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Pesticides, amiante… L’étau se resserre contre les industriels empoisonneurs

Après les 68 à 100 000 morts dues à l’amiante, comment va se gérer la catastrophe sanitaire annoncée des pesticides ? La question est en débat jeudi 7 décembre au Ciné-Club organisé par Rue89 Strasbourg et les cinémas Star avec la projection du documentaire « Les Sentinelles » suivie d’un échange avec Anne Vonesh, vice-présidente d’Alsace Nature et Karine Favro, enseignante-chercheure à l’Université de Haute-Alsace.

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Les risques industriels et leurs conséquences sur la santé semblent se dérouler sous nos yeux sans qu’il semble possible d’intervenir : amiante, pesticides, perturbateurs endocriniens… Un documentaire, « Les Sentinelles » (voir la bande-annonce ci-dessus), revient sur les efforts d’Henri Pézerat, chercheur au CNRS. Ses travaux ont mis en évidence les dangers de l’amiante et permis aux autorités sanitaires d’interdire entièrement la production et l’utilisation de ces fibres en 1997. Mais les responsables de ces empoisonnements à l’échelle planétaires restent difficiles à atteindre…

Les cinémas Star et Rue89 Strasbourg organisent un ciné-club jeudi 7 décembre avec la projection de « Les Sentinelles » puis un débat avec Anne Vonesch, vice-présidente d’Alsace Nature et Karine Favro, enseignante-chercheure en droit des risques et droit de l’environnement à l’université de Haute-Alsace (UHA).

Rue89 Strasbourg : Karine Favro, vous suivez de près les évolutions du droit des risques au sein du Centre européen de recherche sur le risque, le droit des accidents collectifs et des catastrophes. Comment évolue la jurisprudence ?

Karine Favro : Le droit des risques est encadré par plusieurs grands principes, comme le principe de précaution, lorsqu’il existe des incertitudes scientifiques, le principe de prévention, quand les risques sont connus ou le principe « pollueur-payeur » qui date de 1995. Mais dans chaque dossier, tous ces principes sont contrebalancés par d’autres et comportent parfois leurs propres contradictions. Ainsi « pollueur-payeur » pourrait être interprété comme un permis de polluer par exemple, alors que ce n’est évidemment pas le cas.

« Le droit des risques progresse par à-coups »

Le droit des risques progresse par à-coups, c’est regrettable mais c’est ainsi. Suite à l’explosion de l’usine AZF par exemple, il a fallu caractériser qui pouvait se prévaloir de la qualité de victime, ça va des salariés aux habitants mais aussi les sous-traitants, etc. Selon les cas, des fonds d’indemnisations sont mis en place préventivement, pour les victimes d’attentats par exemple. Depuis quelques années, le droit progresse aussi de manière préventive, comme la responsabilité sociale des entreprises, la responsabilité morale, etc. On remarque aussi que le montant des dommages et intérêts augmente tout comme la durée des peines encourues.

Le round-up, pesticide de Monsanto, est composé de glyphosate, molécule cancerogène mais il est encore autorisé (Photo Mike Mozart / FlickR / cc)
Le round-up, pesticide de Monsanto, est composé de glyphosate, molécule cancerogène mais il est encore autorisé (Photo Mike Mozart / FlickR / cc)

Le droit des risques semble agir avec lenteur, est-ce une fatalité ?

Dans les dossiers à cinétique lente, comme l’amiante, les pesticides ou d’autres, est-ce que c’est le droit qui est lent ou les facteurs de risques qui mettent du temps à se révéler ? Pour que la justice soit saisie, il faut que les effets soient visibles or dans certains cas, ils peuvent mettre des années à se manifester. D’une façon générale, on accepte tous, tous les jours, de courir des risques, on ne les gère juridiquement qu’après leur survenue. C’est le cas par exemple des nanotechnologies ou des perturbateurs endocriniens… Ces risques donnent pas lieu nécessairement à des interdictions mais peuvent faire l’objet d’un encadrement juridique telle qu’une procédure d’autorisation.

Démontrer un lien de causalité

Le droit semble un allié bien faible pour les victimes de risques industriels…

Pour qu’une entreprise soit mise en cause, il appartient aux victimes de démontrer un lien de causalité entre un problème identifié, par exemple un cancer ou la mortalité d’un essaim d’abeilles, et un produit commercialisé par cette entreprise. On ne peut pas faire sans ça, aucun juge ne peut suivre une plainte sur des présomptions ou des suspicions si la loi ne simplifie pas la tâche de la victime. C’est évidemment compliqué d’établir cette preuve, surtout des années après. Mais l’alternative serait un viol de l’Etat de droit.

Rappelons tout de même que les victimes sont souvent indemnisées avant que les affaires n’arrivent au procès. Et heureusement car dans le cas de l’explosion de l’usine d’AZF, qui a eu lieu en 2001, le procès ne s’est tenu qu’en 2017.

Il faut donc s’en remettre aux experts…

À moins d’être un expert soi-même, oui, il faut confier l’analyse à un expert et bien le choisir car, de sa qualité, de sa capacité à mettre en évidence un lien de causalité dépendra l’issue judiciaire d’un dossier… D’autant que face aux experts d’un plaignant, se trouveront les experts des défenseurs. Les dossiers de risques industriels évoluent vite en batailles d’experts, ce qui pèse ensuite sur les épaules des juges en charge de ces affaires. La justice n’étant pas riche, leur temps d’analyse est forcément limité. Des fois, ça se passe bien et le juge est en mesure de relier des expertises contradictoires pour en tirer une conclusion qui convient à tous comme dans le cas du naufrage de l’Erika par exemple et parfois… le juge peut se considérer lui-même comme un expert.


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