout. Mais c’est vrai que je me suis ouvert et amusé à faire des tas d’autres trucs très différents.

M.G. – Mais avant que vous entrepreniez ce tournant vers des œuvres plus éclectiques, vous avez donc démarré par la comédie en mettant en scène la troupe du Splendid et Michel blanc en solo, est-ce que cela s’est montré handicapant par la suite pour des projets plus intimistes comme Tandem et ce qui a suivi ?

Patrice Leconte – Quand j’ai eu le projet de Tandem, qui me tenait terriblement à cœur, j’ai eu, vous avez raison, du mal à le faire parce qu’on m’a fait comprendre que ce n’était pas mon registre. J’aurais proposé Les spécialistes numéro 2 ou une nouvelle comédie je n’aurais eu aucun problème pour monter financièrement l’affaire, mais le fait de vouloir faire un film plus bizarre, j’ai eu du mal. Et comme Tandem j’ai finalement réussi à le faire et que le film à été très apprécié, d’un seul coup, quand j’ai voulu faire les deux films suivants, je dis pas que ça a été  plus facile, mais on a admis – « on » ce sont les investisseurs et partenaires financiers- que je pouvais faire des choses très différentes et on m’a laissé les faire.

M.G. – Mais du coup, au début vous vouliez faire rire les gens ? Parce qu’après vous avez entrepris des films très différents, des drames, comédies dramatiques, des films d’actions, maintenant même un film d’animation.

Patrice Leconte – Oui c’est vrai mais au début c’est une question de tournure d’esprit… de personnalité. Je trouvais ça bien comme objectif de faire des comédies, c’est à dire d’inventer des trucs drôles, je trouvais ça bien de faire marrer les gens, c’est aussi bête que ça.

M.G. – C’est pas bête du tout…

Patrice Leconte – Enfin je veux dire, c’est aussi simple que ça, je trouvais que c’était une ambition qui me convenait, faire marrer les gens. Et puis je me souviendrais toujours de ce producteur qui avait produit trois de mes comédies, qui s’appelait Christian Fechner -j’en parle à l’imparfait car hélas il nous a quitté et c’est vraiment pas gai mais ça fait quelque années maintenant-, et qui un beau jour m’a dit « Patrice, est-ce que vos avez envie de faire des comédies toute votre vie ? ». C’était après mes six premiers films qui étaient six comédies, et je lui ai répondu : « Tiens quelle drôle de question Christian, oui, non, je sais pas, pourquoi vous me dites ça ? ». J’avais jamais pensé moi à faire autre chose. Et il me dit « Mais parce que voilà j’ai un projet que je voudrais faire avec vous, c’est un projet de film d’action… » et c’est comme ça que Les spécialistes sont nés. Ce film m’a vraiment ouvert les yeux sur les choses que j’avais envies de faire. Ça m’a donné le culot d’avoir des projets plus personnels. Les spécialistes à été le gros changement, surtout que ça a été un succès énorme… Pardon j’ai l’impression de me vanter (rires).

M.G. – Cinq millions d’entrées…

Patrice Leconte – Oui c’est beaucoup. Et après ce succès je me suis dit que je pouvais me payer le luxe de faire Tandem, un petit film pas très cher à petit budget. Mais ça a été très dur à monter.

Photo du film "Le magasin des suicides"

L’ombre de Tim Burton

M.G. – Vous vous présentez beaucoup comme un fan de BD,  de film d’animation et notamment de ce qu’a fait Tim burton dans le domaine, quelles sont vos références dans l’animation outre ce dernier ?

P.L. – Moi j’ai grandi avec les films de Disney. Quand j’étais petit il y avait le Disney de Noël. Ces films là font partie de ma culture enfantine. Heureusement, l’animation s’est beaucoup diversifiée est est partie dans des tas de directions beaucoup plus riches. Je trouve qu’aujourd’hui ce que fait Disney, mais surtout ce que font Pixar et Dreamworks, c’est absolument formidable. Principalement Pixar, parce que chez eux il y a une qualité des scénarios. Par exemple, un film comme Monstres et cie est pour moi un chef d’œuvre absolu, l’intelligence du scénario est absolument diabolique. Je suis aussi très fan du studio Aardman qui a fait Wallace et Gromit, ce sont des personnages géniaux. L’animation plus adulte ça date déjà de quelques années, avec des films comme Valse avec Bachir ou Persepolis et tout ces films là. Évidemment ça m’impressionne. Mais pour moi le chef d’oeuvre absolu qui restera inégalé jusqu’à la fin des temps c’est L’étrange noel de Mr Jack qui est un modèle du genre, modèle d’inventivité, de poésie, de musique, d’univers décalé… En faisant le magasin des suicides, j’avais l’ombre de Tim Burton, bienveillante et envahissante qui planait au dessus de moi.

M.G. – Et donc quel regard portez-vous sur l’évolution de l’animation à la française ? Je pense notamment à Sylvain Chomet avec Les triplettes de Belleville, L’illusioniste… ou justement Marjane Satrapi avec Persepolis

P.L. – Les films d’animations aux États-Unis sont essentiellement pour enfants. L’animation française, peut-être européenne mais surtout française, grâce aux films que vous citez, a mis l’accent sur les films d’animation qui sont aussi pour les ados, les adultes, un public beaucoup plus diversifié. Et je trouve qu’en plus de techniques assez habiles, différentes et novatrices, le cinéma d’animation s’est libéré de l’enfance. (rires) Non pas que les enfants aient maintenu les films d’animation prisonniers dans je ne sais quoi mais… je trouve ça plaisant de penser que les films d’animations ne sont pas que pour les gosses.

M.G. – C’est vrai. Et donc pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de faire votre premier film d’animation ?

Patrice Leconte – Et bien parce que je n’en ai pas eu l’idée avant, et même sur ce film là c’est pas moi qui ait eu l’idée. Le jeune producteur Gilles Podesta m’a proposé ça. J’ai toujours eu goût pour le dessin, la bande dessinée, le film d’animation… Je me suis presque demandé pourquoi je n’y avais pas pensé plus tôt.

M.G. – Oui, ça semble comme une évidence …

P.L. – Oui mais vous savez, vous vivez avec des évidences à côté de vous et vous ne les voyez pas… Quand je vous parlais de Fechner qui me demandait si je voulais faire des comédies toute ma vie, il a fallu qu’un producteur m’entraîne ailleurs, car de moi même j’aurais peut-être pas eu le culot. Pourtant quand j’ai plongé dans cette aventure je me suis senti comme un poisson dans l’eau.

M.G. – Par rapport à l’ouvrage de départ, vu qu’il s’agit d’une adaptation, quelles sont les modifications -hormis la fin- que vous avez entreprises ?

P.L. – Plein de choses… Je voulais me sentir très libre et Jean Teulé (ndlr : l’écrivain à l’origine du livre Le magasin des suicides) qui est un ami m’a dit « Vraiment Patrice je t’en supplie fait ce que tu veux, soit libre, invente, vire tout ce qui te plait pas dans le bouquin ». Donc j’avais son autorisation, même sans autorisation j’en aurais fait qu’à ma tête mais… Ce qui me paraissait important était de faire une adaptation. Et le plus joli compliment que Jean Teulé m’ait fait, après qu’il ait vu le film et m’ait embrassé comme du bon pain, c’était : « Voilà c’est formidable parce que c’est vraiment ton film, mais sans mon bouquin t’aurais pas pu le faire » et c’est exactement ça. Il faut adapter, mais il faut aussi adopter en fait.

M.G. – D’où le happy end à la fin que vous avez placé ?

P.L. – D’où le happy end entre autres bien sûr, mais parce que la fin est tellement sinistre, tellement pessimiste et tellement bizarre… Dans un livre, bon soit, à la limite ça passe, encore que des tas de gens comprennent pas du tout ce qu’est cette fin là. Teulé me raconte le courrier qu’il reçoit, les gens ne comprennent pas pourquoi Alan met fin à ses jours. Pour moi, dans un film c’était impensable, pour une raison très simple : Je voulais à tout prix faire un film qui malgré son titre et le concept d’un magasin qui vend tout pour se donner la mort, soit joyeux et optimiste, que ce soit un hymne à la vie et surtout pas un hymne à la mort. La fin ne pouvait pas être comme dans le bouquin, ce n’était pas possible.

M.G. – C’est en effet ce qui ressort du film, mais est-ce que du coup vous le conseilleriez aux enfants vu que le sujet reste sombre et pessimiste ?

P.L. – J’ai fait pas mal d’avant-premières en province, et comme c’est une période de vacances il y a beaucoup d’enfants dans les salles, de 8-9 ans, et j’ai eu plein d’échos de ces enfants qui avaient beaucoup ri, comprenaient tout et étaient vis à vis du contexte désenchanté du film finalement très détendus. Comme si les enfants avaient une forme de désinvolture vis à vis de la mort, ce qui est sûrement vrai d’ailleurs car ça ne les touche pas de près, c’est pas encore pour eux donc ils ne s’en soucient pas, et ils ont raison. Les enfants étaient en fait beaucoup plus détendus que leurs parents.

M.G. – Quant au choix d’en faire un film musical, était-ce pour adoucir la noirceur générale du sujet ?

P.L. – Oui. il y avait deux raisons, la première était que je rêvais de faire un film musical depuis très longtemps, je n’avais pas trouvé la bonne occasion, mais la vraie raison est celle que vous venez de dire. C’est un film avec de l’humour très noir, et d’en faire un film musical me permettait de faire un contrepoint qui allégeait le sujet pour en faire quelque chose de plus fantaisiste avec plus de dérision. La musique, même dans les moments terribles, entraîne le film dans quelque chose de joyeux.

M.G. – En plus d’être votre premier film d’animation, c’est l’un de vos rares films où vous ne prenez pas de très grands acteurs, comment s’est fait le casting ?

P.L. – À la distribution les investisseurs m’ont suggéré que je devrais prendre des acteurs connus car cela fait mieux sur une affiche, mais moi je n’aime pas cette idée d’avoir des voix connues, ça nous sort du film. Il fallait absolument des acteurs qui savent chanter, j’en connais pas mal. On a fait ça avec une espèce de joie, de bonne humeur, et un enthousiasme magnifique. Non seulement j’assistais aux doublages, mais il fallait que je dirige les acteurs. Car quand il s’agit d’un film français, les voix se font avant toute chose et l’animation se cale sur les voix, donc c’est pas vraiment du doublage… c’est… (rires) du pré-son. Les acteurs ont joué le film sans avoir une seule image sous les yeux.

M.G. – Pour le choix de la 3D, s’est-il aussi fait avant que vous ne commenciez l’animation ?

P.L. – La 3D relief a été décidée d’emblée quand on a commencé à faire les études graphiques sur le projet, moi je voulais que ce soit un film très dessiné, mais la 3D c’est un procédé complètement nouveau. Le rendu m’enchante, c’est le rendu des livres de notre enfance qu’on appelle les « pop-up ». Vous savez quand vous ouvrez un livre et qu’on a un paquebot ou chateau fort qui surgit du bouquin, c’est ça, c’est dessiné sur plusieurs plans et chaque plan est graphique. Il y a pas ce côté très lisse d’ordinateur que l’on voit beaucoup dans les films Pixar aujourd’hui, c’est bien mais je ne voulais pas ça.

M.G. – Et donc par rapport à votre expérience, selon vous, comment se fait-il que de plus en plus de réalisateurs, comme par exemple Spielberg ou J.J. Abrams, s’intéressent ou se lancent dans le film d’animation ?

P.L. – Je ne sais pas, c’est vrai que c’est bizarre. Spielberg a fait un film d’animation, Raimi Bezançon a fait Zarafa, Besson a fait Arthur et les Minimoys… Il y a effectivement plein d’exemples, c’est très curieux. Je ne sais pas du tout, est-ce que c’est un hasard, un concours de circonstance, est-ce que les réalisateurs en ont marre des acteurs (rires), je ne sais pas.

M.G. – Vous avez plus de libertés aussi par l’animation. 

P.L. – Oui il y en a plus mais… C’est autre chose, c’est bien aussi, ça remplace pas, c’est pas mieux ou moins bien, c’est différent, moi j’adore.

M.G. – Ça fait déjà quelques années que vous dites que vous allez arrêter le cinéma et prendre votre retraite, pour l’instant votre retraite a l’air plutôt très active…

P.L. – Oui. alors, déjà une chose c’est que je ne sais pas ce qui m’a pris régulièrement de dire que j’arrête bientôt, cet effet d’annonce est grotesque donc je n’en parle plus. Ce que je sais aujourd’hui c’est que j’ai deux projets précis, un nouveau film d’animation qu’on a lancé sur un scénario original mais qui va sortir en noël 2015. Et en octobre-novembre, je tourne un prochain film en prise de vues réelles, l’adaptation d’un roman sublime de Stephan Zweig, une histoire d’amour vraiment magnifique. Je voudrais faire ces deux films là et puis après je verrais, peut-être que je ne ferais plus rien d’autre, je ne sais pas, mais je n’en parle plus.

Y aller

Le Magasin de Suicides, sortie nationale le 26 septembre, à voir à Strasbourg à l’UGC Ciné-Cité et aux cinémas Star. 

 

Pour aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : La critique du film

Sur AlloCiné : toute la filmographie de Patrice Leconte


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