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Le retour en France des sept de la « filière de Strasbourg » était-il sincère ?

Le retour des Strasbourgeois en France quelques mois après leur arrivée en Syrie était-il sincère ? Au cours ce quatrième jour de procès de la « filière de Strasbourg », le tribunal s’est penché sur les motivations réelles de trois des sept jeunes hommes partis en décembre 2013. Et a mis en lumière les tensions naissantes au sein du groupe, dont la solidarité semble s’être lentement effritée au cours des semaines.

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Le tribunal correctionnel de Paris, pendant une suspension d'audience (Photo Paul Gogo)

« Ça ne ressemble pas à un pot d’adieu. » Dans sa main, Sabine Faivre, la présidente du tribunal,  agite une liasse de photos extraites des téléphones portables des Strasbourgeois. Dont une, les montrant assis dans un snack de Chedaddi, en Syrie, tout sourire, l’index droit levé vers le ciel. « Tout le monde est très souriant », remarque la juge. Comme il le peut, Mokhlès Dahbi explique qu’à ce moment-là, il avait « déjà préparé sa fuite » avec Banoumou Kadiakhé, son ami de la Meinau. À deux, ils avaient élaboré un « plan hypothétique » pour sortir de Syrie. Sauf qu’au moment de la photo prise le 27 février, veille de leur départ, il « fait semblant », pour dit-il, « ne pas éveiller les soupçons. »

Au quatrième jour du procès de la filière de Strasbourg où sept Alsaciens, partis en Syrie fin 2013, sont jugés pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, le tribunal correctionnel de Paris s’est interrogé sur la sincérité de leur retour. « Vous paraissez enjoués ! », insiste la présidente. « C’était le contexte de la photo. On prend la pose, c’est tout », se justifie Mokhlès Dahbi qui apparaît armé d’une kalashnikov dont il ignore « si elle était armée ou non ».

Frime et crucifixion

Et puis il y a ce geste sur la photo, cet index de la main droite levé vers le ciel. Un signe de ralliement à l’EIIL (État islamique en Irak et au Levant) ? « C’est le signe d’attestation de la foi (Chahada, ndlr) », explique Mokhlès Dahbi. Un geste banal, une simple manière pour tout musulman de montrer son appartenance à l’islam. Un geste aujourd’hui récupéré par les mouvances islamistes.

Le tribunal cherche à savoir si les prévenus étaient présents sur des zones de combats, s’ils ont eux-mêmes combattus, et quel était leur degré d’endoctrinement. Le ministère public fait état d’une vidéo dans laquelle résonnent des rafales d’AK-47 et cette phrase, lancée en français : « on va aller fumer des ennemis. » « C’était pour rigoler », se justifie l’un des prévenus.

Pour rigoler aussi, que l’un des prévenus explique à la présidente avoir voulu frimer lors d’une discussion en évoquant l’une des premières crucifixion médiatisée à Raqqa en mars 2014. « Frimer avec une crucifixion ? Bien. », s’étonne la juge qui d’une main, referme l’un des nombreux dossiers posés devant elle.

Le tribunal correctionnel de Paris, pendant une suspension d'audience (Photo Paul Gogo)
Le tribunal correctionnel de Paris, pendant une suspension d’audience (Photo Paul Gogo)

« Vous savez que vous êtes décrit comme un traître ? »

Les débats s’attardent ensuite sur les retours de trois des prévenus, Miloud Maalmi, Mokhlès Dahbi et Banoumou Kadiakhé. Un départ décidé « en une fraction de seconde » par Maalmi, après les deux jours de sévices subis alors qu’il cherchait à éviter le camp d’entraînement.

– La juge : « Vous savez que vous êtes décrit comme un « traître » par les autres membres du groupe dans la procédure.

– Miloud Maalmi : « Je sais pas, il faut leur poser la question. »

Il est d’abord convenu que les trois jeunes hommes fuient la Syrie ensemble. Miloud Maalmi part finalement seul, laissant ses deux comparses dans l’incertitude. Est-il réellement parti ? A t-il été rattrapé ? Dans un long récit, émaillé de détails précis, Mokhlès Dahbi convoque sa mémoire et ses souvenirs.

« On fait mine d’aller acheter à manger au souk. En fait, on a pris un taxi. (…) On voulait pas se faire cramer. On a pris un taxi qui n’a pas posé de questions : on ne disposait pas d’autorisation pour se déplacer. Arrivés à Raqqa, on ne sait pas quoi faire. Je vais dans un taxiphone et j’appelle mon père, je lui demande de rester discret. »

« On s’est baissés, on a fait comme les moutons »

Accompagné de Banoumou Kadiakhé, Mokhlès Dahbi entame le voyage vers la frontière turque. Nouveau contact avec son père : Dahbi lui signale que s’il ne donne plus de nouvelles, c’est qu’il est mort. Tué par l’EIIL ou par l’armée turque. Arrivés près de la frontière, les deux Alsaciens rencontrent des Syriens qui leur indique un berger : ce dernier doit aller en Turquie avec ses moutons.

« Alors on y va, on se baisse et on fait le mouton. »

Dans le box d’en face, les quatre autres prévenus, Mohamed et Ali Hattay, Radouane T. et Karim Mohamed-Aggad sont morts de rire.

Les deux hommes finissent par arriver à Istanbul. Mokhlès Dahbi avoue avoir hésité à aller au Maroc, pays d’origine de son père. « Un plan totalement farfelu », confesse t-il. D’après leurs déclarations, ils restent une dizaine de jours en Turquie, déclarent la perte de leurs papiers et se rendent au consulat.

Revenus en France, Mokhlès Dahbi, Banoumou Kadiakhé, tout comme Miloud Maalmi, rentré quinze jours plus tôt, reprennent leurs vies. S’inscrire « aux Assedic » pour l’un, passer à la préfecture « faire un permis » pour un autre. « Je savais que tôt ou tard j’allais devoir rendre des comptes, lâche un des prévenus. De là à faire 27 mois de prison pour un mois et demi en Syrie… »

Le procureur relève un message, envoyé par Foued Mohamed-Aggad à Banoumou Kadiakhé : « Rentre au Cham (terre sacrée des musulmans, ndlr), laisse Mokhlès s’il veut bouger. »

« Il voulait que je rentre, mais j’ai préféré pas lui répondre », explique le prévenu. Foued Mohamed-Aggad ne rentrera en France que pour participer à l’attaque du Bataclan, le 13 novembre 2015, faisant 90 morts.


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